Le chagrin joue avec mes émotions…
Juan dort encore…
Je repense beaucoup à son accident depuis ces derniers jours. Cela fera un an dans un mois à peu prés. Je remercie le ciel de sa clémence envers nous. Je ne pense pas que ma santé mentale aurait survécu à ce que j’assiste à la mort en direct de mon jeune mari ! Je pense que quelque chose aurait craqué en moi, un bon séjour à l’asile dans cette perspective. Croire en l’amour…
Je repense parfois à ces deux jours d’attente avant l’opération, à ces 24 heures d’incertitude, de peur et d’angoisse, transformée en 48 heures par raison…
Juan devait se faire opérer le dimanche dans l’après-midi. Sa fracture au cou était instable, des petits morceaux d'os éparpillés menaçaient la moelle, enserré dans un carcan, il avait ordre de ne pas bouger. Les heures étaient longues…
Vers 4 heures le chirurgien passe par les soins intensifs et s’arrête dans sa chambre.
- Bonjour Juan, ça va ?
- Aussi bien que possible j’imagine…
- Écoutes, je viens te parler de ton opération…
Elle tourne son regard vers moi, assise depuis 18 heures sur ce fauteuil aussi inconfortable qu’une chambre de torture. Je gigote d’inconfort..
- Voilà, tu sais que c’est une grosse opération qui t’attend. Cela fait deux fois qu’ils retardent ma place pour la salle, comme c’est là, on pourra pas commencer avant 5 heures ! Nous serons deux chirurgiens, nous sommes confiants qu’il est possible de te remettre sur pieds. Mais c’est une opération délicate. Nous devons être en forme. Ainsi je suis venue te voir pour te demander si tu nous autoriserais à t’opérer demain matin. Je dois t’avouer que je suis ici depuis ce matin et comme pour mon collègue, c’est une opération que je préférerais faire après une nuit de repos. Si tu es d’accord, je te cédule tout de suite pour 8 heures demain matin, on passera les premiers, tu comprends, je préfère t’en parler, est-ce que tu te sens capable de repasser une nuit de même…
Juan me regarde, j’acquiesce en un regard, il répond avec un sourire :
- Docteur, je préfère que vous soyez fraîche et en forme pour m’ouvrir. Je préfère que l’on repousse à demain. C’est difficile, mais je vous fais confiance…
- Votre femme reste avec vous ?
- Oui, je reste avec lui.
Elle me regarde avec gentillesse.
- Il est pas confortable ce fauteuil n’est-ce pas ?
- Heu non ! Je grince un peu des dents. C’est terrible…
- Je vais aller parler aux infirmières pour qu’elles essaient de te trouver quelque chose de plus confortable pour passer la nuit…
- Merci, je réponds doucement.
Elle se tourne vers Juan.
- Merci, écoutes pour l’instant, tout va bien, tu as retrouvé tes mouvements et tes sensations. Tant que ton état reste stable, je ne pense pas qu’il y aura un problème à ta guérison, ce sera long, mais je pense que tu iras bien, nous avons l’habitude de ce genre d’opération, tu as été bien chanceux à date, il n’y a pas de raison…
- J’espère Docteur, j’espère, il répond en lui souriant…
Elle repart, et c’est reparti pour 12 heures de supplice. Juan ne se sent pas la force de devenir quadraplégique, il est déjà diabétique depuis ses 15 ans, il comprend le sérieux d’une maladie et refuse de toutes ses forces cette éventualité.
Toute la nuit, je refuse avec lui, je ne sais pas par quel miracle, mais nous avons eu des moments de rire, des moments où je le divertis, des moments où il m’attendrit, des moments d’amour, entrecoupés de moments de peur intense, de frayeurs vertigineuses où les petites heures de la nuit rappelait la mort et nous montrait des destins paralysés. Nous avons prié. Je pense que c’était la première fois pour Juan. Je lui ai appris « Je vous salue Marie ». Je crois au culte de Marie. Je ne sais pas si il la sait encore. C’est une croyance forte parmi toutes celles qui sont ancrées en moi. Les heures furent longues…
Lorsque l’heure de partir en salle d’opération arriva, nous étions prêts.
Mais ce jour là, c’est encore une autre histoire…
D'ailleurs c'est à peine si je sais pourquoi j'écris ces mots...
Depuis que nous sommes revenus du vétérinaire, ma peine m’apporte sur un tableau d’argent ces souvenirs qui me hantent l’esprit, qui encombrent mes idées, et qui refusent de me lâcher, alors je laisse couler le fluide des mots…
Masao Ota
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