L’histoire se déroule dans un pays qui n’est plus le nôtre, il y a de cela si longtemps, que l’on ne se souvient plus de ces quelques siècles, qui laissèrent pourtant des traces invisibles au plus profond de nos gènes. Dans ce temps là, l’Humanité subissait le souffle de la Bête sans se rebeller. Elle se transformait subtilement sous ses effluves obscures. Hommes, femmes et enfants devaient vivre au quotidien avec le flot de pensées ténébreuses qui inondait chacune de leurs émotions aussi pures soient-elles...
Beaucoup se laissaient tout simplement engloutir, sans grande résistance, ils se laissaient glisser avec le flot. Certains arrivaient mieux que d’autres à juguler ce courant redoutable composé de haine, d’amertume, de jalousie, d’hostilité, de colère et de toutes ces humeurs de la même veine. Ceux qui résistaient étaient rares, souvent dénigrés par la masse qui exposait son ombre gigantesque au grand jour. Ceux-ci ne possédaient pas les signes extérieurs de mal-être glorieux. Ils étaient ostracisés par la norme qui se définissaient selon d’autres formes.
Cette norme avait accepté l’Ombre en son sein. Elle l’acceptait et la mettait en valeur sans honte aucune. Elle se laissait porter par ses règles et oubliait, même en plein soleil, toutes les lumières de son cœur. Dans cette société à l’aspect patibulaire, les gens les mieux placés, les plus respectés étaient ceux qui faisaient croître leur Ombre personnelle à l’extrême. Ceux qui avaient réussi à rendre celle-ci visible à l’œil nu. L’Ombre était un symbole de puissance et de force. Sous forme de nuage sombre ou de bosse noire, généralement posée sur le dos, l’Ombre, formée de cette étrange fumée opaque semblait émaner de la personne elle-même. Elle était un signe de noblesse dans tout le royaume des Ombres.
Ceux qui refusaient cette façon d’exister étaient relégués au plus bas rang social. La plupart s’exilaient volontairement sur quelques terres isolées. Ces pauvres âmes formaient des cliques marginales, souvent réprimées, qui vénéraient le soleil et l’Amour universel. Dans ce monde où la haine faisait loi, les jours sombres étaient vénérés. Il fallait avoir foi en la souffrance et le mensonge, si l’on désirait faire grandir l’Ombre hors de sa propre peau...
Chaque enfant naissait avec une prédisposition plus ou moins grande à l’épanouissement de la noirceur en son cœur. Il fallait ensuite la chérir, la nourrir, lui donner des armes pour lutter contre la lumière qui naturellement s’installe en tout bébé. Il fallait briser l’espoir, tuer l’innocence, entraîner les désespoirs, attiser les mauvais sentiments toujours prêts à jaillir dans les bonnes circonstances. Le royaume des Ombres était un monde où régnaient les peurs et les vices en toute impunité. C’était une époque terrible où le sang coulait si régulièrement que plus personne n’y prenait garde. Souvent, l’on concevait un enfant dans l’unique but de le détruire pour se donner plus de force maligne, dans le seul but d’aider son Ombre à apparaître enfin à la vue de tous. L’on se mutilait inutilement pour faire enfler la souffrance en soi. Il fallait par tous les moyens imaginables donner le plus de munitions possible au mal afin qu’il adopte l’humain en son entier et se fonde en son âme pour l’intégrer à sa puissance. Le nombre fait la force. Dans ce temps là, les Ombres contrôlaient les esprits et ensanglantaient les vies.
Des siècles durant, les gens vécurent ainsi en ce royaume étonnant au roi invisible. C’est de ces très anciennes légendes humaines que s’est propagée l’idée de l’enfer parmi nous. Certains artistes puisent encore dans la mémoire collective pour s’inspirer et se représenter des images de cet Enfer si cher aux fervents catholiques de notre ère.
Dans ces temps immémoriaux, les Ombres roulaient leurs bosses sur le dos des hommes, femmes et enfants. Elles flottaient aussi en nuages macabres au dessus des têtes indifférentes. Ces nuages faisaient parfois éclater de violents orages qui détruisait l’être, tout content de perdre un bout de cervelle pour la cause! Tout allait pour le pire jusqu'à la naissance de Caliel en une petite île tropicale, loin des fureurs citadines et des mégalopoles tentaculaires...
Caliel était une anomalie comme il en est naît parfois sans que l’on sache pourquoi. Un être si pur qu’aucune malice ne pouvait pénétrer son âme, celle-ci glissait en ses pensées sans rien pouvoir accrocher. Il possédait un cœur de lumière où aucune noirceur ne pouvait se développer. Il était imperméable au mal. En lui aucune ombre ne pouvait éclore. Il n’avait même pas besoin de se battre, il lui suffisait d’être pour éclairer toute personne à ses cotés. Fort heureusement pour sa survie, il était né dans une petite communauté d’exilés, il avait pu grandir sans orages pour perturber le cours de son enfance.
L’île de sa naissance faisait partie d’un atoll perdu au milieu des océans. Ignorés de tous, cet attoll regroupait des dizaines d’îlots tous peuplés de communautés où des dizaines de familles évoluaient en paix. Caliel avait grandi parmi la communauté d’Hahasiah située au centre des activités culturelles de ce petit peuple ignoré du reste du monde. Pour les citadins du royaume des Ombres et même pour les habitués des campagnes, cet endroit n’existait pas. Il avait été rayé des cartes du royaume des décennies auparavant et plus personne ne se souciait de ses habitants. Toute cette région était, de toute façon, très peu convoitée. C’était un petit paradis terrestre qui ne pouvait rien apporter à toute personne désirant voir son Ombre grossir au grand jour! Entre palmier et mer turquoise, la végétation luxuriante exhibait ses couleurs et abritait une faune merveilleuse. Le soleil brillait à l’année longue, le climat était doux, le paysage trop beau pour ne pas se laisser emporter par la douce magie des lieux, pour ne pas se laisser inonder de lumière et de bonheur gratuit...
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