L’enfant et le chat.
L’enfant vit dans une maison où règne une petite communauté féline. Seule Nougatine était là avant l’arrivée de l’enfant. Nougatine est la digne descendante d'une longue lignée aux branches multiples qui s’aligne sur cinq générations. Une lignée féline qui prit racine en notre foyer humain il y a de cela plusieurs années. Cependant les dangers de la forêt sont tels que chaque été est meurtrier. Chaque été décime les sujets de notre population de chats. Chaque été malmène nos harmonies félines.
Nougatine est la seule survivante de la dernière période estivale. Ginette-Georgette, Savane-A et Grosse Patate sont les rejetons de la dernière portée de Nougatine et de Bergamote. Bergamote et son frère Praliné ne passèrent pas l’été. Après quatre saisons meurtrières et la vie qui n'en finit pas d'évoluer, il m’est toujours aussi impossible de me passer de chats. Leur présence m’est indispensable. J'ai tous les jours besoin de ma dose féline. Cependant mon inspiration pour les nommer se tarit comme en témoigne la dernière portée et il m’est légèrement plus difficile de m’y attacher. Pourtant, me voilà l’émotion bien attachée à Nougatine, reine de son royaume, incroyablement agile, à l'intelligence acérée, chasseuse hors pair (capable de d'attraper sa proie même avec une clochette au cou), délicieusement affectueuse…
L’enfant entretient une relation particulière avec Savane-A, jolie fille de Nougatine. Savane-A, aussi minuscule de taille que grosse de bedaine, comme un baril prêt à exploser. Savane-A cherche l'enfant, se roule à ses pieds, toute douce, c'est la première qui accoure lorsque l'enfant pleure, crie ou rage. Ceci désamorce bien souvent les pleurs stridents. Une précieuse aide féline pour la mère humaine qui trime à l'ouvrage bambin.
Il y a quelques jours de cela, l’homme regarde passer le chat qui se traîne la panse, il me lance un regard perçant et me demande:
- Mais dis, elle serait pas enceinte elle?
- Mmmm, mouais, il était temps que tu t’en rendes compte, elle est bientôt due! Je me demandais si tu allais percuter avant qu’elle n’accouche!!!
Il maugrée et je souris sous cape. Par amour, il accepte mes besoins félins, il les supporte, en aime certains et change la(les) litière(s). Ce qui, en soi, est une preuve d’amour! Quatre chats est mon minimum, c’est désormais son maximum, un équilibre est atteint. L'époque des colonies est révolue. Une nouvelle génération s'en vient, il me sera difficile de tous les donner. L’expérience sera bénéfique pour Lily-Soleil. Et si les deux plus jeunes femelles passent l’examen des beaux jours, elles se feront opérer tout comme Nougatine l’est déjà. J’espère que Nougatine passera l’été sans se faire attraper par les dangers qui rôdent en notre brousse. Mon coeur en a marre d'enterrer ses compagnons intimes mais se refuse à leur soutirer cette liberté à laquelle ils ont droit.
L’enfant a appris à (re)connaître les chats et à respecter leurs limites, à s’adoucir à leur contact, à les intégrer dans ses journées. Elle les cherche. Elle les trouve. Ils sont devenus ses compagnons de jeux. Elle joue avec « la papate » mal-aimée qui n’est déjà pas gâtée de ce nom dont je l’ai affublé mais qui, en plus, n’a rien de charmant en soi. C’est tout le portrait de son père! Un matou mal famé qui s’est installé en notre cabane durant notre absence l’hiver dernier alors que j’étais malade et nous avions dû prendre quartier en ville.
La (Grosse) Patate est un chat grassouillet (né rachétique, chaton famélique, il perdit sa mère en bas-age et fut alllaité puis sevré par Nougatine qui prit sous sa coupe les petits de sa soeur lorsque cette dernière disparut subitement, Nougatine s'étiola à la tâche mais arriva à sauver les petits orphelins assoiffés), trapu, court sur pattes, le regard fuyant, à l’intelligence bancale, limite agressif si on l'embête. C’est malgré tout une bonne pâte en son genre. L’enfant sait qu’il griffe, elle le cherche du bout des doigts sans le provoquer. Elle se joue avec brio de ses humeurs malcommodes. Il n’attaque jamais. Il se contente principalement de délimiter son territoire ou de se cacher, les oreilles basses, en un recoin sombre d'où elle ne peut le déranger.
L’enfant sait approcher timide Ginette-Georgette qui a presque peur de son ombre. Elle qui disparaît d’ailleurs plus vite que son ombre au moindre sentiment d’insécurité mais qui se laisse si facilement manipuler par l’enfant charmant. L’enfant papouille avec tendresse l’animal qui ronronne sous ses brusques caresses. L’animal se frotte, l’enfant grimace. L’enfant glousse et passe de longues minutes à gazouiller avec l’animal comblé. À la suite de «Maman et Papa» l'un des premiers mots de l'enfant fut « Miaou », ce qui fit la fierté de sa mére enchantée.
L’enfant sait qu'il lui faut respecter Nougatine, fécondée de l’affection qui naquit entre Pimprenelle la rescapée et Hypérion. Ces deux là vécurent une subtile histoire d'amour féline qui me fascina un instant l'imaginaire. Hypérion fils de Gaia fille de Bamboo. Nougatine, nouvelle chef de clan entretient avec l’enfant une relation plutôt indifférente. Elle fait pourtant le bonheur de l’enfant qui s’amuse joyeusement en sa compagnie silencieuse…
Lorsque l'enfant est en crise, les chats se dépêchent d'intervenir, l'un après l'autre, ils pointent leurs moustaches fines pour voir ce qui se trame. Nougatine a tendance à me regarder d'un air outré. Savane-A se colle à l'enfant en détresse. Ginette-Georgette, toute douce, ose une léchouille. La (Grosse) Patate suit les autres et entre dans la ronde sans trop comprendre pourquoi. Ensemble, ils entourent l'enfant en larmes et de leurs attentions félines arrachent des sourires salés à l'enfant décontenancé par tant d'affection animale.
Dans l'instant en images attrapées, la mère attentive décrypte (après coup) les gazouillis de l'enfant pour y ressentir le baragouinage qui désigne Nougatine. Sage Nougatine qui se fait mâcher menue dans la bouche de l'enfant innocent. L'enfant qui pratique cette langue que je materne religieusement. La mère attendrie s'imprègne des mimiques de l'enfant chéri. Le foyer ronronne.
Au détour d'une conversation nocturne, je questionne l'homme sur la filiation des félins qui vivent à nos cotés. L'homme blasé a la mémoire bien courte. En quelques minutes, je retrace la lignée des dernières années. L'on se remémore quelques aventures croustillantes. Je vois défiler les souvenirs de mes chats défunts. Je me souviens de toutes ces tragédies félines. Quelques pincements de coeur se font ressentir. L'homme est beaucoup moins émotionné que ma pomme. Je dépasse régulièrement ses limites lorsqu'il s'agit de ma tolérance des chats. J'écoute pour la éniéme fois les complaintes masculines. Je compatis. Il me sourit. Un chat s'étire.
Au coeur de la petite maison de galets, les chats domestiqués mènent leur petit train d'existence sans se préoccuper outre mesure de l'humanité qui les nourrit. Tout comme leurs maîtres, plus patients peut-être, ils attendent l'arrivée du printemps qui réveillera la nature et les sens en dormance...
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