mercredi, janvier 11, 2006

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Emportée…

Hier, l’on décide avec Miss Dine de se faire une soirée entre filles pour aller voir Brokeback Mountain, le film des cowboys qui se « pognent ». Les hommes préfèrent se faire une soirée bières et billards. Et Juju qui adore les bébés décide d'en profiter pour garder Lily-Soleil. Nous décidons d’aller à la séance de 7 heures pour ne pas rentrer trop tard afin de ne pas trop déranger le cycle de la petite.

Cependant vu que nous ne sommes pas encore des pros de la logistique du nourrisson, le temps que l’on saute dans le train de notre organisation, nous arrivons avec 20 minutes de retard à la séance! Du coup, l’on décide d’aller papoter autour d’un café dans le bar branché d’à coté. Et l’on bavarde aux quatre vents, le temps d’un film, de tout, de rien, de la vie, du couple, des bébés, du travail, des sous, du quotidien et de l’étranger. Comme cela fait du bien de ne plus être juste une paire de seins qui se gonflent et s’écoulent, juste une nourrice en adoration devant les babillages de son rejeton…

Trois heures plus tard, l’on retrouve bébé pas traumatisé pour deux sous, un bébé qui a fait la fête à Juju, une Juju qui s’est très bien débrouillée. Les hommes rentrent avec des sourires jusqu’aux oreilles. Après quelques dernières discutions, l’on reprend le chemin de la maison.

Dine me prête ce livre que je veux lire depuis des semaines. Et une fois rentrée en mes pénates alors que Juan ronfle et bébé somnole, je me plonge dans le courant de ses pages désirées que j’avale d’un trait. Cela se mange sans faim. Il n’y a pas de doute, la dame écrit divinement bien.

Je comprends ce coté sombre de la maternité et je me rends compte de combien je vis différemment mon aventure de création génétique. Car il est vrai tout n’est pas aussi rose que certains veulent nous le faire croire mais tout n’est pas noir non plus. Est-ce la France qui peut rendre si amère ? Il y a dans l’hexagone des foules d’amertumes qui me perturbent, qui m’exilent. "Icitte" je ressens les choses d'une autre manière, viscérale, en ce qui me concerne tout est blanc…

Depuis plusieurs mois, j’ai pourtant aussi vécu ces chutes de moral, comme des chutes de glace qui gèlent l’esprit. Cette impression de marcher au bord de ce gouffre qui ne cherche qu’à vous aspirer. Moi la linguiste, traductrice, artiste des mots, passionnée d'images, sans plus une minute ou une goutte d’énergie pour laisser couler le flot de ce qui a toujours été l’essence de sa vie. Je perds mes mots, mon vocabulaire s’affaiblit, ma grammaire s’enfuit. Moi qui n’arrive plus à écrire une phrase sans faire une faute niaiseuse, malheureuse, ces fautes qui s’incrustent, me transpercent, m’agressent, ces phrases que je charcute et qui me laissent froide comme cette saison qui m’enserre de ses congères dégoulinantes d’hiver. Esclave de mes seins, cette usine à lait qui me suce le cerveau à petit feu. Restreinte. Les nerfs en pagaille, le moral qui déraille, la fatigue qui fait que l’on se bataille pour un rien. Et c’est sans parler de ce corps que l’on ne reconnaît plus lorsque l’on se regarde dans le miroir qui nous renvoie cette image méconnue de ce que l’on est devenue! Le temps me file entre les doigts et les jours se tissent de moi.

Est-ce que la maladie qui faillit m’emporter après l’accouchement nous fit connaître un autre déroulement? Une autre perspective? Une impression de chance pour avoir survécu au méchant et ainsi pouvoir regarder pousser cet enfant sorti de mes entrailles?

Ce livre a fait rejaillir une petite cascade d’inspiration que j’inscris ici tandis que Juan dort avec p'tite Lily. Je profite de ce petit moment de répit. Ma vie n’est pas aussi chaotique que celle de l’héroïne de ce livre digéré comme du petit lait maternel. Je la comprends, je me demande si elle n’a pas fait un gros baby blues, si ceci n’est pas le reflet de cette dépression féminine qui sévit parfois après un accouchement! Certains points me touchent singulièrement mais je ne m’y retrouve pas.

Il nous reste un certain équilibre, un équilibre défaillant que l’on travaille à retrouver, mais un équilibre présent qui nous soutient souverainement. L’Amour évolue, il se décuple dans les yeux bleus de notre enfant. Il nous protége dans les épreuves. L’on traverse les obstacles et l’on communique ce que l’on ressent au fur et à mesure que la vie nous lance ces défis que l’on affronte au quotidien. Je lis à voix haute des passages de ce livre qui m’intrigue. Juan s’étonne de la noirceur du propos sans y retrouver notre réalité conjuguée. Un peu plus tard, il joue avec bébé et soupire, : « Ah! Je suis un peu perdu moi le scientifique, un plus un égal trois. On s’est reproduit en toi! Magic bébé…» Je croque ses mots entre deux sourires, trois rigolades et un instant d’affection…

Je ne pense pas avoir perdu mes amis, nous avons encore une vie. Peu à peu je déchire ma bulle pour sortir à nouveau dans le monde des vivants. La seule différence est que maintenant je suis « parent » mais cela ne me tue pas. Cela a failli me tuer mais je suis encore là! Je revis en foulant le sol enneigé de l’hôtel de glace qui m’ouvre grand les bras. Ambassadrice de l’éphémère, je copine avec visages de passage, je capture des images glacées aux couleurs enivrantes. Honorée, je retrouve la chaleur de mon sang qui coule dans les veines de la femme que je suis. Seule, je déambule, silencieuse, je souris aux inconnus. Je m’amuse doucement…

Je rêve de liberté où je pourrais méditer davantage sur tout cela. Je rêve de phrases au futur, de sujets qui se déploient dans mon infini présent. Mais en attendant, je coupe court au rythme des mots qui m’emporte pour prendre le temps de ranger ces images de mon bébé adoré que je capture tendrement….

Extrait choisis du bouquin en question : Un heureux évènement d’Eliette Abecassis.

« (…) On était partis jeunes, libres et fous, on revenait en famille. Je ne serais plus jamais la même. Jusqu’à sa naissance, j’avais été une personne qui se construisait peu à peu, à présent c’était fini. Désormais j’étais vieille. C’était moi le passé. Je ne vivrais plus au jour le jour. J’étais responsable de quelqu’un d’autre que moi. Plus jamais je ne serais insouciante. Plus jamais je ne serais seule. (…)

(…) Je découvris la nouvelle personne qui allait partager ma vie. J’étais étonnée de la facilité et de l’aisance avec lesquelles elle avait pris possession des lieux : elle s’était installée chez nous de façon naturelle comme si c’était chez elle. (…)

(…) Je suis la femme délaissée, la femme enchaînée par la vie, la femme hébétée, je suis la femme qui se tait, qui en silence se déplait, qui tout bas sait qu’elle s’est laissé traversée par les années, je suis l’apôtre du quotidien, la femme blessée, qui ne se relève pas, la femme glacée qui mesure ses pas. (…)»

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