Affichage des articles dont le libellé est acadie. Afficher tous les articles

mardi, mars 31, 2009

Miramichi

L'été dernier nous avons fait un tour d'Acadie. J'ai d'ailleurs écrit plusieurs billets en cette catégorie d'esprit. Mais il y en a quelques uns je n'ai jamais écrit, comme celui qui relate l'un des cotés sombres de l'Acadie que j'ai pu parfois apercevoir. Un coté que j'ai peu regardé mais qui m'est tombé sur le nez au coin d'un bac à sable de Miramichi...

Miramichi collage

Miramichi, un drôle de nom pour une minuscule ville au bord d'une grande rivière du même nom. Un nom amérindien, seul souvenir d'une époque dissolue. Une petite ville qui a connu ses heures de gloire en un passé que l'on peut encore palper mais qui n'a aujourd'hui plus grand chose à offrir au touriste de passage. L'on atterrit là par la magie du voyage. Je nous ai trouvé un petit Bed and Breakfast aussi économique qu'intriguant. J'ai tracé notre route en farfouillant le Net (tout en laissant le hasard guider nos roues libres). Mais comme nous sommes une expédition familiale, il fallait quand même un minimum d'organisation! Ainsi après une excursion enrichissante au coeur de l'Acadie. Nous laissons Caraquet derrière nous pour finir notre périple aux abords de Miramichi. Àprès trois nuits au Beaubear Manor et la visite d'un parc naturel au bord d'une interminable plage (à se faire dévorer par les moustiques), nous reprendrons le chemin qui nous conduira vers la belle province.

Le Bed and Breakfast qui nous attend se situe dans l'ancienne demeure du gouverneur reconvertie en lieu de passage. Mieux que cela, nous dégotons la meilleure chambre du Beaubear Manor, sorte de maison d'invités sur ce domaine témoin d'un autre temps. Seuls sur l'étage, nous avons quasiment la maison pour nous trois. L'endroit est imprégné d'une saveur toute victorienne, une saveur ancestrale qui dépayse mes racines francophones. Je dois même avouer qu'en arrivant là (alors que je finissais la lecture de Pélagie et que j'étais tombée en amour avec l'essence acadienne), j'ai ressenti une étrange sensation. La sensation de débarquer chez l'oppresseur. De passer dans l'autre camp...

En face du domaine, une île. L'île qui a vu passer (et périr) les acadiens d'antan, seul véritable intérêt historique de la place.

Du haut de ma chambre (au premier étage de la tourelle), je contemple l'île en face de mon regard. Mes pensées s'échappent et se noient dans le cours de la rivière tranquille. L'ile Beaubear, du même nom que le "manoir qui nous loge" me hante la mémoire. D'ailleurs ce n'est qu'au bout de deux jours que je réalise que c'est la traduction phonétique de Bois Hébert prononcé à l'anglaise. Assimilée. C'est une sensation que je n'arrive pas à écarter de mes pensées.

Une sensation particulière qui se prononce davantage lorsque je bavarde avec la réceptionniste/femme de chambre qui m'explique que comme son nom l'indique elle est de descendance acadienne mais qu'elle ne parle plus un seul mot de français. Sa mère l'utilisait encore un peu de son vivant mais elle-même s'en bat le coquillon!

Elle revendique plutôt son identité anglaise présente et j'ai l'impression qu'elle en est fière (sans pour autant renier un passé disparu auquel elle montre peu d'intérêt). Elle fait allégeance à la Reine. Elle s'approprie presque l'histoire anglaise comme si c'était la sienne. Elle s'affiche canadienne anglaise avec une telle ferveur que j'en reste un peu troublée...

"L'histoire de l'Île Beaubear (source)

Traversant des milliers d'années et plusieurs cultures, l'île s'est tenue comme une sentinelle, marquant l'histoire de manières cruelles et dociles. Divisant la majestueuse rivière Miramichi en deux branches, elle a servi aux Micmacs pour des centaines d'années pour lieu de rencontre pour le commerce et l'échange d'histoires de chasse. Les aborigènes qui connaissaient très bien l'île l'appelaient Quoomeneegook (l'île aux pins).

La Miramichi fut premièrement visitée par le célèbre explorateur Jacques Cartier, qui fit référence à la rivière comme Missamichi. En 1672, Nicholas Deny (Gouverneur de presque toute l'Acadie) devint le premier habitant acadien de la colonie française connue comme l'Acadie, maintenant le Nouveau-Brunswick. Il donna un poste de traite à son fils Richard, qui fut installé ici, à Miramichi. La guerre déclarée avec les Anglais, l'expulsion de 1755 était amorcée, forçant les Acadiens à trouver refuge par toute l'Amérique du Nord. Le Marquis Charles des Champs de Boishébert (d'après qui l'île est nommée) apporta des milliers de fuyards acadiens à l'Île Beaubear et sur les terres des environs. Un grand nombre de ces Acadiens périrent par la famine et la maladie en attendant d'être secourus. Par 1760, l'établissement entier était incendié sur les ordres du Commandant Anglais John Byron."

BeauBear Island Miramichi Barn

Il va de soi que l'on profite de notre passage en ce lieu pour effectuer la visite de ce bout de terre oublié. Mais pour dire vrai ce qui m'a marquée, durant ma visite de Miramichi, ce n'est pas tant cette étrange sensation que j'ai ressentie. Indéfinissable. Cette émotion empreinte d'une nostalgie incompréhensible puisque détachée de mes propres racines ancestrales. Non, ce qui m'a réellement marquée à Miramichi c'est une expérience humaine que j'ai vécue au coin du bac à sable collectif...

Comme la seule chose à voir en cette petite ville au bord de la rivière semble être le "Ritchie Wharf Park", nous nous dirigeons en cette direction incontournable de Miramichi :"Au quai Ritchie se trouve un parc thématique sur la construction navale, là où se trouvait jadis un chantier naval prospère. Aujourd’hui, les enfants peuvent s’amuser au terrain de jeux à thème nautique, s’éclabousser sous les jets d’eau, puis reprendre des forces avec un peu (ou beaucoup) de crème glacée! Vous apprécierez la promenade bordée de boutiques, la galerie d’artistes et les restaurants."

En guise de boutiques, il y a trois échoppes fermées et la galerie des artistes expose des photos souvenirs de la gloire passée de la ville (du temps ou il s'y construisait des navires). Nous arrivons en plein concert de musique "country" en plein air. Un petit choc culturel pour nos pommes peu habitués à ce genre. C'est assez typique pour être bien folklorique. La moyenne d'âge frise les soixante ans, pas le plus branché qu'il soit! Ceci ne semble guère déstabiliser notre petite danseuse de fille qui ne demande qu'à s'éclater...


M'zelle Soleil (deux ans et demi) version Country

Nous finissons par nous rediriger vers le parc de jeux. La petite va explorer le bac à sable et les glissades tandis que nous la surveillons assis sur un banc à cet effet. Il ne lui faut que quelques secondes pour faire connaissance avec un petit garçon d'environ cinq ans. Quelques minutes plus tard, les deux gamins ont trouvé un terrain d'entente assez vaste pour jouer ensemble. C'est mignon. Le petit garçon tout blond est à croquer. Juan avale ses jalousies paternelles pour laisser libre sa fille. Je souris en mon chignon.

Souvenirs de Miramichi

À coté nous, une dame d'une quarantaine d'année surveille le petit garçon. Elle me sourit. Je lui retourne l'onde bienveillante. Les enfants glissent et s'amusent. Les minutes passent. La dame s'approche. Elle sourit encore. Quelques minutes plus tard, la conversation est engagée.

J'apprends qu'elle n'est pas la maman du petit garçon mais que c'est elle qui en prend soin pour le moment. La mère du petit habite Caraquet. Mais lui habite avec elle à Miramichi. Je sens en sa voix toute l'affection qu'elle porte à cet enfant. Elle a un fort accent acadien et j'avoue que je perds environ 20% de ce qu'elle me raconte en quelques limbes linguistiques. C'est alors qu'elle me confie cette chose qui m'a marquée le coeur. Elle me dit:

- Oh! Je suis contente que le petit s'amuse aujourd'hui. Hier cela n'a pas été drôle pour lui.
- Ah! non? Pourquoi?
- Les petits garçons qui étaient là n'ont pas voulu jouer avec lui parce qu'il parle français. Parce qu'il est acadien. Ils l'ont rejeté et cela lui a fait beaucoup de peine. Il est rentré à la maison et a pleuré pendant des heures. Là, je suis contente de le voir jouer avec ta petite fille, cela va lui faire du bien au moral....

Là, j'avoue, ma bulle d'innocence se crève comme une bulle de savon. Mon coeur de mère se serre et mon esprit francophone se révolte. La dame continue de me raconter les suites de l'histoire. Même si elle-même et l'enfant vivent en anglais et même s'ils le parlent presque plus couramment que le français auquel ils continuent d'accrocher leur langue, le fait qu'ils soient d'origine acadienne les marginalise. Ainsi lorsqu'elle est allée voir la mère de ceux qui rejetaient le petit, celle-ci l'a tant ignorée qu'il n'y a eu rien à faire. Il n'y avait pas d'autre issue pour eux que de s'en aller...

L'on sait bien que les enfants sont nos miroirs. Si la mère refuse d'adresser la parole à une acadienne, il y a peu de chance pour que ses enfants le fassent. Dire que j'étais outrée est bien peu dire. Scandalisée, j'étais. Entendre de telles histoires en 2008 me fait subitement perdre quelques espoirs en l'humanité qui me côtoie. C'est comme si le Canada venait de me donner une gifle dans le visage! Moi qui peut tant m'extasier sur les bienfaits de son multi-culturalisme! Moi qui admire sa paix civile et apprécie ses valeurs paisibles! Moi qui (dans ma tête) habite plutôt au Québec qu'au Canada. Je respire en mon âme et conscience un petit air de soufre. Fragile équilibre que le nôtre. Je sens monter en moi une colère viscérale que je ravale. Une déception teinte mes pensées de voyage. Une tristesse aussi. Je regarde jouer mon enfant solaire et ce petit garçon d'ici. Ils glissent sans se soucier de nous. Je relativise et j'inspire.

Aspirer à un monde meilleur. N'avons-nous pas déjà fait de grands progrès? Les francophones ne sont plus un "sous-peuple". Leur valeur est désormais à la hauteur de l'anglophone. Et n'ai-je pas entendu répéter à Caraquet que le Nouveau Brunswick est la seule province officiellement bilingue au Canada? De cela je suis moyennent sure. En théorie peut-être mais en pratique c'est une autre paire de manches! Même si j'ai compris que là-bas les anglophones profitent tous de cours de français à l'école, il n'en reste pas moins qu'il y a encore tout un chemin à parcourir....

Alors que notre périple acadien s'était déroulé en une sorte d'euphorie humaine, je ressens là mon premier malaise. Je découvre une facette qui assombrit mes impressions. Pourtant, je suis heureuse d'avoir eu l'opportunité d'entendre cette triste anecdote qui me permet de percevoir le revers de la médaille de la faune locale. Le sentiment d'être arrivée chez l'oppresseur n'était peut-être pas si fou...

Comme le veut la coutume locale nous quittons les lieux à la recherche des fameuses crèmes glacées. Le soleil se couche à l'horizon de la rivière. L'humeur est agréable. L'on décide de souper sur la terrasse d'un resto aux airs de bohème. Alors que l'on sirote un cocktail dans le soir qui se lève. M'zelle Soleil tourne autour des jambes de Juan lorsque d'un coup celui-ci s'écrie:

- Aaahhhh! Mais Lily-Soleil, tu fais quoi là?

Je le regarde d'un sourcil interrogateur. Il continue

- Oh my god! Lily tu fais pipi! Nooonn, arrêttte....

Je ne peux m'empêcher de pouffer de rire (Cet été la demoiselle avait encore quelques rares petits accidents de propreté). Comme nous sommes sur une terrasse de bois. Je lui demande:

- Mais y'a quelqu'un en bas? Cela a coulé?

Juan se penche pour observer à travers les interstices des planches.

- Oui, y'a un papy! Oh Lily-So voyons!

J'éclate de rire. Je suis presque fière de ma fille. Après avoir fait oublier les méchancetés de l'enfance anglophone à un petit garçon innocent, là voilà qui pisse sur la tête d'un vieil anglais! Je le sais ce n'est pas bien, j'ai un peu honte de raisonner ainsi mais je trouve cela follement drôle. Je suis incapable de m'arrêter de rire. Juan me regarde d'un sourcil froncé. Rien n'y fait, je ne survis pas à ma crise de fou rire. Plus j'y pense et plus je me marre! Je suis littéralement morte de rire. Juan prend la petite par la main et descend pour s'excuser. Ah! l'honneur de mon homme! L'une des raisons pourquoi je l'aime tant. Je le laisse faire. Trop heureuse de la connerie de ma fille pour la forcer à s'excuser de ce petit accident de rien du tout. Les minutes passent. Je reprends mon souffle. Je sirote mon cocktail le sourire au coin des lèvres. Je regarde couler la rivière. Revient alors l'homme et l'enfant. Je lui demande:

- Pis?
- Ben c'était un papy, il avait rien compris. Sur le coup il était pas trop content mais il a trouvé la petite si cute qu'il lui a pardonné sur le champ et il lui a fait plein de sourire en partant...
- Bon ben tu vois, c'est juste drôle! Quand même elle est bien bonne! Elle a pissé sur la tête d'un anglais! C'est pas non plus la fin du monde...

L'on mange des fajitas alors que la nuit tombe doucement sur la rivière Miramichi. La serveuse aussi cool que sympathique fait s'estomper cette légère animosité causée par l'histoire du bac à sable. Et pour finir notre soirée en ce petit coin de pays tranquille l'on part à la recherche du dessert local. L'on arrive juste avant que ne ferme la boutique à délices. C'est une chaude soirée d'été. La crème glacée fondante n'en est que plus délicieuse...

Miramichi-Ice-cream


Page d'histoire (source)

Dans la région de Cobequid, les Anglais ne purent embarquer aucun des Acadiens : tous s’étaient enfuis soit à l’île Saint-Jean, soit à Louisbourg, soit à Miramichi. Les réfugiés y vécurent jusqu’au mois de novembre, au milieu des plus grandes privations. À ce temps, les Anglais avaient brûlé toutes les maisons et avaient organisé une battue générale dans toute la région, afin de capturer le plus d’Acadiens possible. Plusieurs Acadiens sont morts d’épuisement. Au cours de 1756, les bateaux français qui croisent dans le golfe Saint-Laurent amènent à Québec plusieurs Acadiens réfugiés de Miramichi. À Québec, l’hiver 1756-1757 fut terrible pour les réfugiés acadiens. La famine sévit dans la colonie.

À Miramichi, la misère est extrême : l’intendant n’avait envoyé des vivres que pour 600 personnes, alors que les Acadiens réfugiés à cet endroit sont au nombre de plus de 3500. La pêche ne suffit pas à nourrir tout le monde; un grand nombre de réfugiés meurent de faim et de privation. Les Acadiens qui demeuraient à Miramichi semblent s’être séparés en deux groupes: quelques-uns se dispersent le long de la côte, de la baie de Miramichi jusqu’à la baie des Chaleurs, tandis que la grande majorité va se réfugier le long de la rivière Restigouche, où ils se sentent plus en sécurité contre les attaques des Anglais.

Miramichi (road-trip souvenirs)

jeudi, août 07, 2008

Souvenirs de l Île de Miscou (zestes de bonheur)

My creation

Attendre neuf ans, patiemment, avant de revoir l'océan. Parcourir plus de 1500 kilomètres pour enfin découvrir un zeste de paradis, accrocher une bribe de rêve au réel. Une plage sauvage qui s'étend à perte de vue, un sable doux comme de la soie, quelques méduses, un soleil éclatant sur un horizon d'azur et mes amours au "firmaman" de mes émotions...

zeste de bonheur

mardi, août 05, 2008

Notes linguistiques rapportées d'Acadie

En Acadie, c’est en conversant avec les gens que j’ai étudié de mon oreille ouverte les variations de leur français. J’en ai retiré deux petites notes que je dépose en mon Bescherelle interne (celui qui n’est pas officiel mais que je forme de mes expériences personnelles). Ainsi j’ai vite remarqué cette utilisation ci (exemple):

- Cinq ans passés, je suis allé au Québec…

Huit ans passés, deux ans passés, une façon de dire récurrente, qui m’a la première fois interloquée, pour ensuite me charmer. Après tout ne dit-on pas couramment l’an passé, la semaine passée, l’été passé. C'est une forme de langage qui ne nous choque pas. C'est d'ailleurs mon homme qui me fait remarquer ce point lorsque j'en discute avec lui. Ainsi je soupçonne qu’associer le chiffre des années au passé a dû s'effacer dans le temps mais que c’est une tournure de langue ancestrale qui est restée bien vivante en Acadie…

Aussi j’ai rencontré quelques dames qui gardaient des enfants et toujours le même terme revenait pour décrire leur occupation. Elles ne gardaient pas l’enfant, elle le « soignaient ». Le verbe garder était remplacé par soigner pour désigner l’action de s’occuper d’un petit en l’absence de ses parents. Une façon de penser et de verbaliser la chose que j’ai encore trouvé charmante. Vraiment ces Acadiens m’ont effleuré la langue et percuté le coeur…

Notes linguistiques acadiennes

samedi, août 02, 2008

Zeste d'enfance ensoleillée

Lily à Caraquet

Au camping à Caraquet, malgré une tente spacieuse, le confort était aussi minime que la vue était sublime. Tout d'abord perplexe, l'enfant se demande ce qu'on est en train de lui inventer. Une fois le concept assimilé, M'zelle Soleil fidèle à elle même fuit l'heure du coucher en quelques rigolades bien pensées. Après nous avoir fait courir à droite et à gauche, vient le temps des questions qui se déroulent à l'infini. Encore plus qu'à l'habitude, il est nécessaire de régulièrement expliquer le pourquoi du comment (et de répéter encore et toujours les mêmes rengaines).

- Maman pourpoi on dort dans la tente?
- Parce-qu'on est en camping.
- Mais pourpoi on est en camping?
- Parce-que c'est une expérience.
- Pourpoi c'est un espairence?
- Parce-qu'on est en vacances.
- Pourpoi on est en vacances?
- Parce-que papa va pas au bureau.
- Pourpoi papa va pas au bureau?
- .... parce-que c'est les vacances....
- Mais pou...
- Allez zou au lit...
- Mais maman quand que on va rencrer à la maison?
- Quand les travaux seront finis...
- Pourpoi y'a des cravaux dans ma maison...
- Liloo, zou, au lit, j'te dis...
- Mais maman pourpoi y'a pas d'écricité dans la tente?

Zeste ensoleillé

jeudi, juillet 31, 2008

Au pays de la Sagouine (chroniques acadiennes)

Cela ne fait que trois jours que nous sommes au Nouveau Brunswick et nous entrons en Acadie par la petite ville de Bouctouche qui nous dévoile un début d’identité francophone. Je suis curieuse de découvrir ce peuple qui m’intrigue. J’en connais la tragédie, les cruautés de sa Déportation en 1755 (son grand dérangement) mais c’est à peu près tout ce que je sais à son sujet. En arrivant à Bouctouche, je savais que nous nous devions de visiter le pays de la Sagouine. Plusieurs m’en avaient parlé et sans trop savoir de quoi il en retournait, nous nous étions dit que cela vaudrait certainement le coup d’œil…

bouctouche

Une fois sur place, l’on remarque perdu dans une sorte d'îlot plutôt marécageux avec un drôle de village sur pilotis en son milieu. Juan me dit : « Regarde c’est une île de pirates! ». Sceptique je regarde la chose au loin. Cela me semble bien calme pour un endroit à pirates! L'on roule quelques minutes avant de trouver l’office du tourisme. L'on s'arrête pour demander plus d’informations sur ce fameux pays de la Sagouine. Le jeune garçon à la réception nous dit :

- Ah oui,c’est juste en face!!!
- Ah! Alors ce n’est pas une île à pirates?

Juan s’esclaffe tandis que le jeune garçon me regarde bizarrement. J’enchaîne :

- Mais c’est qui la Sagouine? Pourquoi elle a un village?

Le jeune garçon pédale un peu dans la semoule, je le vois qui rame en eaux troubles. Il finit par me dire :

- Ben c’était une femme de ménage savante!

Là, c’est moi qui le dévisage l’air bizarre.

- Une femme de ménage? Pis on lui a dédié un village??? Mais comment ça elle est devenue célèbre de même?
- Ben, elle savait plein de choses…

Là, je commence à être un peu perdue. Depuis quand les femmes du ménage du début du siècle révolutionnaient leur monde? Y sont don’ ben bizarres ces acadiens qui ont des femmes de ménage savantes! C’est quoi ce délire? Une femme de ménage qui a vécu sa vie tant et si bien qu’on la vénère encore cent ans plus tard! Je veux bien admettre qu’une femme de ménage peut être pétrie de bon sens mais de là à se faire immortaliser en un petit pays c’est quand même fort!!!

Le jour se couche et nous rentrons en cette jolie auberge qui nous héberge les nuits. Le lendemain, juste après le petit déjeuner nous prenons la route qui nous mènera au pays de la Sagouine. À l’entrée du site en même temps que l’on paye Juan demande :

- Mais c’est qui la Sagouine???
- Ah! La Sagouine c’est le personnage du livre d’Antonine Maillet

Je tends l’oreille et m’approche, le personnage d’un livre? Ah oui, j’ai déjà entendu parler d’Antonine Maillet mais je la croyais québécoise. Je m’informe :

- Mais est-ce que c’est un personnage qui a déjà existé?
- Non, en fait Antonine Maillet était une bourgeoise qui s’est intéressée au sort des pauvres, elle a fait des entrevues avec trois vieilles dames qui vivaient à l’époque dans des cabanes de pêcheurs sur l’eau et elle en a tiré son personnage de la Sagouine…
- Ah!!! Je comprends…

En effet, je comprends mieux maintenant, c’est un livre qui a sorti la Sagouine au grand jour, c’est en effet plus logique que l’explication abracadabrante du jeune garçon de l’Office du tourisme. Nous voilà donc en marche vers ces petites maisons à pilotis qui s’inspirent du vécu acadien. Sur place l’on découvre un drôle de petit monde. Ce n’est pas une ile de pirates, c’est une île de théâtre! Tout au long du jour, des acteurs font des sketchs, des petites pièces qui parlent de l’identité acadienne et de son histoire. La nuit il s'y passe même d'incroyables spectacles! Il y a aussi une reconstitution de maisons du début du siècle dernier habitées par des madames qui jouent la comédie. Tout un univers jailli du travail littéraire d’Antonine Maillet. Mon imaginaire s’enflamme...

Arrive alors la performance, en plein air, des Chicaneuses. Celles-ci sont hilarantes! M’zelle Soleil par exemple se demande si c’est du lard ou du cochon. Bien accrochée dans les bras de son père, elle observe les mégères qui s'invectivent tout en se demandant si elle doit rire ou pleurer. Comme tout le monde rit, elle ne pleure pas. Je lui dis :

- C’est rien ma chouette, elles font juste la comédie.
- Mais Maman, pourpoi elles pleurent les madames, elle a mal?
- C’est pas pour vrai c’est parce qu’elles font la comédie, c’est pour faire rire ma puce…

M’zelle Soleil observe le tout de ses grands yeux éberlués et je ne peux qu'’éclater de rire à écouter ces chicaneuses qui amusent la foule. Elles sont tordantes. C'est tout un spectacle de bonnes femmes! Ensuite viendra la musique avec le spectacle des Cotchineux qui entrainera ma fille en une libre danse...


Quelques heures plus tard, je ressors du pays de la Sagouine beaucoup moins bête et surtout complètement transportée, pour ne pas dire illuminée. La linguiste s’est réveillée en ma peau maternelle au cours d’un sketch particulièrement pertinent et je suis complètement bouleversée par le talent d’Antonine Maillet. Si cela n’est pas un succès d’écriture! Cette femme a réussi par la force de sa plume à faire rejaillir de ses cendres l’histoire d’un peuple opprimé. Elle a réussi à immortaliser la mémoire de ces acadiens persécutés qui ont survécu envers et contre tous. Elle a réussi à transcender la barrière des mots pour créer une œuvre qui se vit désormais au présent. Une œuvre qui s’écoute et se regarde. Toute la région se nourrit de ses mots pour faire vibrer son identité distincte au grand jour. Je suis complètement subjuguée. Voilà une auteure qui instruit tout autant qu’elle divertit. Ses écritures inspirées de l’Histoire de ses aïeux percent le voile du réel pour s’inscrire à même la mémoire des jeunes. Et même si la science des jeunes fait parfois défaut, il n’en reste pas moins que la Sagouine est désormais une célébrité locale qui fait vivre ses gens au présent! Pour la première fois depuis que j'ai découvert Zola (il y a de cela une éternité), je ressens le besoin viscéral de m'incliner devant un écrivain (qui de plus est encore vivant!)...

Au-pays-de-la-Sagouine-VII Lily-danse-III

M’zelle Soleil quant à elle est complètement bouleversée par le jeu de ces Chicaneuses un peu folles. Elle n'en revient pas. Elle se perd les idées sur le sujet. Contre toutes évidences, elle a adoré sa visite au pays de la Sagouine. J’en profite donc pour lui faire une petite leçon sur le concept de jouer la comédie. Un concept qu’elle sait user à ses propres intérêts lorsque l’envie lui en prend. Car en plus de tout le reste ces chicaneuses me donnent l'occasion de mettre en lumière le jeu de ma fille qui comprend bien que je ne peux être dupe à ses manipulations enfantines. Elle nous parle de "ces madames qui crient et pleurent" durant des jours et encore aujourd’hui c’est l’un des évènements les plus marquant à sa petite mémoire...

Lorsqu'arrive le temps de quitter Bouctouche, l’on repasse par ce site touristique pour aller faire un tour à la boutique. En plus de quelques souvenirs, j’achète deux livres d’Antonine, la Sagouine et Pélagie la Charrette. Deux livres qui continueront de m’instruire tout au long de mon excursion en Acadie…

Au-pays-de-la-Sagouine-III photos-de-photos

« J’ai peut-être ben la face nouère pis la peau craquée, ben j’ai les mains blanches, Monsieur ! » Ainsi parle la Sagouine – sans contredit la plus célèbre créature née de l’imagination d’Antonine Maillet, dramaturge acadienne de renom et récipiendaire du Prix Goncourt. Mais la Sagouine n’est pas un rêve ; elle est un être de chair et de sang, une pauvresse née près de la mer, qui ne sait ni lire ni écrire et qui passe ses journées à frotter les planchers. Cette Acadienne, à la langue aussi riche que bien pendue, pose sur l’humanité un regard digne de La Bruyère. Elle est la voix du peuple, sa sagesse, son âme.

Via les archives de Radio Canada: "Antonine Maillet est née en 1929 dans le village de Bouctouche, à 40 km de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Elle étudie à Memramcook, à Moncton, à l'Université de Montréal, puis à l'Université Laval où elle obtient un doctorat en lettres. Le thème de sa thèse, intitulée Rabelais et les traditions populaires en Acadie, lui permet d'étudier la fidélité du peuple acadien à des traditions qui remontent au Moyen-Âge français. Admirative de Rabelais, pour son esprit et son langage, elle découvre la qualité du patrimoine acadien, ainsi que l'origine et l'originalité de la langue acadienne. Antonine Maillet, romancière et dramaturge, ses romans ont fait d'elle l'ambassadrice d'une langue, d'un peuple, d'une région : l'Acadie, la terre de ses ancêtres. En 1979, elle est le premier écrivain hors de France à remporter le prix Goncourt avec Pélagie-la-Charrette. Nourrie par l'histoire de son pays, d'où elle puise son inspiration, l'auteure, conteuse intarissable, contribue au rayonnement de la littérature francophone d'Amérique."

"La Sagouine en DVD: En cette année de 15e anniversaire du «Pays de la Sagouine», l’auteure, Antonine Maillet, nous transporte au Nouveau-Brunswick, plus précisément à Bouctouche en plein coeur de l’Acadie. Au fil de ses monologues, avec son accent aux consonances inoubliables, La Sagouine, cette attachante femme de pêcheur de morues au visage et aux vêtements salis par le dur labeur, nous relate toute l’histoire d’un peuple, le sien – la classe populaire acadienne. Cette oeuvre est puisée à même l'histoire, la langue, le folklore, les traditions et les caractéristiques géographiques du pays d’Antonine Maillet, l'Acadie. Dans ses écrits, plusieurs personnages imaginaires vivent dans un monde qui rappelle de beaucoup Bouctouche, son village natal. Par le biais de ce personnage du peuple, l’auteure conte l’épopée triviale de son héroïne de 72 ans, laveuse de plancher. La Sagouine est jouée pour la première fois en octobre 1972 au théâtre du Rideau Vert, puis adaptée pour la télévision de Radio-Canada en 1977 et présentée à nouveau en 2006."

Au pays de la Sagouine

mardi, juillet 29, 2008

Les boucles de ma fille...

M’zelle Soleil a les cheveux qui poussent, lorsqu’ils sont mouillés, ils lui arrivent presque à mi dos. Lorsqu’il sont sec, ils perdent toute leur longueur et se contentent de lui chatouiller les épaules. M’zelle Soleil a les cheveux qui poussent en volume. Je laisse pousser ses boucles folles que je discipline peu. Je me contente de les entretenir de mon mieux et d’utiliser des pinces pour éviter qu’elles ne lui cachent le visage. Durant notre voyage, les boucles de ma fille ont beaucoup fait parler d’elles. Je ne compte le nombre de personnes qui m’a abordé en me demandant :

- Oh! C’est naturel ???

À chaque fois j’ai dû retenir un soupçon de sarcasme (qui ne peut empêcher de me traverser l’esprit à cette question) pour éviter de rétorquer :

- Heu non! En fait je lui pose des bigoudis toutes les nuits! Cela nous prend une heure et elle ne bouge pas d’un pet!!! Elle adore ça!

À la place, je reste polie, avale ma niaiserie et répond :

- Heu oui, c’est naturel…

Souvent la personne finit par lever la tête et par nous voir. Elle regarde les boucles de Juan ou ma chevelure qui ondule, elle fait oh! et comprend que c’est en effet la nature qui œuvre sur la tête de mon enfant. Je dois cependant avouer que durant ce voyage les boucles de ma fille n’ont jamais été aussi grasses et bien formées. Selon certains, ce sont des petits boudins, pour moi c’est de petites anglaises qui me rappellent "les malheurs de Sophie" que je lisais enfant. Dans tous les cas de figures, ce sont de superbes bouclettes qui volent au gré des brises océaniques. Et justement je me demande si l’air de là-bas n’aide pas la nature. L’air marin qui se joue des boucles de ma fille

Les boucles de ma fille...

Chroniques acadiennes (premier épisode)

En ce mois de juillet, une fois passé le festival d’été, nous avons connu toutes sortes de contrastes, de l’hôtel « urbain deluxe » à l’auberge familiale, en passant par le camping pour se retrouver ensuite au vieux « manoir » oublié puis à l’hôtel quatre étoiles qui couronne le tout (merci les dieux de l'assurance qui nous logent à notre retour sans toit). M’zelle Soleil s’adapte à tous ces changements avec le comportement d’une pro. Difficile de croire qu’elle n’était guère sortie de son village (ou des jupes de sa mère) en ces deux années de vie. Peu sauvage, cette enfant lumineuse a fait la joie des acadiens. Elle ne nous a guère permis de passer inaperçus en nos multiples pérégrinations.

M’zelle Soleil est un véritable aimant à rencontres. L’on en finit plus de récolter des sourires. L'enfant fait pétiller les yeux des mamies (et des papis), elle fait causer les dames et même les messieurs, les gens aiment approcher cette filette qui chante et papote à tous les vents. Impossible de ne pas jaser avec ces inconnus qui s’extasient sur ses boucles chérubines. Des boucles qui fascinent ces français jaillis d’un autre temps. Même les anglos pourtant plus réservés ne résistent pas à son charme éclatant. Dans les deux langues, plusieurs me disent : « Oh qu’elle est jolie, on dirait Shirley Temple! Oh! She’s gorgeous! Look at her curls! Elle parle beaucoup! Elle n’a que deux ans et demi!!! Mon Dieu qu’elle est grande! What a sweetie! And she sings so well! ». Oui j’ai de la chance d’avoir une si belle enfant! Depuis sa naissance, je la couve d’un amour sans borne qui m’emporte la vie. Et je réalise qu’ils n’ont pas tout à fait tort, avec ses petites anglaises qui lui entourent son visage de porcelaine, elle ressemble en effet à cette actrice d’antan.

Il faut dire qu’en Acadie (Nouveau Brunswick), les jeunes ne courent pas les rues. Les vieux nous expliquent que la province se vide de son sang neuf au profit de la ruée vers l’Ouest. La majeure partie des jeunes veulent tenter leur chance en Alberta, à la recherche de ces trésors qui miroitent dans les reflets du pétrole. L’or noir qui fait tourner les têtes et ensorcelle les bourgeons d'âmes. Les villages se vident de leur jeunesse et les vieux se dodelinent sur leurs chaises berçantes en méditant sur le bon vieux temps.

Il ne reste que le tourisme pour sauver les meubles de cette sympathique province. Un tourisme qui parait-il s’essouffle un peu. Moi la touriste de passage, coupée du présent, déconnectée de la Toile infernale, sans écran d’où survoler les nouvelles de la planète, je découvre de mes yeux ces nouveaux paysages. Je me contente de feuilleter l’Acadie Nouvelle (ou le Telegraph si je suis en fief anglais) en sirotant mon café matinal. C’est une expérience dépaysante. J’y apprends les soucis de l’endroit. Les trucs de pêcheurs, les histoires d’agriculteurs, les soucis touristiques, les déboires du bilinguisme. Cela me donne un certain contenu dont je me sers lors de mes conversations avec l’habitant. À la pêche humaine, j’ai un petit ange bouclé en guise d'hameçon qui accroche les cœurs tandis que j’en creuse les esprits qui s’ouvrent à ma curiosité dévorante...

Bouctouche-Sagouine

Pendant ce temps M’zelle Soleil grandit à vue d’œil, sa syntaxe est de plus en plus complexe. Elle aligne les mots avec brio, ferme parfois les yeux pour mieux se concentrer et arrache à sa jeune langue des phrases bien pensées. Ce voyage la stimule énormément tant qu’elle change assez pour que j’aie l’impression d’être partie avec un bambin et de revenir avec une petite fille. Tous les trois jours nous changeons d’endroit, et chaque lieu est une expérience différente pour l’enfant qui assimile avec une facilité déconcertante.

À St-John où nous débutons notre voyage après huit heures de route (d'une seule traite) pour deux nuits en un hôtel confortable, elle découvre l’ascenseur, la piscine et l’anglais. En quelques heures, elle commence à essayer de répéter quelques mots pour répondre à ceux qui lui parlent. À Bouctouche où nous restons trois nuits, elle découvre un lit de grande fille (un lit simple qui côtoie notre double), elle se fait une joie de délaisser son lit de voyage pour s’y étirer les nuits. En cette auberge familiale nichée en une ferme ancestrale au bord de l'eau, nous rencontrons nos premiers acadiens. Ma fille joue avec le enfants de la place, j’en profite pour faire la jasette avec leur gardienne. Une dame d’une soixantaine d’année qui me raconte des bribes de sa vie. À Caraquet, nous expérimentons le camping (l'un de mes appareils photo fait des siennes et prend en otages mes photos de la place, l'homme n'a pas encore pris la peine de les libérer). C'est un concept qui révolutionne les idées de l’enfant. Nous plantons notre tente gigantesque (gentiment prêté par l’amour de Vanou) au bord de la mer qui vient lécher le rivage d’une autre petite baie. J’avoue que j’ai certaines réserves sur le camping mais vu notre mince fortune, c’est le choix de circonstances pour équilibrer nos finances. Juan se démène pendant quatre heures pour installer notre logis. Le vent se met de la partie et l’homme tempête contre la Toile. Nous savions que cette tente n’était pas une partie de plaisir à monter, Juan confirme ce fait. Une fois la tente bien posée, nous expérimentons notre premier jour de pluie! La journée qui suit est des plus maussades. Durant ce voyage nous n’avons connu que trois jours de mauvais temps mais lorsque la première pluie nous frappe en ce premier jour de camping, ce n’est guère la joie!

Nous campons durant cinq jours en cet endroit qui m’interpelle un peu. M’zelle Soleil assimile un nouveau concept et je n’arrête pas de me gratouiller le crâne pour en comprendre les adeptes. Au cœur du camping, des retraités motorisés s’éclatent. Le premier soir alors que je me dirige vers les douches sommaires, je constate que ceux-ci sont tous bien installés dans leur gros « camions » devant la télé qui bleuit leur confort douillet. Pour nous, c’est une autre paire de manches. Sous la tente, heureusement spacieuse, nous n’avons que nos lits et quelques lanternes à piles. La deuxième nuit, nous faisons un feu. C’est un moment des plus agréables. L’enfant s’endort dans mes bras et j’hume son odeur de bonheur qui me nourrit l’esprit. Alors que passe minuit, je me décide enfin à prendre le chemin de la douche. Tout le camping est endormi, l’eau clapote et les étoiles brillent. C’est alors que je prends les pieds dans un trou invisible de la pelouse et tombe comme une branche morte. Foudroyée par la douleur qui explose en ma cheville, je « bouffe » ma serviette pour ne pas hurler. Juan accoure mais j’ai si mal que je ne peux articuler un seul mot, je me contente de mordre ma serviette et d’absorber la violence de cette douleur subite. Impossible de me relever. Je laisse passer dix minutes avant de pouvoir articuler « aille, ma cheville! ». La douleur est atroce. Je suis aussi blessée en mon amour propre. Voyons, c’est quoi l’idée de te tordre une cheville en plein « roadtrip »! Je sacre et je jure à demi mots. Je laisse faire l’idée de la douche et me retrouve immobile sur mon matelas pneumatique! L’homme s’inquiète, je minimise tant cet accident m’énerve. Même si j’ai incroyablement mal, je refuse l’hôpital en pleine nuit. Je prends l’un de ces médicaments anti inflammatoire qui traîne dans ma trousse de secours et je m’endors. Au réveil, la douleur est un peu moins puissante et je refuse encore l’hôpital malgré la volonté de Juan. Nous allons nous ravitailler à ce petit café qui est sûrement l’un des endroits les plus étonnants de Caraquet, un café tendance rempli de délicieuses gourmandises et une ambiance digne des quartiers branchés de Montréal! Je boitille et je grimace au fur et à mesure que je marche ma cheville enfle. J’admets que ce n’est pas bon signe et accepte d’aller consulter à ce petit hôpital niché au centre de la ville.

caraquet 029 caraquet 026

Justement nous trouvions que nous n’avions pas encore rencontré assez de locaux à Caraquet, rien de mieux que trois heures dans une salle d’attente médicale pour prendre le pouls de la population! Manifestement, il semblerait que le Nouveau Brunswick égale le Québec quant à son système de santé. Durant nos trois heures d’attente, l’on y rencontre Sylvie aussi cocasse que vocale, une ribambelle de mamies, deux bébés et leurs parents, un pêcheur et un vieux monsieur cultivé, tous acadiens de sang et de quotidien. Ceux-ci sont de nos conversations mais il y a aussi le couple de jeunes québécois qui ne se mélange pas à la faune autochtone et un couple de lesbiennes anglophones que j’avais repéré au camping où l’on réside. Les deux femmes dont je ne peux soupçonner l’ennui de santé sont en parfaites harmonies, malgré leur retrait du groupe, elles ne résistent pas aux charmes de ma fillette qui se fait un plaisir de les accoster. Pour ma part, je suis confinée à un fauteuil roulant qui me désespère un peu, la patte en l’air, ma cheville repose sa peine.

Durant une absence de Juan et Lily partis manger (au Tim Horton en face), je discute longuement avec un pêcheur de l’Ile de Miscou qui a fait son certificat de mécanicien à Lévis (en face de Québec) et avec un homme âgé, cultivé et modeste. Aucun des deux ne résiste à mon charme et je me divertis à leur tirer les vers du nez en même temps que je nourris leurs curiosités. Je ne sais pas pourquoi le monsieur attend mais je sais que le pêcheur a un morceau de métal planté dans l’œil. Le pêcheur est aussi sympathique que rustre. Il s’ouvre à moi comme un livre que je savoure avec plaisir. Pas facile la vie de pêcheur mais celui-ci est heureux comme un chef. Il vit au bout de son île, avec sa femme qui tient un camping, il respire la liberté et l’Acadie. J'avoue perdre environ quinze pour cent de la discussion dans la profondeur de son accent. J'opine quand même et passe à autre chose lorsque survient la phrase mystère. Le genre de phrase que mon oreille n'arrive pas à déchiffrer malgré mon bon vouloir. Et puis il y a Sylvie qui est devenue comme une amie après deux heures d’attente, si gentille, elle reflète à elle seule toute la chaleur de ces gens d’ailleurs. Elle me raconte sa vie et je ne résiste pas à creuser un peu. Je creuse sans chercher à la brusquer juste avec l’envie de mieux comprendre son essence. Son humanité me touche, sa simplicité me repose. Elle a quarante ans et cinq enfants, deux petits d’un deuxième lit et trois grandes qu’elle a eu entre 18 et 22 ans. Le visage buriné, elle possède cependant un corps de rêve. Elle travaille fort, dans un milieu d’hommes, sur ces équipes qui font la maintenance des routes. Elle a vécu treize ans au Québec. Elle me fait rire lorsqu’elle raconte à sa voisine sa perception de Montréal et de ses cages à poules! Elle vibre d’une lumière qui transperce ses rides. Évidement, elle s’extasie sur mon brin de fille qui la fait fondre comme du bonbon. L’on se soutient mutuellement dans l’attente, alors que mon tour approche et que le temps file, je lui demande :

- Mais dis-moi, toi qui a vécu au Québec, c’est quoi qui fait différence entre un québécois et un acadien?

Elle fronce des sourcils, se demande ce que je cherche à comprendre. Je lui souris et l’encourage doucement. Elle finit par me dire :

- Hum, tout ce que je vois, c’est que les québécois sont plus "…" (je ne me souviens plus du terme exact, bourru serait un bon synonyme). Ici tu peux parler avec tout le monde, si tu demandes un renseignement, y’en a trois qui vont vouloir t’aider, personne va te laisser mal pris…

Elle poursuit en m’expliquant ce que j’avais déjà bien perçu, les Acadiens sont de nature bienveillante et extrêmement chaleureuse. Pour moi qui connais les nuances subtiles entre le français de France et le français du Québec, je peux concevoir avec elle une autre nuance qui me fascine tout autant que les boucles de Lily fascinent les passants de Caraquet. Ainsi le Français de France s’émerveille de la chaleur du peuple québécois tout autant que je suis en train de m’émerveiller de celle des acadiens. L’acadien trouve donc le québécois aussi renfrogné que le québécois peut trouver fermé le français du vieux pays! Ah! Jolie Sylvie que je me dis en silence, ne va jamais à Paris! Si tu savais comment il est dur là-bas de soutirer une information du spécimen local!

Enfin arrive mon tour, je roule donc jusqu’à la salle des rayons X. Ma cheville est prise sous tous les angles et je retrouve rapidement la docteure (qui en passant est une véritable beauté fatale). La jolie dame m’explique les variations des entorses en son accent chantant. Ainsi il y a quatre degrés à une entorse, la première est la foulure, la deuxième et la troisième sont douloureuses mais finissent par guérir et la quatrième est grave car c’est lorsque les ligaments qui déchirent emportent avec eux des morceaux d’os. Je suis chanceuse mes os soient bien en place (ils sont même très jolis me dit mon homme avec un sourire). J’ai une entorse qui oscille entre le troisième et deuxième degrés. Je dois bander ma cheville, marcher le moins possible (super pratique quand tu as encore deux jours de camping à traverser), prendre des anti douleurs et petit à petit je pourrais remarcher même si je risque d’en garder quelques séquelles en conservant une cheville fragile. Comme il fait un soleil magnifique et j’ai déjà perdu une bonne journée à l’hôpital, je convaincs Juan d’aller faire un tour de Miscou à 45 minutes de là. Le pêcheur m’a donné l’eau à la bouche, je veux aller voir son coin de pays…

Lameque caraquet 023

Nous voilà de nouveau sur la route. Nous nous perdons deux fois et en à peine deux heures nous arrivons enfin au bout du monde. Enfin comme dit Juan « Ce qu’il y a de bien avec le Nouveau Brunswick, c’est que t’as toutes sortes d’occasions de te sentir au bout du monde! ». Arrivés sur l’île, tannés de se perdre pour un rien, l’on décide d’accoster un « quatre roues » pour trouver le chemin d’une plage. Le couple souriant nous demande à quelle plage l’on veut se rendre. Je réponds :

- Bof, on s’en fout! D’après vous c’est laquelle la plus belle?
- La plus belle, certain, c’est celle où on se rend! C’est à deux minutes d’ici!
- Oh! On peut vous suivre?
- Ben oui, pas de troubles, v’nez vous en!

Et nous voilà à suivre ces gens dans des petits sentiers pour déboucher sur une vue imprenable. Pour découvrir l’une de ces plages qui habitent mes rêves. Une longue plage sauvage, avec un sable doux et des coquillages, une plage qui s’étend d’un horizon à l’autre. Là, je tombe direct en amour! J'oublie l'aigreur de mon entorse. Mon coup de cœur est ici, mon cœur bat la cadence à Miscou! Je me traîne sur la plage. Je maudis cette entorse qui m’handicape. L’on se promet de revenir le lendemain…

Ile Miscou

Chroniques acadiennes

lundi, juillet 28, 2008

En nomades nous vivons...

My creation

Je reviens d’Acadie après un voyage de 3000 kilomètres. Nous n’avons pu réintégrer nos quartiers car d’importants travaux occupent le ventre de notre maison. J’ai quand même retrouvé mon lac que je contemple avec bonheur sous cette pluie qui m’accueille. Logés avec grand confort, nous ne sommes point malheureux même si j’ai la cheville douloureuse (souvenir d’une méchante entorse faite à Caraquet). D’où je loge, je peux voir notre petit village de bord de lac. J'aperçois ces quelques maisons qui s’incrustent au creux d'une colline boisée. Faire 3000 kilomètres pour mieux se rendre compte de sa félicité. Bénir le destin qui nous permet de vivre là, en un petit paradis terrestre.

Aller en Acadie, sillonner un pays fantôme qui se joue des morts et qui hante de ses couleurs chatoyantes les habitations de ces milliers de francophones oubliés du temps. Des milliers de francophones qui parlent une langue d’antan. Une langue qui chatouille mes oreilles et qui éveille mes racines lointaines, une langue qui me conte une tragique histoire de survivance…

L’Acadie n’existe plus depuis des lustres, désormais c’est le Nouveau Brunswick qui occupe ce territoire couvert de forêts si vastes que l’on pourrait presque les imaginer vierges. Faire 300 kilomètres de forêt entre deux bourgades isolées et croiser sur sa route une biche et son petit. Vivre à trois une aventure amoureusement familiale. L’Acadie est une image qui se ballade dans l’esprit, un pays qui vibre dans la mémoire collective et qui se découvre au creux des bouches de ses descendants bien vivants.

L’Acadie m’est rentrée danse cœur au contact de ses gens. L’Acadie n’est plus une patrie mais c’est encore une gigantesque fratrie qui s’imagine comme une forêt enchantée où je me suis abandonnée l’esprit. Les jours à venir écouleront mes mots et photos de cette Acadie que j’ai apprivoisée tout au long de notre petit périple…

En acadie

En nomades...

dimanche, juillet 20, 2008

En coup de brise marine


M'zelle Soleil s'éclate en ces vacances acadiennes qui la stimulent et qui nous dépaysent agréablement les idées amoureuses. À suivre en pointillé d'images sur Flickr. Plus de détails à venir durant notre prochaine pause à Caraquet (où j'essaierai de répondre à mes courriels et commentaires si le temps me le permet) ...

En coup de brise marine