dimanche, mai 16, 2004

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Cette semaine, je m’attaque à la miniature de Lithium sans être certaine d’en suivre exactement le cours. L'on verra bien...

Lorsque je réfléchis à ma scolarité, je dois avouer n’avoir guère eu l’occasion de trouver des professeurs à la hauteur de mes "excentricités". Il y a bien, à l’université, certains profs auxquels je me suis attachée, mais vu ma maturité actuelle, les relations se font plus sur une base amicale, plutôt que sur un mode prof-étudiant. Mais tout ça, c’est sans compter Madame Bee, dont je tairais le vrai nom, de peur qu’elle ne se découvre au hasard d’un click...

Madame Bee doit être proche de la soixantaine, c’est une petite madame d’origine française mariée à un anglophone et traductrice dans l’âme et le coeur. Madame Bee a une connaissance des mots, de la langue et de ses nuances, qui souvent me laisse sur les fesses!

Madame Bee n’est pas très populaire car elle fait peur aux étudiants. Elle est d’une sévérité sans faille en ce qui concerne les phrases, (digne de la France), ce qui en choque plusieurs fraîchement débarqué du Cegep. Elle possède une rigueur en ce qui concerne la langue à toutes épreuves! Personnellement dans mon parcours "à la française", j’en ai vu d’autres! La froideur légendaire de Madame Bee ne m’impressionne guère. Son ton autoritaire et sa sévérité me font sourire plus que frémir. Je me vois là, nonchalante en classe, et je pense, en souriant doucement, à mon autorité du soir lorsqu’il faut faire travailler les enfants! Je connais assez bien le principe pour savoir que cela ne définit pas ma personne.

Il est impossible de passer le programme sans passer par Madame Bee, comme il y a souvent deux groupes pour le même cours, plusieurs étudiants s’arrangent pour ne pas se trouver dans son groupe. Avec mes habitudes de saumon à contre-courant, je fus bien la seule qui demanda à retourner dans son groupe après m’être trompée en m’inscrivant en deuxième année. Un seul cours avec le prof de l’autre groupe et je pleurais Madame Bee et sa langue racée. Je ne fis ni de une, ni de deux, et je courus dans les jupons de Mamie Bee. De sa mémoire de professeur, je pense que cela ne lui était jamais arrivé, toute consciente qu’elle est des frayeurs qu’elle occasionne à plusieurs! Elle me dit :

- Tu sais Etol, d’habitude on ne change pas de groupe une fois inscrit.
- Mais Madame Bee, je veux retourner avec vous! J’apprends deux fois plus avec vous! Et en plus il parle châtié, cela m’écorche les oreilles! S’il vous plait, je me ferais toute petite. Avec vous, j’apprends plein de trucs sur la langue, vous savez la langue est ma passion, c’est pour cela que je me retrouve là. Pour essayer de faire un peu d’argent avec la langue! Laissez-moi apprendre avec vous!


Elle me regarda longuement, je gardai mon regard suppliant, elle soupira avant de capituler devant ma détermination.

- Ok, reviens dans mon groupe et l’on en parle à personne, de toute façon il en a plus, alors cela ne changera pas grand-chose!
- Oh! Merci Madame Bee, promis! Je n’en parlerais à personne!


Depuis, j’ai toujours fait plus attention pour bien choisir mon groupe! Et j’ai continué mon parcours en compagnie de Madame Bee. Me prenant des « tôles » ou des bonnes notes, j’ai poursuivi cet étrange chemin qui fait le pont entre deux langues. Ma relation avec Madame Bee a continué d’évoluer au milieu de cette langue qui s’utilise comme un outil de vie.

La session dernière, c’est avec Madame Bee que j’ai planché sur Alexandre, le domaine me convenait et je voguais sur les bonnes notes, trop fière de ma pomme! Constatant mes progrès, dépassant mes blocages, passant les épreuves de la vie, souvent avec un petit mot d’encouragement de Madame Bee, si douce, sous son regard de fer.

Ces petits mots d’encouragements, ces conseils qui m’ont permit de m’accrocher lorsque mes rebellions de vie embarquaient. Lorsque la vie devenait trop dure et que j’avais l’impression d’exploser sous la pression du quotidien pas toujours facile. Madame Bee a été, tout au long de mon programme, un rocher sur lequel me reposer, le temps de reprendre mon souffle et de continuer ma route...

Ainsi, je passai Alexandre haut la main, puis à l’examen final, malgré un texte sympa sur une petite chenille (mais un peu trop scientifique à mon goût), je descendis de mon nuage avec une belle « tôle »! Écoeurée de voir ma superbe moyenne baisser, j’ai regardé avec hargne mes fautes égarées. C’était le dernier cours de la session, j’ai attendu que tout le monde sorte et je suis allée faire la moue devant Madame Bee. Elle reprend ma copie et l’examine avant de me dire gentiment :

- Tu sais Etol, des fois cela marche mieux que d’autres!
- Oui, mais quand même! J’avais des supers bons trucs dans ce texte!
- C’est vrai! Tu as des trouvailles, mais tu sais que tu trébuches souvent sur les domaines scientifiques! J’ai réalisé en corrigeant cet examen que parfois le fait que tu écris nuit à tes traductions...
- Comment ça? Ben au moins mes textes ont un « flow »!
- C’est vrai! Mais tu vois lorsque tu écris tu vas chercher à l’intérieur de toi-même. Alors qu’en traduction, tu n’as pas le droit de faire cela! En traduction tu vas chercher à l’extérieur et je sens que parfois tu as du mal à faire cette transition.
- Heu! Un peu c’est vrai! J’ai besoin de syntaxe, comme avec Alexandre...
- Tu sais, tu vas finir par prendre le tour de main, avec la pratique tu vas t’y faire...


La conversation qui découla ne peut s’écrire car elle est sous le secret « prof-étudiant » et ne peut être dévoilée, si tout se passe bien, je devrais terminer mon programme avec Madame Bee, mais schhhut! Je ne peux en dire plus présentement!

Avant de nous quitter Madame Bee me demanda :

- Et que comptes faire de ton été?
- Je veux écrire! J’ai une idée de roman, et j’aimerais arriver à avoir un manuscrit « recueil de nouvelles ». J’ai des idées qui trottent mais durant l’année scolaire, je vais pas me mettre dans un roman!


Madame Bee qui trouve toujours que j’en fais trop en dehors de mes cours, acquiesce en souriant.

- Non, c’est sur! Commencer un roman durant l’année scolaire ne te mènerait à rien, sinon t’user davantage! Tu ne dois pas oublier que tu dois aussi prendre soin de toi!

Mini-moue de ma part.

- Oui, alors voilà j’utilise l’été pour mes mots et le reste du temps pour avoir un jour l’occasion de manger!

Elle me regarde avec gentillesse, me dit que j’ai raison, que c’est bien d’écrire même si cela ne fait pas d’argent, que de toute façon, j’ai maintenant la traduction dans ma poche et qu’elle a confiance en mes capacités. Que d'une manière ou d'une autre, je vais y arriver! Dans ces moments là, je la prendrais dans mes bras! Elle m’émeut et je m’ouvre un peu à la sagesse de ses ans, une relation étrange se construit, elle me fait du bien. Elle me répare mon intérieur cabossé par la vie. Non seulement, elle trouve normal que je désire écrire tout l’été, mais en plus, elle en apprécie tout le travail intérieur que cela demande. Rien que cela me fait du bien...

Madame Bee n’écrit pas, mais la langue est sa vie. Elle a publié dernièrement l’un de ses ouvrages qui permet aux réviseurs et rédacteurs de retrouver parfois leurs chemins entre deux embûches de mots. Elle connaît le monde de l’édition et de la littérature. Elle aiguise ma perception des mots comme on aiguise un crayon et rien que pour cela, j’ai envers elle des bouffées de tendresses que je ne peux réprimer.

Parfois je regarde son savoir et je me dis quand je serais vieille et toute ridée, je veux en savoir autant qu’elle! Je veux aussi connaître ma langue sur le bout de mes dix doigts et la maîtriser d’une main de fer! Madame Bee est un modèle, ceux-ci sont bien rares dans le cheminement de ma vie! Espérons que l’année prochaine (qui sera ma dernière pour ce programme), je puisse encore m’abreuver au puit du Savoir de Madame Bee.

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