Un instant de Pennac...
Jeudi dernier se tenait au Théâtre de la rue St-Jean dans le Vieux Québec, une «causerie» avec Daniel Pennac animé par Gilles Pellerin. Après qu’un de mes petits élèves m’eut fait mention que vendredi était pour lui et ses camarades une journée pédagogique, un petit « tilt » se fit en mes pensées. Ainsi j’aurais mon jeudi soir de congé ! J’en glissa un mot à Juan qui s’enthousiasma à l’idée d’aller voir un écrivain qu’il connaissait de par les récits que lui en avait fait sa mère, fan de l’auteur, et puis, il m’intriguait ce Pennac que je ne connaissais pas plus qu’un son déjà entendu dans quelques conversations…
Pour cause de circulation congestionnée, nous arrivâmes au petit Théâtre avec 20 minutes de retard ! Nous nous faufilâmes discrètement au fond de la salle, en chemin, un p’tit bonjour à Anita, qui par hasard se trouva assise à deux doigts de nous…
- Hé, salut ça va ?
- Ça va bien ? Toi ? Tu travailles ou c’est pour le plaisir ? T’en fais pas , il vient juste de commencer…
- Pour le plaisir, je lui réponds en souriant, et toi ?
- Le plaisir aussi, me chuchote Anita…
Nous nous installons et la vue panoramique de la scène est excellente. C’est chaleureux, une petite table de bistro, seule sur la scène. Un décor noir lettré de blanc, deux hommes à cette table qui bavardent d’esprit et d’écriture…
Au moment où je commence à l’écouter, Pennac parle de son expérience de prof, comment il aimait rassurer les enfants à sa portée, les aider à vaincre leurs peurs. D’après lui, il est nécessaire, en premier lieu, de combattre le malheur de l’enfant. Il n’y a pas de mauvais élèves, explique-t-il, mais il y a beaucoup d’enfant malheureux…
Il poursuit, avec beaucoup d’humour, son explication sur cette phrase : « lire est un acte profondément subversif. » Pour ces enfants couvés dans la société de consommation, celui qui choisit d’ouvrir un livre plutôt que de trucider des bestioles au Nintendo commet un acte intensément subversif…
C’est qu’il est pas con, je me dis, me laissant entraîner sous le charme …
Ensuite vient le rôle des boucs émissaires. Un thème qui semble particulièrement inspirer l’écrivain qui se dévoile à nos oreilles. C’est eux, dit-il, que l’on place entre nous et la réalité. Là je décroche un peu, je perds quelques minutes le fil, n’ayant lu aucun de ses livres. Pourtant à la lumière du livre que j’ai maintenant presque fini, je comprends mieux …
D’ailleurs, la discussion se tourne rapidement vers le siècle des Lumières. L’effet se fait encore ressentir chez les Français explique-t-il en riant.. D’ailleurs il continue sur le ton de la plaisanterie : « Moi, quand je lis, le soir, je n’ai pas besoin de lumière, la lumière de l’esprit me suffit ! » Et toute la salle rit avec lui…
Là, je suis transportée, complètement sous le charme de cet écrivain qui irradie l’espace si brutalement même si je le ressent comme une caresse en mon cœur. Je m’absorbe dans l’instant…
Le roman est-il en train d’expliquer a à voir avec la métaphore. L’origine profonde du roman vient du théâtre grec, la façon dont le réel est perçu est un genre d’une souplesse inouïe…
Il enchaîne sur le coté non naturel de l’écriture. Mon âme se crispe, je retiens mon souffle pour mieux écouter. Il parle du langage et de l’écriture. Écrire est un élément acquis, cela procure une sensation étrange lorsque la langue devient un élément où l’on se retrouve comme un poisson dans l’eau. Ainsi l’écriture n’est pas un acte naturel, c’est un acquis qui s’aiguise…
J’aimerais me perdre dans la coulée de ses mots, devenir poisson pour jouer dans les vagues de son esprit. Je repose les pieds sur terre et je continue d’écouter les oreilles si grandes ouvertes que mon ouie semble être le plus grand de tous mes sens présent.
Pennac raconte la recette de Miller qu’il pratique consciencieusement. Il explique qu’il ne faut jamais épuiser un moment d’enthousiasme d’écriture. Il faut allez se coucher avant de le tarir afin de conserver cette énergie et de s’en resservir ensuite pour repartir…
Encore pas con comme point ! Ça y est, je crois que je craque…
L’atmosphère se réchauffe avec la présence de l’auteur qui rigole, qui nous enrobe de ce charme posé, ponctué d’innombrables propos intelligents, qui ne peuvent que toucher l’âme sensible…
La causerie tangue vers les pièges que créent l’auteur pour attraper son lecteur, ces discours là me font toujours penser une l’araignée tissant sa toile pour bouffer la mouche égarée. Ils me perturbent. Comble de hasard, c’est à peu prés par là qu’une petite coccinelle décide d’interrompre la conversation.
_ Cher Mr Pellerin, vous avez une jolie petite coccinelle qui se promène sur votre veston, attendez, je m’en occupe…
Pennac fait glisser la petite bête sur son doigt et s’amuse un instant, le sourire aux lèvres, à la regarder se promener sur son bras…
La discussion reprend, Daniel explique qu’il a dernièrement eu l’occasion de revenir ses préjugés gastronomiques en allant manger chez l’un de ses amis québécois. Celui-ci lui aurait préparé un hamburger sur le barbecue, le tout assaisonné du ketchup maison de la grand-mère, et ce cher Pennac aurait alors eu à revoir à la hausse notre gastronomie locale..
La conversation continue de dériver, nous voilà en plein discours sur la différence des concepts d’intimité entre ici et la France. Gilles Pellerin reprend la barre de la discussion et l’on reparle littérature…
La causerie reprend de plus belle autour du romancier qui vogue, grâce à son métier, dans un monde de récits, de métaphores. Qui se pose des questions sur tout la vie, le choix des personnages, les mots. La conversation glisse sur la nécessité du roman. Le roman est avant tout un acte de foi, puisqu’il faut intensément y croire. Il faut y croire pour arriver à concrétiser de l’esprit au papier. D’après Pennac, il y a quelque chose d’irréductiblement enfantin dans le roman…
Il faut faire ce que l’on a envie de faire explique-t-il avec conviction. La coccinelle décide de revenir à l’avant-scène et en se posant sur le micro et distrait une fois encore l’écrivain. « Cette coccinelle saura lire en sortant de la salle » plaisante Pennac avant de reprendre le fil de ses idées.
C’est le temps des questions, la salle est timide, un jeune garçon pose des questions sur l’album Bd La débauche qu’il a fait en collaboration avec Tardi. Une Dame se demande ce qu’il adviendra de son personnage préféré. Pennac explique alors qu’il a un projet d’écriture qui se passerait durant la monarchie en France, il se voit mal ressusciter ses personnages dans une époque qui n’est pas la leur. Il commente aussi le fait que les lecteurs perçoivent le roman différemment de celui qui l’écrit. Ces personnages auxquels le lecteur s’attache ne sont pour l’auteur que des mots, des phrases, des structures, des thèmes, ils n’affectent pas vraiment sa réalité…
Il est bientôt temps de partir, je me lève à regret encore subjuguée par tous ces mots que je viens d’absorber en mon être. Je discute avec Anita et tous sourires nous échangeons nos impressions avant de se quitter dans l’escalier….
Nous nous concertons avec Juan à savoir si l’on devrait acheter des livres. Finalement, comme sa mère aime beaucoup Pennac, nous lui trouvons son cadeau de Noël. Sur les conseils d’Anita, j’achète le Bonheur des Ogres, et nous faisons la file pour les dédicaces…
Juan passe le premier pour Belle-Maman. Petite discussion autour de Champagnole où il a des amis. Vétéran de la dédicace, il est charmant et tilte à peine lorsque je lui dis Etolane. « Tu l’écris comment me demande-t-il avec un doux sourire. ? » J’épelle et j’en profite pour lui demander :
- À quel âge avez-vous publié la première fois ?
- 27 ans me répond-t-il…
- C’est pas si vieux…
- Mais j’ai arrêté quelques années ensuite avant de republier vers 35 ans…
Je le remercie de mon plus beau sourire et nous quittons ce petit théâtre, l’esprit nourri et comblé. Être écrivain c’est d’abord un état. Pennac trimballe cet état avec beaucoup de grâce et de modestie. C’est avec avidité que je dévore le bonheur des ogres qui fait mon bonheur…
Juan aussi l’a adoré, il était super content de notre soirée, charmé lui aussi! Ma pomme est aux anges, après avoir succombé au charme de Pennac, c’est sans grande difficulté que je retrouve mon amour pour mon homme. Celui qui me fait palpiter le cœur lorsque je le regarde et lorsque je me perds dans le gris-bleu profond de ses yeux…
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