Miramichi
L'été dernier nous avons fait un tour d'Acadie. J'ai d'ailleurs écrit plusieurs billets en cette catégorie d'esprit. Mais il y en a quelques uns je n'ai jamais écrit, comme celui qui relate l'un des cotés sombres de l'Acadie que j'ai pu parfois apercevoir. Un coté que j'ai peu regardé mais qui m'est tombé sur le nez au coin d'un bac à sable de Miramichi...
Miramichi, un drôle de nom pour une minuscule ville au bord d'une grande rivière du même nom. Un nom amérindien, seul souvenir d'une époque dissolue. Une petite ville qui a connu ses heures de gloire en un passé que l'on peut encore palper mais qui n'a aujourd'hui plus grand chose à offrir au touriste de passage. L'on atterrit là par la magie du voyage. Je nous ai trouvé un petit Bed and Breakfast aussi économique qu'intriguant. J'ai tracé notre route en farfouillant le Net (tout en laissant le hasard guider nos roues libres). Mais comme nous sommes une expédition familiale, il fallait quand même un minimum d'organisation! Ainsi après une excursion enrichissante au coeur de l'Acadie. Nous laissons Caraquet derrière nous pour finir notre périple aux abords de Miramichi. Àprès trois nuits au Beaubear Manor et la visite d'un parc naturel au bord d'une interminable plage (à se faire dévorer par les moustiques), nous reprendrons le chemin qui nous conduira vers la belle province.
Le Bed and Breakfast qui nous attend se situe dans l'ancienne demeure du gouverneur reconvertie en lieu de passage. Mieux que cela, nous dégotons la meilleure chambre du Beaubear Manor, sorte de maison d'invités sur ce domaine témoin d'un autre temps. Seuls sur l'étage, nous avons quasiment la maison pour nous trois. L'endroit est imprégné d'une saveur toute victorienne, une saveur ancestrale qui dépayse mes racines francophones. Je dois même avouer qu'en arrivant là (alors que je finissais la lecture de Pélagie et que j'étais tombée en amour avec l'essence acadienne), j'ai ressenti une étrange sensation. La sensation de débarquer chez l'oppresseur. De passer dans l'autre camp...
En face du domaine, une île. L'île qui a vu passer (et périr) les acadiens d'antan, seul véritable intérêt historique de la place.
Du haut de ma chambre (au premier étage de la tourelle), je contemple l'île en face de mon regard. Mes pensées s'échappent et se noient dans le cours de la rivière tranquille. L'ile Beaubear, du même nom que le "manoir qui nous loge" me hante la mémoire. D'ailleurs ce n'est qu'au bout de deux jours que je réalise que c'est la traduction phonétique de Bois Hébert prononcé à l'anglaise. Assimilée. C'est une sensation que je n'arrive pas à écarter de mes pensées.
Une sensation particulière qui se prononce davantage lorsque je bavarde avec la réceptionniste/femme de chambre qui m'explique que comme son nom l'indique elle est de descendance acadienne mais qu'elle ne parle plus un seul mot de français. Sa mère l'utilisait encore un peu de son vivant mais elle-même s'en bat le coquillon!
Elle revendique plutôt son identité anglaise présente et j'ai l'impression qu'elle en est fière (sans pour autant renier un passé disparu auquel elle montre peu d'intérêt). Elle fait allégeance à la Reine. Elle s'approprie presque l'histoire anglaise comme si c'était la sienne. Elle s'affiche canadienne anglaise avec une telle ferveur que j'en reste un peu troublée...
"L'histoire de l'Île Beaubear (source)
Traversant des milliers d'années et plusieurs cultures, l'île s'est tenue comme une sentinelle, marquant l'histoire de manières cruelles et dociles. Divisant la majestueuse rivière Miramichi en deux branches, elle a servi aux Micmacs pour des centaines d'années pour lieu de rencontre pour le commerce et l'échange d'histoires de chasse. Les aborigènes qui connaissaient très bien l'île l'appelaient Quoomeneegook (l'île aux pins).
La Miramichi fut premièrement visitée par le célèbre explorateur Jacques Cartier, qui fit référence à la rivière comme Missamichi. En 1672, Nicholas Deny (Gouverneur de presque toute l'Acadie) devint le premier habitant acadien de la colonie française connue comme l'Acadie, maintenant le Nouveau-Brunswick. Il donna un poste de traite à son fils Richard, qui fut installé ici, à Miramichi. La guerre déclarée avec les Anglais, l'expulsion de 1755 était amorcée, forçant les Acadiens à trouver refuge par toute l'Amérique du Nord. Le Marquis Charles des Champs de Boishébert (d'après qui l'île est nommée) apporta des milliers de fuyards acadiens à l'Île Beaubear et sur les terres des environs. Un grand nombre de ces Acadiens périrent par la famine et la maladie en attendant d'être secourus. Par 1760, l'établissement entier était incendié sur les ordres du Commandant Anglais John Byron."
Il va de soi que l'on profite de notre passage en ce lieu pour effectuer la visite de ce bout de terre oublié. Mais pour dire vrai ce qui m'a marquée, durant ma visite de Miramichi, ce n'est pas tant cette étrange sensation que j'ai ressentie. Indéfinissable. Cette émotion empreinte d'une nostalgie incompréhensible puisque détachée de mes propres racines ancestrales. Non, ce qui m'a réellement marquée à Miramichi c'est une expérience humaine que j'ai vécue au coin du bac à sable collectif...
Comme la seule chose à voir en cette petite ville au bord de la rivière semble être le "Ritchie Wharf Park", nous nous dirigeons en cette direction incontournable de Miramichi :"Au quai Ritchie se trouve un parc thématique sur la construction navale, là où se trouvait jadis un chantier naval prospère. Aujourd’hui, les enfants peuvent s’amuser au terrain de jeux à thème nautique, s’éclabousser sous les jets d’eau, puis reprendre des forces avec un peu (ou beaucoup) de crème glacée! Vous apprécierez la promenade bordée de boutiques, la galerie d’artistes et les restaurants."
En guise de boutiques, il y a trois échoppes fermées et la galerie des artistes expose des photos souvenirs de la gloire passée de la ville (du temps ou il s'y construisait des navires). Nous arrivons en plein concert de musique "country" en plein air. Un petit choc culturel pour nos pommes peu habitués à ce genre. C'est assez typique pour être bien folklorique. La moyenne d'âge frise les soixante ans, pas le plus branché qu'il soit! Ceci ne semble guère déstabiliser notre petite danseuse de fille qui ne demande qu'à s'éclater...
M'zelle Soleil (deux ans et demi) version Country
Nous finissons par nous rediriger vers le parc de jeux. La petite va explorer le bac à sable et les glissades tandis que nous la surveillons assis sur un banc à cet effet. Il ne lui faut que quelques secondes pour faire connaissance avec un petit garçon d'environ cinq ans. Quelques minutes plus tard, les deux gamins ont trouvé un terrain d'entente assez vaste pour jouer ensemble. C'est mignon. Le petit garçon tout blond est à croquer. Juan avale ses jalousies paternelles pour laisser libre sa fille. Je souris en mon chignon.
À coté nous, une dame d'une quarantaine d'année surveille le petit garçon. Elle me sourit. Je lui retourne l'onde bienveillante. Les enfants glissent et s'amusent. Les minutes passent. La dame s'approche. Elle sourit encore. Quelques minutes plus tard, la conversation est engagée.
J'apprends qu'elle n'est pas la maman du petit garçon mais que c'est elle qui en prend soin pour le moment. La mère du petit habite Caraquet. Mais lui habite avec elle à Miramichi. Je sens en sa voix toute l'affection qu'elle porte à cet enfant. Elle a un fort accent acadien et j'avoue que je perds environ 20% de ce qu'elle me raconte en quelques limbes linguistiques. C'est alors qu'elle me confie cette chose qui m'a marquée le coeur. Elle me dit:
- Oh! Je suis contente que le petit s'amuse aujourd'hui. Hier cela n'a pas été drôle pour lui.
- Ah! non? Pourquoi?
- Les petits garçons qui étaient là n'ont pas voulu jouer avec lui parce qu'il parle français. Parce qu'il est acadien. Ils l'ont rejeté et cela lui a fait beaucoup de peine. Il est rentré à la maison et a pleuré pendant des heures. Là, je suis contente de le voir jouer avec ta petite fille, cela va lui faire du bien au moral....
Là, j'avoue, ma bulle d'innocence se crève comme une bulle de savon. Mon coeur de mère se serre et mon esprit francophone se révolte. La dame continue de me raconter les suites de l'histoire. Même si elle-même et l'enfant vivent en anglais et même s'ils le parlent presque plus couramment que le français auquel ils continuent d'accrocher leur langue, le fait qu'ils soient d'origine acadienne les marginalise. Ainsi lorsqu'elle est allée voir la mère de ceux qui rejetaient le petit, celle-ci l'a tant ignorée qu'il n'y a eu rien à faire. Il n'y avait pas d'autre issue pour eux que de s'en aller...
L'on sait bien que les enfants sont nos miroirs. Si la mère refuse d'adresser la parole à une acadienne, il y a peu de chance pour que ses enfants le fassent. Dire que j'étais outrée est bien peu dire. Scandalisée, j'étais. Entendre de telles histoires en 2008 me fait subitement perdre quelques espoirs en l'humanité qui me côtoie. C'est comme si le Canada venait de me donner une gifle dans le visage! Moi qui peut tant m'extasier sur les bienfaits de son multi-culturalisme! Moi qui admire sa paix civile et apprécie ses valeurs paisibles! Moi qui (dans ma tête) habite plutôt au Québec qu'au Canada. Je respire en mon âme et conscience un petit air de soufre. Fragile équilibre que le nôtre. Je sens monter en moi une colère viscérale que je ravale. Une déception teinte mes pensées de voyage. Une tristesse aussi. Je regarde jouer mon enfant solaire et ce petit garçon d'ici. Ils glissent sans se soucier de nous. Je relativise et j'inspire.
Aspirer à un monde meilleur. N'avons-nous pas déjà fait de grands progrès? Les francophones ne sont plus un "sous-peuple". Leur valeur est désormais à la hauteur de l'anglophone. Et n'ai-je pas entendu répéter à Caraquet que le Nouveau Brunswick est la seule province officiellement bilingue au Canada? De cela je suis moyennent sure. En théorie peut-être mais en pratique c'est une autre paire de manches! Même si j'ai compris que là-bas les anglophones profitent tous de cours de français à l'école, il n'en reste pas moins qu'il y a encore tout un chemin à parcourir....
Alors que notre périple acadien s'était déroulé en une sorte d'euphorie humaine, je ressens là mon premier malaise. Je découvre une facette qui assombrit mes impressions. Pourtant, je suis heureuse d'avoir eu l'opportunité d'entendre cette triste anecdote qui me permet de percevoir le revers de la médaille de la faune locale. Le sentiment d'être arrivée chez l'oppresseur n'était peut-être pas si fou...
Comme le veut la coutume locale nous quittons les lieux à la recherche des fameuses crèmes glacées. Le soleil se couche à l'horizon de la rivière. L'humeur est agréable. L'on décide de souper sur la terrasse d'un resto aux airs de bohème. Alors que l'on sirote un cocktail dans le soir qui se lève. M'zelle Soleil tourne autour des jambes de Juan lorsque d'un coup celui-ci s'écrie:
- Aaahhhh! Mais Lily-Soleil, tu fais quoi là?
Je le regarde d'un sourcil interrogateur. Il continue
- Oh my god! Lily tu fais pipi! Nooonn, arrêttte....
Je ne peux m'empêcher de pouffer de rire (Cet été la demoiselle avait encore quelques rares petits accidents de propreté). Comme nous sommes sur une terrasse de bois. Je lui demande:
- Mais y'a quelqu'un en bas? Cela a coulé?
Juan se penche pour observer à travers les interstices des planches.
- Oui, y'a un papy! Oh Lily-So voyons!
J'éclate de rire. Je suis presque fière de ma fille. Après avoir fait oublier les méchancetés de l'enfance anglophone à un petit garçon innocent, là voilà qui pisse sur la tête d'un vieil anglais! Je le sais ce n'est pas bien, j'ai un peu honte de raisonner ainsi mais je trouve cela follement drôle. Je suis incapable de m'arrêter de rire. Juan me regarde d'un sourcil froncé. Rien n'y fait, je ne survis pas à ma crise de fou rire. Plus j'y pense et plus je me marre! Je suis littéralement morte de rire. Juan prend la petite par la main et descend pour s'excuser. Ah! l'honneur de mon homme! L'une des raisons pourquoi je l'aime tant. Je le laisse faire. Trop heureuse de la connerie de ma fille pour la forcer à s'excuser de ce petit accident de rien du tout. Les minutes passent. Je reprends mon souffle. Je sirote mon cocktail le sourire au coin des lèvres. Je regarde couler la rivière. Revient alors l'homme et l'enfant. Je lui demande:
- Pis?
- Ben c'était un papy, il avait rien compris. Sur le coup il était pas trop content mais il a trouvé la petite si cute qu'il lui a pardonné sur le champ et il lui a fait plein de sourire en partant...
- Bon ben tu vois, c'est juste drôle! Quand même elle est bien bonne! Elle a pissé sur la tête d'un anglais! C'est pas non plus la fin du monde...
L'on mange des fajitas alors que la nuit tombe doucement sur la rivière Miramichi. La serveuse aussi cool que sympathique fait s'estomper cette légère animosité causée par l'histoire du bac à sable. Et pour finir notre soirée en ce petit coin de pays tranquille l'on part à la recherche du dessert local. L'on arrive juste avant que ne ferme la boutique à délices. C'est une chaude soirée d'été. La crème glacée fondante n'en est que plus délicieuse...
Page d'histoire (source)
Dans la région de Cobequid, les Anglais ne purent embarquer aucun des Acadiens : tous s’étaient enfuis soit à l’île Saint-Jean, soit à Louisbourg, soit à Miramichi. Les réfugiés y vécurent jusqu’au mois de novembre, au milieu des plus grandes privations. À ce temps, les Anglais avaient brûlé toutes les maisons et avaient organisé une battue générale dans toute la région, afin de capturer le plus d’Acadiens possible. Plusieurs Acadiens sont morts d’épuisement. Au cours de 1756, les bateaux français qui croisent dans le golfe Saint-Laurent amènent à Québec plusieurs Acadiens réfugiés de Miramichi. À Québec, l’hiver 1756-1757 fut terrible pour les réfugiés acadiens. La famine sévit dans la colonie.
À Miramichi, la misère est extrême : l’intendant n’avait envoyé des vivres que pour 600 personnes, alors que les Acadiens réfugiés à cet endroit sont au nombre de plus de 3500. La pêche ne suffit pas à nourrir tout le monde; un grand nombre de réfugiés meurent de faim et de privation. Les Acadiens qui demeuraient à Miramichi semblent s’être séparés en deux groupes: quelques-uns se dispersent le long de la côte, de la baie de Miramichi jusqu’à la baie des Chaleurs, tandis que la grande majorité va se réfugier le long de la rivière Restigouche, où ils se sentent plus en sécurité contre les attaques des Anglais.
L'été dernier nous avons fait un tour d'Acadie. J'ai d'ailleurs écrit plusieurs billets en cette catégorie d'esprit. Mais il y en a quelques uns je n'ai jamais écrit, comme celui qui relate l'un des cotés sombres de l'Acadie que j'ai pu parfois apercevoir. Un coté que j'ai peu regardé mais qui m'est tombé sur le nez au coin d'un bac à sable de Miramichi...
Miramichi, un drôle de nom pour une minuscule ville au bord d'une grande rivière du même nom. Un nom amérindien, seul souvenir d'une époque dissolue. Une petite ville qui a connu ses heures de gloire en un passé que l'on peut encore palper mais qui n'a aujourd'hui plus grand chose à offrir au touriste de passage. L'on atterrit là par la magie du voyage. Je nous ai trouvé un petit Bed and Breakfast aussi économique qu'intriguant. J'ai tracé notre route en farfouillant le Net (tout en laissant le hasard guider nos roues libres). Mais comme nous sommes une expédition familiale, il fallait quand même un minimum d'organisation! Ainsi après une excursion enrichissante au coeur de l'Acadie. Nous laissons Caraquet derrière nous pour finir notre périple aux abords de Miramichi. Àprès trois nuits au Beaubear Manor et la visite d'un parc naturel au bord d'une interminable plage (à se faire dévorer par les moustiques), nous reprendrons le chemin qui nous conduira vers la belle province.
Le Bed and Breakfast qui nous attend se situe dans l'ancienne demeure du gouverneur reconvertie en lieu de passage. Mieux que cela, nous dégotons la meilleure chambre du Beaubear Manor, sorte de maison d'invités sur ce domaine témoin d'un autre temps. Seuls sur l'étage, nous avons quasiment la maison pour nous trois. L'endroit est imprégné d'une saveur toute victorienne, une saveur ancestrale qui dépayse mes racines francophones. Je dois même avouer qu'en arrivant là (alors que je finissais la lecture de Pélagie et que j'étais tombée en amour avec l'essence acadienne), j'ai ressenti une étrange sensation. La sensation de débarquer chez l'oppresseur. De passer dans l'autre camp...
En face du domaine, une île. L'île qui a vu passer (et périr) les acadiens d'antan, seul véritable intérêt historique de la place.
Du haut de ma chambre (au premier étage de la tourelle), je contemple l'île en face de mon regard. Mes pensées s'échappent et se noient dans le cours de la rivière tranquille. L'ile Beaubear, du même nom que le "manoir qui nous loge" me hante la mémoire. D'ailleurs ce n'est qu'au bout de deux jours que je réalise que c'est la traduction phonétique de Bois Hébert prononcé à l'anglaise. Assimilée. C'est une sensation que je n'arrive pas à écarter de mes pensées.
Une sensation particulière qui se prononce davantage lorsque je bavarde avec la réceptionniste/femme de chambre qui m'explique que comme son nom l'indique elle est de descendance acadienne mais qu'elle ne parle plus un seul mot de français. Sa mère l'utilisait encore un peu de son vivant mais elle-même s'en bat le coquillon!
Elle revendique plutôt son identité anglaise présente et j'ai l'impression qu'elle en est fière (sans pour autant renier un passé disparu auquel elle montre peu d'intérêt). Elle fait allégeance à la Reine. Elle s'approprie presque l'histoire anglaise comme si c'était la sienne. Elle s'affiche canadienne anglaise avec une telle ferveur que j'en reste un peu troublée...
"L'histoire de l'Île Beaubear (source)
Traversant des milliers d'années et plusieurs cultures, l'île s'est tenue comme une sentinelle, marquant l'histoire de manières cruelles et dociles. Divisant la majestueuse rivière Miramichi en deux branches, elle a servi aux Micmacs pour des centaines d'années pour lieu de rencontre pour le commerce et l'échange d'histoires de chasse. Les aborigènes qui connaissaient très bien l'île l'appelaient Quoomeneegook (l'île aux pins).
La Miramichi fut premièrement visitée par le célèbre explorateur Jacques Cartier, qui fit référence à la rivière comme Missamichi. En 1672, Nicholas Deny (Gouverneur de presque toute l'Acadie) devint le premier habitant acadien de la colonie française connue comme l'Acadie, maintenant le Nouveau-Brunswick. Il donna un poste de traite à son fils Richard, qui fut installé ici, à Miramichi. La guerre déclarée avec les Anglais, l'expulsion de 1755 était amorcée, forçant les Acadiens à trouver refuge par toute l'Amérique du Nord. Le Marquis Charles des Champs de Boishébert (d'après qui l'île est nommée) apporta des milliers de fuyards acadiens à l'Île Beaubear et sur les terres des environs. Un grand nombre de ces Acadiens périrent par la famine et la maladie en attendant d'être secourus. Par 1760, l'établissement entier était incendié sur les ordres du Commandant Anglais John Byron."
Il va de soi que l'on profite de notre passage en ce lieu pour effectuer la visite de ce bout de terre oublié. Mais pour dire vrai ce qui m'a marquée, durant ma visite de Miramichi, ce n'est pas tant cette étrange sensation que j'ai ressentie. Indéfinissable. Cette émotion empreinte d'une nostalgie incompréhensible puisque détachée de mes propres racines ancestrales. Non, ce qui m'a réellement marquée à Miramichi c'est une expérience humaine que j'ai vécue au coin du bac à sable collectif...
Comme la seule chose à voir en cette petite ville au bord de la rivière semble être le "Ritchie Wharf Park", nous nous dirigeons en cette direction incontournable de Miramichi :"Au quai Ritchie se trouve un parc thématique sur la construction navale, là où se trouvait jadis un chantier naval prospère. Aujourd’hui, les enfants peuvent s’amuser au terrain de jeux à thème nautique, s’éclabousser sous les jets d’eau, puis reprendre des forces avec un peu (ou beaucoup) de crème glacée! Vous apprécierez la promenade bordée de boutiques, la galerie d’artistes et les restaurants."
En guise de boutiques, il y a trois échoppes fermées et la galerie des artistes expose des photos souvenirs de la gloire passée de la ville (du temps ou il s'y construisait des navires). Nous arrivons en plein concert de musique "country" en plein air. Un petit choc culturel pour nos pommes peu habitués à ce genre. C'est assez typique pour être bien folklorique. La moyenne d'âge frise les soixante ans, pas le plus branché qu'il soit! Ceci ne semble guère déstabiliser notre petite danseuse de fille qui ne demande qu'à s'éclater...
M'zelle Soleil (deux ans et demi) version Country
Nous finissons par nous rediriger vers le parc de jeux. La petite va explorer le bac à sable et les glissades tandis que nous la surveillons assis sur un banc à cet effet. Il ne lui faut que quelques secondes pour faire connaissance avec un petit garçon d'environ cinq ans. Quelques minutes plus tard, les deux gamins ont trouvé un terrain d'entente assez vaste pour jouer ensemble. C'est mignon. Le petit garçon tout blond est à croquer. Juan avale ses jalousies paternelles pour laisser libre sa fille. Je souris en mon chignon.
À coté nous, une dame d'une quarantaine d'année surveille le petit garçon. Elle me sourit. Je lui retourne l'onde bienveillante. Les enfants glissent et s'amusent. Les minutes passent. La dame s'approche. Elle sourit encore. Quelques minutes plus tard, la conversation est engagée.
J'apprends qu'elle n'est pas la maman du petit garçon mais que c'est elle qui en prend soin pour le moment. La mère du petit habite Caraquet. Mais lui habite avec elle à Miramichi. Je sens en sa voix toute l'affection qu'elle porte à cet enfant. Elle a un fort accent acadien et j'avoue que je perds environ 20% de ce qu'elle me raconte en quelques limbes linguistiques. C'est alors qu'elle me confie cette chose qui m'a marquée le coeur. Elle me dit:
- Oh! Je suis contente que le petit s'amuse aujourd'hui. Hier cela n'a pas été drôle pour lui.
- Ah! non? Pourquoi?
- Les petits garçons qui étaient là n'ont pas voulu jouer avec lui parce qu'il parle français. Parce qu'il est acadien. Ils l'ont rejeté et cela lui a fait beaucoup de peine. Il est rentré à la maison et a pleuré pendant des heures. Là, je suis contente de le voir jouer avec ta petite fille, cela va lui faire du bien au moral....
Là, j'avoue, ma bulle d'innocence se crève comme une bulle de savon. Mon coeur de mère se serre et mon esprit francophone se révolte. La dame continue de me raconter les suites de l'histoire. Même si elle-même et l'enfant vivent en anglais et même s'ils le parlent presque plus couramment que le français auquel ils continuent d'accrocher leur langue, le fait qu'ils soient d'origine acadienne les marginalise. Ainsi lorsqu'elle est allée voir la mère de ceux qui rejetaient le petit, celle-ci l'a tant ignorée qu'il n'y a eu rien à faire. Il n'y avait pas d'autre issue pour eux que de s'en aller...
L'on sait bien que les enfants sont nos miroirs. Si la mère refuse d'adresser la parole à une acadienne, il y a peu de chance pour que ses enfants le fassent. Dire que j'étais outrée est bien peu dire. Scandalisée, j'étais. Entendre de telles histoires en 2008 me fait subitement perdre quelques espoirs en l'humanité qui me côtoie. C'est comme si le Canada venait de me donner une gifle dans le visage! Moi qui peut tant m'extasier sur les bienfaits de son multi-culturalisme! Moi qui admire sa paix civile et apprécie ses valeurs paisibles! Moi qui (dans ma tête) habite plutôt au Québec qu'au Canada. Je respire en mon âme et conscience un petit air de soufre. Fragile équilibre que le nôtre. Je sens monter en moi une colère viscérale que je ravale. Une déception teinte mes pensées de voyage. Une tristesse aussi. Je regarde jouer mon enfant solaire et ce petit garçon d'ici. Ils glissent sans se soucier de nous. Je relativise et j'inspire.
Aspirer à un monde meilleur. N'avons-nous pas déjà fait de grands progrès? Les francophones ne sont plus un "sous-peuple". Leur valeur est désormais à la hauteur de l'anglophone. Et n'ai-je pas entendu répéter à Caraquet que le Nouveau Brunswick est la seule province officiellement bilingue au Canada? De cela je suis moyennent sure. En théorie peut-être mais en pratique c'est une autre paire de manches! Même si j'ai compris que là-bas les anglophones profitent tous de cours de français à l'école, il n'en reste pas moins qu'il y a encore tout un chemin à parcourir....
Alors que notre périple acadien s'était déroulé en une sorte d'euphorie humaine, je ressens là mon premier malaise. Je découvre une facette qui assombrit mes impressions. Pourtant, je suis heureuse d'avoir eu l'opportunité d'entendre cette triste anecdote qui me permet de percevoir le revers de la médaille de la faune locale. Le sentiment d'être arrivée chez l'oppresseur n'était peut-être pas si fou...
Comme le veut la coutume locale nous quittons les lieux à la recherche des fameuses crèmes glacées. Le soleil se couche à l'horizon de la rivière. L'humeur est agréable. L'on décide de souper sur la terrasse d'un resto aux airs de bohème. Alors que l'on sirote un cocktail dans le soir qui se lève. M'zelle Soleil tourne autour des jambes de Juan lorsque d'un coup celui-ci s'écrie:
- Aaahhhh! Mais Lily-Soleil, tu fais quoi là?
Je le regarde d'un sourcil interrogateur. Il continue
- Oh my god! Lily tu fais pipi! Nooonn, arrêttte....
Je ne peux m'empêcher de pouffer de rire (Cet été la demoiselle avait encore quelques rares petits accidents de propreté). Comme nous sommes sur une terrasse de bois. Je lui demande:
- Mais y'a quelqu'un en bas? Cela a coulé?
Juan se penche pour observer à travers les interstices des planches.
- Oui, y'a un papy! Oh Lily-So voyons!
J'éclate de rire. Je suis presque fière de ma fille. Après avoir fait oublier les méchancetés de l'enfance anglophone à un petit garçon innocent, là voilà qui pisse sur la tête d'un vieil anglais! Je le sais ce n'est pas bien, j'ai un peu honte de raisonner ainsi mais je trouve cela follement drôle. Je suis incapable de m'arrêter de rire. Juan me regarde d'un sourcil froncé. Rien n'y fait, je ne survis pas à ma crise de fou rire. Plus j'y pense et plus je me marre! Je suis littéralement morte de rire. Juan prend la petite par la main et descend pour s'excuser. Ah! l'honneur de mon homme! L'une des raisons pourquoi je l'aime tant. Je le laisse faire. Trop heureuse de la connerie de ma fille pour la forcer à s'excuser de ce petit accident de rien du tout. Les minutes passent. Je reprends mon souffle. Je sirote mon cocktail le sourire au coin des lèvres. Je regarde couler la rivière. Revient alors l'homme et l'enfant. Je lui demande:
- Pis?
- Ben c'était un papy, il avait rien compris. Sur le coup il était pas trop content mais il a trouvé la petite si cute qu'il lui a pardonné sur le champ et il lui a fait plein de sourire en partant...
- Bon ben tu vois, c'est juste drôle! Quand même elle est bien bonne! Elle a pissé sur la tête d'un anglais! C'est pas non plus la fin du monde...
L'on mange des fajitas alors que la nuit tombe doucement sur la rivière Miramichi. La serveuse aussi cool que sympathique fait s'estomper cette légère animosité causée par l'histoire du bac à sable. Et pour finir notre soirée en ce petit coin de pays tranquille l'on part à la recherche du dessert local. L'on arrive juste avant que ne ferme la boutique à délices. C'est une chaude soirée d'été. La crème glacée fondante n'en est que plus délicieuse...
Page d'histoire (source)
Dans la région de Cobequid, les Anglais ne purent embarquer aucun des Acadiens : tous s’étaient enfuis soit à l’île Saint-Jean, soit à Louisbourg, soit à Miramichi. Les réfugiés y vécurent jusqu’au mois de novembre, au milieu des plus grandes privations. À ce temps, les Anglais avaient brûlé toutes les maisons et avaient organisé une battue générale dans toute la région, afin de capturer le plus d’Acadiens possible. Plusieurs Acadiens sont morts d’épuisement. Au cours de 1756, les bateaux français qui croisent dans le golfe Saint-Laurent amènent à Québec plusieurs Acadiens réfugiés de Miramichi. À Québec, l’hiver 1756-1757 fut terrible pour les réfugiés acadiens. La famine sévit dans la colonie.
À Miramichi, la misère est extrême : l’intendant n’avait envoyé des vivres que pour 600 personnes, alors que les Acadiens réfugiés à cet endroit sont au nombre de plus de 3500. La pêche ne suffit pas à nourrir tout le monde; un grand nombre de réfugiés meurent de faim et de privation. Les Acadiens qui demeuraient à Miramichi semblent s’être séparés en deux groupes: quelques-uns se dispersent le long de la côte, de la baie de Miramichi jusqu’à la baie des Chaleurs, tandis que la grande majorité va se réfugier le long de la rivière Restigouche, où ils se sentent plus en sécurité contre les attaques des Anglais.