mardi, octobre 12, 2004

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Sarah et Wojtek (Chapitre sept)
Chapitre: I, II, III, IV, V, VI

À l’horizon du ghetto de Varshaw, un petit jour gris se levait. Éclairant à nouveau les horreurs de cet endroit maudit, une autre journée débutait en enfer. Dans un immeuble délabré, perdu au milieu de dizaines d’autres pareils que lui, dans une petite chambre sombre sous les toits, Sarah, emmitouflée dans une couverture rouge rêvait aux délices de l’Amour...

Elle se réveilla dans la nuit noire. Elle se força à ouvrir les yeux, elle avait faim, son estomac gargouillait et hurlait sa colère. Contre ses premières volontés, le cœur pesant, elle se leva péniblement. Elle vacilla plusieurs fois avant de trouver un équilibre précaire sur ses jambes engourdies. Elle ouvrit silencieusement les placards et les tiroirs du petit logis pour n’y découvrir qu’un vieux morceau de pain noir, une livre de sucre et un peu de café.

Elle grignota le pain dur et mangea un peu de sucre en suçotant ses doigts gelés, peu à peu, quelques gouttes d’énergie vaines lui parcoururent le sang. Elle retourna s’asseoir dans ce fauteuil qui conservait l’empreinte réconfortante de son cousin disparu. La tête entre les mains, incapable de faire un geste de plus, elle se sentait chavirer toujours plus loin. L’angoisse, plus que la peur, la parcourait toute entière. Une angoisse chaude, sourde à tout raisonnement, une détresse corrosive qui lui brûlait le ventre douloureusement et lui glaçait la chair en même temps.

Inondée de pensées brumeuses, elle se sentait prisonnière d’un gouffre étourdissant qui l’empêchait de penser normalement. À l’intérieur de son cerveau flottaient librement les éclats de sa vie passée. Ils scintillaient comme des étoiles perdues au fin fond de l’univers et elle pouvait les contempler jusqu’à ne plus se sentir exister. Sarah se sentait déchiquetée au plus profond d’elle-même. Le flot de ses idées reflétait son état d’esprit perturbé. Elle se laissait couler dans cette cascade vrombissante qui frappait ses eaux sur ce lit de rochers escarpés, écueils de ses pensées meurtries. Dans le plus grand des silences, d’heure en heure, elle se vidait de sa vie…

Elle sentait la mort tout autour d’elle, elle s’en fichait, son âme était une plaie à vif. La mort l'enrobait et elle la souhaitait comme guérison à ce mal qui l’enivrait. Quelque part dans le quartier, des cris, des tirs, le vacarme du chaos de ce nouveau quotidien. Elle ne ressentait plus cette panique des premiers jours. Un étrange calme l'habitait désormais. Elle s’approcha de la fenêtre givrée.

Le ciel était dénué de lune et d’étoile, aussi sombre qu'un purgatoire, il effleurait le toit des bâtiments voisins grâce à une brume menaçante. La rue était déserte. Sarah colla son nez contre la vitre, aucune lumière, si ce n’est ce réverbère jaunâtre, n’éclairait la noirceur dans laquelle était plongé ce quartier si triste. Au bout d’un long moment, ses yeux s’habituèrent à la pénombre environnante, elle discerna les contours de corps empilés en un petit tas au coin de la rue. Elle frissonna de dégoût. L'horreur semblait régner sur chaque atome de ce quartier lugubre. Que pouvait-elle bien faire en un tel endroit? Quel espoir restait-il à ses jours? Elle se sentait pénétrer dans un tunnel opaque, un tunnel qui menait aux entrailles du monde, là où aucune lumière ne brillait…

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