Sarah et Wojtek (Chapitre 2):
...Finalement ils se décidèrent à redescendre sur terre, tenaillés par la faim et grelottants dans l'air gelé de la nuit. À l’instant précis où ils arrivèrent doucement devant la porte de la maison de Wojtek, un chien aboya et le perron s’illumina. La porte s’ouvrit et deux uniformes verts agrippèrent Sarah par les épaules et la poussèrent de force dans la voiture garée non loin…
Sarah se retrouva coincée entre deux brutes en uniformes qui la regardaient fiévreusement et qui semblaient vouloir se perdre dans la contemplation de sa poitrine offerte sous sa chemise trempée. Elle sentit bientôt des mains se promener sur son corps et triturer ses formes et sa chair fraîche. Une nausée brutale envahit ses sens. Elle se débattit de toute son âme, hurlant et suppliant à la fois. Mais que pouvait-elle faire, frêle Sarah, contre ces deux gorilles émoustillés par sa jeunesse et sa beauté ?
Par un miracle, la voiture s’arrêta et la porte s’ouvrit dans un bruit sec. Elle fut poussée à l’air frais par l’un des deux gorilles. Elle inspira longuement, ferma les yeux doucement, espérant secrètement se réveiller dans la tiédeur de ses draps, pourtant elle ne pouvait échapper à ce un cauchemar humain et en rouvrant les yeux, elle ne vit qu’une longue cour, éclairée par trois lampadaires, pleine de femmes, de vieillards et d’enfants, l’œil hagard, la mine défaite, la plupart en haillons et en pleurs. Il lui sembla voir une rivière de larmes grossir, grandir et l’emporter violemment. Tout ce chagrin ambiant lui enserrait le cœur, étouffait ses pensées amères et lui semblait aussi visible que les arbres en fleurs qui trônaient au milieu de cette cour lugubre...
L’un des gorilles la poussa dans la cour, il en profita pour lui serrer une fesse sans délicatesse avant de retrouver ses compères derrière la grille. Cette horrible grille, haute et laide, qui emprisonnait cette cour isolée, de la vieille gare désaffectée où elle venait parfois jouer enfant. Sarah pouvait entendre résonner leur rires gras tandis qu’elle essayait, en créant le silence dans sa tête, de ne pas comprendre les remarques salaces à son sujet. Elle regarda autour d’elle, cherchant désespérément un visage connu. Elle pénétra un peu plus dans cette cour respirant à plein nez la sueur et la peur de tous ces gens éplorés…
Une angoisse terrible entournait sa vision. Elle ne pouvait distinguer les visages autour d’elle. Elle sentit la panique remonter de ses entrailles et inonder le réseau de ses nerfs à fleur de peau. Prise d’un vertige soudain, elle eut un sourire furtif lorsque les pétales dans les arbres, se mirent à tourbillonner comme envoûtés par une musique invisible. Elle entendit ces quelques mots chuchotés à son oreille « une folle danse florale pour Sarah dans son cercueil... » et elle s’étala net sur le sac bien rembourré d’un grand-père, assis la tête entre ses mains.
Elle resta affalée un moment tandis que le vieil homme relevait péniblement la tête. Il prit délicatement celle de Sarah sur ses genoux cagneux. Elle ouvrit les yeux, elle échangea un regard surpris avec ce visage ravagé par le temps qui lui souriait douloureusement. Elle se releva et s’excusa doucement. Le vieil homme lui dit :
- Je m’appelle Sosko, et toi ?
- Sarah…
- Ne t’en fais pas Sarah, on ne restera pas là longtemps, le prochain train est pour bientôt, j’ai entendu les gardes en parler tout à l’heure…
- Le train ? Je cherche mes parents, ils ont été pris ce matin, croyez-vous qu’ils aient pris un autre train ?
- Ils ont certainement pris celui de midi, j’ai failli le prendre, mais il n’y avait plus de place alors ils m’ont dit d’attendre. Je suis resté là tout l’après midi tandis qu’ils débarquaient des camions entiers de femmes, d’enfants et de vieillard comme moi, tous ces gens que tu vois là…
- Mais, le train, il nous emmène où ?
- Je suis presque sur que nous allons à Varshaw, pourquoi ? Je ne sais pas…
Sarah, s’assit en silence à coté de Sosko. Elle ferma les yeux et se plongea dans ce monde intérieur qui lui donnait la force et le courage de ne pas sombrer dans cette folie qui la guettait du coin de l’esprit. En cet univers intime, elle voyait rire ses parents et jouer ses frères, elle sentait l’herbe onduler sous le vent et Wotjek lui souriait amoureusement, les bras tendus vers elle….
Une sirène retentit et explosa son petit monde secret, elle ouvrit les yeux pour voir arriver le train sombre et bruyant…
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