lundi, avril 28, 2003

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Péché Salé

Il regarde par la fenêtre, devant lui s’étend l’océan qui fulmine contre les rochers escarpés. Un ciel sombre, orageux, pèse sur cet hôtel égaré au milieu des landes….

Elle regarde le plafond, il est jaune pinson vieilli, inondé d’une mer de minuscules pétales bleues. Elle se perd dans cet étrange ciel étoilé qui semble voguer au dessus de son corps dénudé. Le lit est un navire, il est le vaisseau de ses divagations, son quatre mats qui se balance au rythme de ses pensées. Son regard fuit l’homme adossé à la fenêtre, elle se replonge dans sa galaxie intérieure.

Le silence s’installe entre eux et s’accorde avec l’atmosphère brumeuse qui semble noyer ce petit hôtel surplombant l’immense falaise aiguisée par le temps et ses marées….

Elle se décide à regarder cet homme qui l’obsède et la hante. Même après l’amour, il reste cet inconnu qui s’échappe, étranger à sa vie comme un rescapé échoué à ses pieds un soir de tempête.
- À quoi tu penses ?

La question, surgissant du silence flotte dans l’air, elle se promène entre eux, elle s’envole, elle s’évade, et s’évapore dans le temps.
Il se retourne, il la regarde longuement, intensément.
- À toi….
- Vraiment ! Tu penses à moi ?
- Oui, il se tait quelques secondes, respire profondément. Oui! je pense à toi. J’imagine ton corps nu, superbe, là-bas, en bas, je l’imagine sanglant, déchiqueté, fouetté par les vagues énormes qui le poussent et le repoussent contre les couteaux tranchants de la roche aiguisée….

Elle lève la tête de son oreiller, surprise, interloquée, elle hoquète un « comment » qui s’étrangle dans sa gorge.
- Pardon ? Tu peux répéter là, j’ai pas bien compris…

Il s’approche d’elle lentement, son visage semble être sculpté dans un marbre dur et froid. Une lueur phosphorescente, énigmatique, illumine ses pupilles dilatés, il se rapproche…
- Tu m’as bien entendu, je viens de te confier le fond de ma pensée, tu as entendu l’idée exacte qui me trottait dans l’esprit au moment de ta question, tu…
- Mais, t’es un malade ! Tu peux, tu peux pas me dire un truc pareil et tu…
- Je quoi ? Je peux pas te dire un truc pareil après la baise fantastique que l’on vient de se payer ? Ou je peux pas te dire un truc pareil et te laisser quitter cette chambre ?

Il sourit. Mue d’un réflexe primal, elle se précipite vers la porte. Trop tard, il l’attrape par les cheveux, il enserre son cou fragile de ses mains larges et rudes.

Trop tard, elle sent déjà s’enfuir cette vie qu’elle aime tant. Une obscurité commence à l’envahir toute entière, elle l’avale imperceptiblement. Elle s’affaisse mollement sur le tapis. Son âme décolle. Elle flotte rapidement vers d’autres lumières, d’autres instants. Elle vole vers cette lueur, là bas, au loin, qui l’appelle…

Doucement, il prend son corps délicat dans ses bras. Il ouvre les deux battants de l’immense fenêtre, et d’un long mouvement, il la lance par la fenêtre ouverte...
Il suit du regard ce corps qui plonge, il le regarde se fracasser, au loin, contre les rochers. Il l’observe quelques minutes jusqu'à ce qu’il soit emporté par l’écume des vagues. Il ferme la fenêtre tendrement. Il sourit au reflet de son image dans la vitre embuée de cette lointaine chambre d’hôtel.

Mars 2003

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