Sarah et Wojtek. (Chapitre cinq)
Récapitulatif (partie: I, II, III, IV)
Leurs deux silhouettes s’éloignèrent rapidement dans la brume légère. À l’horizon le soleil perçait avec vigueur les nuages sombres, au loin des coups de feu résonnèrent dans un silence de mort…
Vidri ouvrit la porte de sa chambre sous les toits, il laissa passer Sarah devant lui. Elle ne résista pas à l’envie de s’allonger sur le lit de fer coincé entre un vieux bureau débordant de paperasse et une lourde armoire de chêne. Vidri sortit deux tasses d’un placard au dessus de la cuisinière. Il mit de l’eau à bouillir et se retourna vers Sarah. Il la contempla en silence, les bras croisés. Profondément endormie, une mèche noire s’était échappée de son chignon et lui couvrait le front. Paisible, si jolie dans la détente, un souffle régulier s’échappait de ses lèvres entrouvertes. Vidri s’approcha du lit et couvrit sa cousine d’une épaisse couverture brune. Il s’installa dans ce fauteuil de cuir rabougri qui faisait face au bureau. Il regarda par la fenêtre le jour se couvrir de nuages opaques. IL resta là un long moment, pensif, silencieux. Il finit par sombrer dans un sommeil sans rêves.
Dans une petite ville plus à l’ouest, un train de marchandise se préparait à son prochain arrêt dans une petite gare de campagne. Un officier nazi, assis nonchalamment sur un banc, regardait approcher le train. Il souffla sa dernière bouffée de cigarette et l’écrasa sous sa botte. Il se leva au même moment où le train s’arrêtait et marcha en direction du conducteur.
Dans l’un des derniers wagons de ce train de marchandises, Wojteck, couché entre deux sacs de toile se réveilla avec le bruit des freins sur les rails. Il se leva prestement et se haussa sur une pile de sacs de grains pour jeter un coup d’œil par la fenêtre. Il vit l’officier nazi arpenter le quai. L’homme en uniforme jappa un ordre et deux soldats sortirent aussitôt de la petite gare. Ils commencèrent à inspecter les wagons. Wojteck pouvait entendre leurs rires gras se rapprocher. Il attrapa son sac et se glissa derrière une énorme pille dans un minuscule recoin au fond du wagon. Tremblant, il s’efforça de respirer le moins possible.
Il entendit s’ouvrir la porte latérale du wagon. Des pas résonnèrent sur le plancher de bois. Un homme sifflait. Il se replia pour se faire tout petit et retint sa respiration jusqu’à s’étouffer. Incapable de respirer, il se recroquevilla davantage sur lui-même. Il entendit s’éloigner les pas et se refermer la porte. Il lâcha l’air bloqué dans ses poumons et resta là quelques minutes. Il finit par reprendre en main ses émotions et se glissa hors de sa cachette pour guetter les mouvements sur le quai. L’officier aboya un ordre indistinct. Le train branla bruyamment et se remit péniblement en marche. Wojteck, pensif, anxieux, s’assit sur un sac de toile, la tête entre les mains. Il ne savait pas où ce train le portait. Il savait seulement qu’il venait d’éclater sa vie. Au fond de son cœur, il gardait espoir de retrouver Sarah. Au fond de sa tête, il savait qu’il ne reverrait plus jamais ses parents. Une douleur lancinante cillait son cœur et son âme. Dans l’obscurité, il laissa couler les larmes silencieuses sur ses joues sans réaliser que ce train l’emmenait toujours plus à l’ouest...
Alors que le soleil de midi se cachait derrière les nuages dans le ghetto de Varshaw, Sarah fut tirée de ses rêves par une sonnerie stridente qui lui perçait les tympans. Elle ouvrit les yeux pour apercevoir son cousin qui enfilait rapidement ses chaussures. Un brouhaha confus s’élevait de la rue ponctué de tirs et de cris lointains. Sarah écarquilla les yeux de terreur alors que la porte s’ouvrait violement pour laisser place à un petit groupe de soldats nazis. Ils agrippèrent son cousin par les bras et le tirèrent vers les escaliers. L’un deux, plus grand et plus blond que les autres s’approcha de la jeune fille assise sur le lit. Il lui sourit d’un air mauvais. Il ordonna à ses hommes de partir sans lui et ferma la porte sans un autre mot.
Seule avec ce nazi immense, Sarah frissonna de peur. Son cerveau hurlait le nom de Wotjeck mais ses lèvres restaient closes. Il lui semblait être complètement paralysée. Incapable de faire un mouvement, elle regardait l’homme enlever sa veste. Elle avala péniblement sa salive lorsque celui-ci laissa glisser son pantalon pour découvrir son sexe, énorme, qui dépassait de son caleçon sale. Il attrapa Sarah d’un bras et la leva devant lui. Il déchira sa robe d’un geste brusque et entreprit de lui pétrir un sein d’une main tandis qu’il arrachait ses bas de l’autre. Paralysée de peur et de honte, Sarah eut l’impression de se transformer en poupée de chiffon.
Lorsqu’il la jeta sur le lit pour la pénétrer d’un coup sec, elle suffoqua de douleur. Un hoquet s’échappa de ses lèvres muettes et des larmes chaudes inondèrent son visage blafard. La souffrance lui parut intenable, elle crut mourir dix fois sous l’assaut animal de ce corps qui lui broyait la chair. Lorsqu’il eut finit son gâchis. Le nazi se releva et éclata de rire. Il lui cracha au visage : « Sale juive, tu en as de la chance aujourd’hui! » Il la gifla sans raison avant de se rhabiller rapidement. Sarah sentit un liquide chaud lui couler entre les jambes, une vague de nausée lui retourna l’estomac. L’homme sans un regard vers elle quitta la chambre en deux pas. Lorsqu’elle vit se refermer la porte derrière lui, elle réussit enfin à se relever. Elle retrouva juste assez de force pour se plier et vomir à ses pieds toute la bille qui lui restait dans l’estomac. Elle regarda ses cuisses blanches tachées de sperme et de sang. Elle enleva ce qu’il lui restait de vêtements. Grelottante, elle se dirigea vers la vieille bassine en fer remplit d’eau trouble et entreprit de se laver tout en sanglotant de colère et d’horreur...
En quelques jours à peine, sa vie avait été transformée en un interminable enfer. Sa famille avait disparue. Certainement embarqués dans l’un de ces convois de la mort dont parlaient les rumeurs chuchotées. Sarah savait qu’elle avait peu de chance de les revoir un jour. Elle pensa à Wotjeck le seul garçon qu’elle n’avait jamais aimé. Elle avait toujours cru au fond de son cœur que Wotjeck serait le premier. Toutes ses idées tendres s’écroulèrent au souvenir de l’instant passé. Seule dans cette petite chambre oubliée, elle entendit au loin d’autres tirs, d’autres cris. Larmoyante, elle s’enroula dans une couverture et s’installa dans le fauteuil de cuir qui conservait encore un peu de la chaleur de son cousin disparu avec sa virginité et le reste de son innocence...
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