vendredi, février 23, 2007

L'auto-stoppeur

Leave a Comment
L'auto-stoppeur

Je finis de m’entraîner. Je prend une douche rapide qui me laisse les cheveux mouillés. Ma voiture est garée à dix mètres de la porte d’entrée. C’est suffisant pour que je sente givrer les boucles sur ma tête. Les secondes que je prends pour déverrouiller la voiture et m’asseoir derrière le volant sont glaciales.

Le soir est bien entamé, je me dépêche de rentrer. L’exercice qui a étiré mes muscles et brûlé mes graisses me tient au chaud le temps que la voiture arrive à générer le chauffage intérieur. À mi chemin des vingt kilomètres qui me séparent de la maison, je vois se profiler une ombre sur le bas coté de la route. Le temps que je réalise que c’est un auto-stoppeur et je suis lui suis passée sous le nez. Je ralentis sans m’arrêter alors que mon cerveau bouillonne de possibilités. Je regarde dans le rétroviseur, la nuit posséde la consistance de l’encre de Chine. Il n’y a personne derrière moi à des kilomètres à la ronde. Son ombre se fond dans la noirceur qui l'avale. Une conversation s’enclenche dans ma tête à la vitesse de l’éclair.

- Il fait quand même -35 dehors! Tu peux pas le laisser là!
- Mais si c’est un pervers, chuchote la méfiance.
- Ouais, ça avait plutôt l’air d’un ado en vadrouille, répond la raison
- Il va congeler sur place le pauvre, en plus à cette heure-ci y’a pas un chat sur la route, tu dois lui offrir un havre de chaleur, enclenche l'émotion...
- C’est trop tard, t’es passée, fallait te décider plus tôt! Penses à autre chose…
- Mais quand même, il fait -35 et puis c’est peut-être un p’tit-cul qui va voir sa blonde! C'est bientôt la St-Valentin...
- C’est pas ton problème, il est presque dix heures, va donc retrouver ta famille…
- Ben justement à c'te heure, il risque de congeler sur place! Quand même, je peux pas le laisser grelotter au bord de la route comme cela, c’est pas humain! En plus il est habillé en noir, c’est presque dangereux, on le distingue à peine dans la nuit…

J’arrête net le flot de mes pensées pour me retourner dans une entrée et faire demi tour. Je vois le garçon dans la pénombre, je le dépasse et me retourne une autre fois. Je l’accoste, j’ouvre la porte. Un adolescent d’une quinzaine d’années me décoche un énorme sourire rempli de chaleur humaine:

- Hé, merci, t’es vraiment trop fine! J’pensais plus que personne allait s’arrêter.

Il s’assoit du coté passager et je reprends la route. Frigorifié, il souffle sur ses doigts gelés. Je lui souris. Non seulement il est aussi inoffensif qu’une biche mais en plus il dégouline de gratitude :

- Mais tu t’es retournée pour venir me prendre, c’est trop cool, t’es vraiment fine, j’y croyais plus, j'me demandais si j'allais m'en retourner..
- J’ai un peu eu pitié, il fait super froid, tu m’as fait de peine, j'pouvais pas te laisser geler sur place…
- Ouais mais quand même tu t’es retournée! C'est vraiment cool! Tsé y’en a plein qui passent et qui s’en foutent même si fait frette, non vraiment t’es trop fine…

Il m’explique combien il a hâte d'avoir son permis de conduire au printemps pour pouvoir s'acheter une vieille grouille. J’en conclus qu’il a bien quinze ans. Il va rejoindre l'un de ses amis au village à quelques kilomètres de là. Je lui parle de notre amie Charlotte qui a traversé le Canada en stop l'été dernier. Je l'observe du coin de l'oeil. Ce garçon est charmant d'adolescence effervescente. L'on discute amicalement durant le temps du trajet qui dure une dizaine de minutes. Il sent la cigarette froide et pianote distraitement sur son téléphone cellulaire, il n’en finit plus de me remercier et je n’en finis plus de lui sourire…

Je le dépose à l’entrée du village voisin de ma destination, il me remercie gentiment une dernière fois. Je bâillonne ma méfiance stupide avec la douceur de ses sourires angéliques. J’absorbe les dernières gouttes de son innocence et le plaisir qu’il m’offre avec sa gratitude à portée de cœur. Mes idées voguent vers quelques souvenirs d’une autre époque. L’impression subtile et soudaine d’être dans un entre-deux. Entre la jeune fille que je fus et la jeune fille que ma fillette sera un jour. Serait-ce le meilleur de ma maturité, serait-ce le summum de ma féminité? Une impression nouvelle qu'il me faudra explorer...

0 commentaires: