dimanche, novembre 09, 2008

Maux à mots

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Maux à mots...

Lac de novembre

Après la neige du mois d'octobre, jeudi dernier a appelé l’été à la rescousse. Près de vingt degrés sous mes tropiques, surtout ne plus chercher à comprendre les saisons qui déraillent…

Le lac lisse comme le plus parfait des miroirs m’accueille le regard gourmand. Il fait prés de 20 degrés au soleil, pour un mois de novembre c’est particulier. En tee-shirt sur la plage, je contemple le paysage. Je me doute qu’en une telle journée, je peux m’attendre à voir des algues bleues-vert. Les éclosions de cyanobactéries naissent de la chaleur du jour, l’automne est leur saison de prédilection, pourtant je ne me doute pas de ce qui m’attend à la surface de l’eau.



Depuis un mois, le village est en gros travaux, la rue principale est un énorme chantier. L’on ne peut plus passer, d’énormes gouffres empêchent toute circulation. La municipalité est en train d’investir quatre millions de dollars dans la réfection de notre système d'égout devenu désuet. C’est une excellente initiative qui ne pourra, à long terme, qu’aider la santé du lac. Cela vaut tous les inconvénients de réfection. Mais je me demande bien quelles sont les répercutions actuelles de ce chantier sur le lac. À cette époque, le village est déserté (il compte environ 5000 habitants durant la saison estivale et prés de 400 à l’année). Nul va s’en dire que c’est durant la saison estivale que ce plan d'eau est plus exploité. Il y a encore cinquante ans, ce grand lac (anciennement nommé "Grand lac des Vents") vivait tranquillement entre ciel et collines. Aujourd’hui, c’est encore un petit joyau de nature réputé, même s'il souffre plus qu'on ne peut le soupçonner...

Je m’avance sur la plage en champ de bataille, il ne me faut pas longtemps pour réaliser qu’une forte éclosion d’algues bleues dessine à la surface de l’eau de tristes symptômes. L’atmosphère anormalement chaude semble en suspension. Pas un souffle d’air à l’horizon. Le lac est strié de cyanobactéries. J’empêche Chanelle de s'y tremper le museau. Je rencontre une dame avec un chien sur la plage. Alors qu’elle me salue, je l’aborde pour lui parler de l’eau. Elle me demande :

- Justement je me demandais c’était quoi, c’est de la pollution?
- Non c’est des algues bleues
- Ah c’est d’ça que ça a d’l’air alors…

S’ensuit une conversation sur le sujet où j’enfile mon habit d’éducatrice bénévole en matière de lac et d’eutrophisation accélérée. Elle me remercie des informations pertinentes que je partage librement. Je continue d’investiguer la rive. Je rencontre une autre dame, plus âgée, plus chic. Je lui montre mon désarroi. Elle comprend ma peine. Elle me dit : « Va voir plus loin c’est pire ». L'on papote quelques minutes. Je suis le sable qui se verdit de cette mousse presque phosphorescente. Je vois un tuyau qui se vide directement dans le lac. Je remarque qu’une forte concentration d'algues bleues se retrouve autour de cet étrange tuyau qui glougloute. Je prends note. Je capture les images des dégâts, une pénible sensation au fond du cœur. Je rencontre deux petits vieux au bout de la plage. Rendu là, j’ai la hargne. Je sens monter ma révolte. Je l’étouffe de mon mieux. En ma peau rebelle, la militante s'est éveillée. J'accoste le couple si ridé qu’il en est fripé (moyenne d'âge 85 ans). Ils sont si vieux qu'ils en sont mignons. Rendu à un âge ancestral, l'on redevient aussi inoffensif qu'un bambin en bas âge et inconsciemment c'est touchant. Je m'attends des vieux à une certaine sagesse et je suis toujours déçue lorsque je ne la retrouve pas (ce qui est ici le cas). Incrédule, je les écoute minimiser la situation :

- Ben, c’est pas si grave, y’en a à chaque année…
- Ah bon?!? En tout cas, y’en aura encore l’année prochaine et l’année suivante, c'est un cercle vicieux qui va en s’empirant…

Je sais qu'ils me baratinent la poire, le passé ne comptait avec ce phénomène précis. Je sais que ces éclosions sont récentes, je sais qu'elles sont un signe du futur. J'en connais beaucoup qui vivent ici depuis des décennies et qui n'ont jamais vu cela...

Je sais que plusieurs personnes préfèreraient éviter le sujet surtout lorsqu’ils l’ont dans la face. Certains arrivent même à feinter de ne rien voir. J’ai déjà constaté que plus ils sont vieux, plus ils ont tendance à se foutre de l’état de la planète qu’ils laissent derrière eux. Cela m’estomaque. J’avale ma rage. Je reprends le chemin de sable qui m’offre la vue des excès de notre modernité.

My creation

Je croise deux petites madames, gentiment, je les force à ouvrir les yeux. Elles les écarquillent bien grand tandis que j’éclaire une petite zone de connaissance. Tout le monde ne ressent pas la même indifférence mais tous semble nager dans la même ignorance! Je recroise la dame qui m’avait indiqué où se situait le pire. Elle me dit :

- Ah! C’est beau quand même
- Oui mais cela serait plus beau sans les algues bleues! Pour ma part c’est une belle journée un peu gâchée par cette présence d’algues bleues...

Elle se contente d’acquiescer sans oser répliquer. Je poursuis sur ma lancée :

- On est pas sorti du bois…
- Non, je crois pas…

Verrais-je en cette croyance une étincelle de conscience? Je m’accroche à cette lueur d’espoir. Dans quelques jours je rencontre le directeur général du conseil municipal. Pour la cause j'enfilerai mon habit de journaliste et j'essaierai de creuser ce sujet aussi sensible que profond.

À force de faire des vagues sur le sable, je vois plusieurs de mes rencontres bavarder avec les ouvriers, je vois quelques têtes haut placées sur le chantier. Alors que je retourne sur mes pas, là où les cyanobactéries étaient le plus visibles, je remarque que l'on a déplacé l'étrange tuyau afin de créer un courant qui disperse le problème. Étouffer le sujet sensible. En parler le moins possible. L'éviter de son mieux. Voilà ce qui me semble être la nouvelle politique municipale. Je grogne en mes pensées troublées. J’ai mal à mon lac, mal à ma Terre. Et j’ai honte de mes pairs…

Lake Mirror

Eutrophisation: "L'accroissement des apports, en particulier en phosphore, facteur limitant le plus fréquent dans les lacs, a conduit à une eutrophisation accélérée qui se caractérise par une forte prolifération végétale. Cette biomasse, composée en majeure partie d'éléments de grande taille peu consommables (algues coloniales ou filamenteuses parfois toxique, Cyanobactéries) n'est que partiellement recyclable via le réseau trophique : une grande partie va sédimenter. L'augmentation de la matière organique sédimentée favorise la croissance des bactéries hétérotrophes qui consomment de l'oxygène en dégradant les composés organiques. Une charge excessive et une température élevée (durant l'été en région tempérée) aboutissent à une désoxygénation des eaux profondes et à une minéralisation partielle des substances organiques. La durée et l'épaisseur de la couche anoxique dépend de la charge organique et de la température (agissant sur le métabolisme bactérien).

Si la couche anoxique est assez épaisse, la désoxygénation conduit à une crise de fonctionnement, ou dystrophie, caractérisée par la production de méthane et d'hydrogène sulfuré avec prolifération de bactéries phototropes anoxygéniques ("malaigues" des lagunes méditerranéennes). En outre , une forte sédimentation des particules accélére le comblement des lacs. L'arrêt ou la réduction des apports anthropiques stoppe ou ralentit le processus d'eutrophisation. Le phénomène est cependant irréversible tant que perdure la couche de sédiment où le phosphore est piégé. C'est l'ensemble de ces processus qui constitue le phénomène d'eutrophisation et non la seule prolifération végétale qui n'en est que l'expression la plus visible. (lien source)"

4 commentaires:

Beo a dit…

Avec de telles photos révélatrices... il me semble que c'est difficile de fermer les yeux non? Grrrrrr!

Ta pancarte de Remax n'est guère encourageante non plus :(

Etolane a dit…

Oui, c'est dur de se fermer les yeux mais certains y arrivent et je dirai que la municipalité n'est pas forte sur le sujet présentement. Coté pancarte, en fait c'est l'un des derniers terrains de bord de lac pas construits qui est en vente! Depuis que l'ancêtre a trépassé les enfants liquident tout son petit bois, ils risquent de faire une fortune mais c'est de cela que le lac n'a besoin... En fait je crois que l'on a atteint la capacité du lac d'absorber nos modes de vie. Plus d'habitants avec la mentalité actuelle et l'on coure irrémédiablement à la catastrophe...

Anonyme a dit…

J'ai un ami qui mène le même combat que toi, sur son lac :) Mes parents oeuvrant dans le domaine de l'eau, c'est un sujet qui me tient à coeur :) Continue tes interventions. C'est en changeant son environnement immédiat qu'on arrive à changer véritablement les choses.

Etolane a dit…

Je crois aussi qu'il faut agir à sa petite échelle avant de voir avancer les choses à grande échelle! Mais c'est un sacré combat... Contente de savoir qu'on la mène sur multiples fronts...