Bottée par le petit génie du ménage tout rose qui me suit à la trace de mes pensées, bien décidé à ne pas me voir flancher devant la tâche de ma journée! Pourtant, malgré lui, un plaisir de petite fille s’égare en ces lieux...
Je me suis rappelée, ce matin, le bonheur lointain de mes lectures des Malheurs de Sophie. Combien de fois n’ai-je pas parcouru les pages de mon livre perdu? Prisonnière de l’univers de Sophie, j’oubliais tout. Je riais toute seule, amusée dans le silence de ma tête, toute heureuse de vibrer en ce monde de mots qui enjolivait ces journées d’enfance disparue...
Ce matin, je retrouve un petit plaisir oublié, « La chaux » faisait partie de mes "malheurs" favoris. Je la regoûte, mutine, en ce matin mouillé. Puis je m’éclipse dans mes devoirs adultes...
CHAPITRE 3 : LA CHAUX (Extraits)
La petite Sophie n'était pas obéissante. Sa maman lui avait défendu d'aller seule dans la cour, où les maçons bâtissaient une maison pour les poules, les paons et les pintades. Sophie aimait beaucoup à regarder travailler les maçons ; quand sa maman y allait, elle l'emmenait toujours, mais elle lui ordonnait de rester près d'elle. Sophie, qui aurait voulu courir à droite et à gauche, lui demanda un jour.
SOPHIE : Mais, maman…
LA MAMAN, l'interrompant. Voyons, ne raisonne pas tant et tais-toi. Je sais mieux que toi ce qui peut te faire du mal ou non. Je ne veux pas que tu ailles dans la cour sans moi. "
Sophie baissa la tête et ne dit plus rien ; mais elle prit un air maussade et se dit tout bas :
" J'irai tout de même ; cela m'amuse et j'irai. "
Elle n'attendit pas longtemps l'occasion de désobéir. Une heure après, le jardinier vint chercher Mme de Réan pour choisir des géraniums qu'on apportait à vendre. Sophie resta donc seule : elle regarda de tous côtés si la bonne ou la femme de chambre ne pouvaient la voir, et, se sentant bien seule, elle courut à la porte, l'ouvrit, et alla dans la cour ; les maçons travaillaient et ne songeaient pas à Sophie, qui s'amusait à les regarder et à tout voir, tout examiner. Elle se trouva près d'un grand bassin à chaux tout plein, blanc et uni comme de la crème.
" Comme cette chaux est blanche et jolie ! se dit-elle, je ne l'avais jamais si bien vue ; maman ne m'en laisse jamais approcher. Comme c'est uni ! Ce doit être doux et agréable sous les pieds. Je vais traverser tout le bassin en glissant dessus comme sur la glace. "
Et Sophie posa un pied sur la chaux, pensant que c'était solide comme la terre. Mais son pied enfonce ; pour ne pas tomber elle pose l'autre pied, et elle enfonce jusqu'à mi-jambes. Elle crie ; un maçon accourt, l'enlève, la met à terre et lui dit :
" Enlevez vite vos souliers et vos bas, mademoiselle ; ils sont déjà tout brûlés ; si vous les gardez, la chaux va vous brûler les jambes. "
Sophie regarde ses jambes ; malgré la chaux qui tenait encore, elle voit que ses souliers et ses bas sont noirs comme s'ils sortaient du feu. Elle crie plus fort, et d'autant plus qu'elle commence à sentir les picotements de la chaux, qui lui brûlait les jambes. La bonne n'était pas loin , heureusement ; elle accourt, voit sur-le-champ ce qui est arrivé, arrache les souliers et les bas de Sophie, lui essuie les pieds et les jambes avec son tablier, la prend dans ses bras et l'emporte à la maison. Au moment où Sophie était rapportée dans sa chambre, Mme de Réan rentrait pour payer le marchand de fleurs.
La suite et bien d'autres par là...
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