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En ce matin de mars, -35 dans le vent! Après un léger redou qui nous fit (rêver) presque frôler le zéro et une petite tempête pour saupoudrer le tout, c’est le retour de l’air arctique qui descend du Grand Nord.
Après des journées teintées de neige, le soleil revient frapper à mes fenêtres. Encabanée avec mon bébé, je materne à gogo. J’éduque à petites doses, j’observe avec attention, apprentie maman à temps plein, je profite de ces instants bambins. Réfugiée au royaume des tendresses, je me fonds en des régiments de baisers qui s’éclatent au festival des chatouilles. Lily-Soleil bataille la routine des siestes, perce des canines, fait l’acrobate ou le clown, rigole à pleine gorge, comprend ce qu'on lui dit, grimpe sur tout ce qu’elle trouve, essaie de parler…
- Hawaye ah. Ka ah gugou tuc! Héyoha a pa qhech ta abouqué. A titetita begeo. Ayeu ayhou a kaka. Abequi ho apique ayeho abeyouha! Schtou?
Être vigilante, patiente et attentionnée. Aimer. Expliquer les faits et gestes d’une journée pour enrichir le vocabulaire en gestation. S’écouter vivre. Apprendre à déchiffrer les balbutiements d’un langage qui se forme. Des plages de silences s’insèrent au rythme des heures qui s'effacent. Les jours se passent. Lily-Soleil découvre sa langue maternelle dans ma bouche. Elle absorbe et assimile les sons qui se lient aux choses de son monde. Elle échappe de longues tirades de plus en plus complexes. Elle s'exprime, explique, bavarde, enchante. «Maman » est le mot le plus populaire du lot, suivi de « Papa, Ka (chat), Miam-miam (manger) », le reste est un charabia élaboré que je décrypte à la pratique. S’en suivent quelques conversations surréalistes.
Une journée typique se déroule en un long monologue. Chansonnettes, autorité douce et changements de couches ponctués d’expressions enfantines sont à la source de mon quotidien. Parfois, c’est vrai, j’étouffe. Je me replie sur moi-même. Je laisse couler les émotions. Ses sourires et ses gestes de plus en plus affectueux, cette confiance avec laquelle elle me berce sont des bols d’oxygéne pure que j'inhale avec bonheur. Un certain équilibre s’installe. La mère prend sa place au sein de mon identité, je me reforme, (tout comme mon corps de plus en plus ferme). Je me mue. À pareille date l’année dernière, je n’étais plus qu’une larve en larmes. Avec l’été est apparue la chenille, au creux de l’hiver, la chenille est prête à mourir. En suspension, elle s’isole et devient chrysalide. (Quand les chenilles ont terminé leur développement, elles effectuent une dernière mue qui fera d’elles des chrysalides. Ce stade est appelé « stade nymphal ». C’est le stade le plus vulnérable dans la vie d’un papillon.).
Je n’ose pas encore faire le point de cette grossesse qui m’a fracassée l’être. L'enfant est le trésor que j'ai gagné. Semaine après semaine, je me rappelle qui je suis. J’assassine les démons qui s’agitent dans le noir. Le regard perdu dans le vide, je me souviens de ces mois si difficiles où les étoiles dans leurs yeux furent les seules lueurs de mes obscurités. J’enveloppe mes réalités dans un cocon de neige immaculée. Je monte le son. Lily-Soleil posée sur ma hanche, sa petite main accrochée à mon épaule, je danse. Je suis femme, je suis mère et je suis vivante…
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