Tranche matinale d'automne
Ce matin, le ciel était bleu comme les yeux de M’zelle Soleil. Pendant que l’on déjeune, je remarque que le toit de la voisine est blanc de givre. Depuis ma fenêtre je vois que la plupart des cimes des arbres sont dénudées. Une certaine nostalgie m’enrobe. L’homme beau comme le jour prend le chemin de son bureau en ville. M’zelle Soleil et ma pomme en pyjama commençons notre journée. La maison en ordre scintille d’ordre et de propreté si l'on oublie que ma chambre est occupée par un capharnaüm de vêtements en vrac. L’enfant joue gentiment à coucher son bébé sans se préoccuper de sa mère mal réveillée.
Il me prend l’idée d’aller plier du linge. Étrange idée. M’zelle Soleil prend quelques minutes à comprendre que je ne me mise en tête de faire du ménage. Elle commence par s’y intéresser. Je plie trois de ses pantalons. Elle commence à vouloir m’aider. C’est là que les choses se corsent. Elle tient mordicus à m’aider tout en faisant tomber mes piles, tout en emportant trois vêtements dans sa chambre qu’elle jette joyeusement dans son lit. Avant que cela ne dégénère davantage, je change d’idée. Ne serait-il pas le temps de s’habiller? J’enfile une tenue de jour confortable. Fraîche comme un petit pinson, elle m’explique tout ce qui lui passe par la tête pendant que j’essaie de l’attraper pour l’habiller. J’ai dans l’idée d’aller prendre du soleil frais. Pendant que je lui explique mes projets, elle en profite pour foutre un peu de bordel dans mon salon bien net. Résignée, je soupire entre deux sourires.
Nous voilà enfin prêtes pour le départ! L’air est frisquet mais empreint d’une exquise pureté. Quelques arbres jaunis offrent au paysage des soupçons de fééries de saison. L’enfant papote allégrement. C’est fou comment le langage s’incruste rapidement une fois que le processus est enclenché! Elle fait désormais plusieurs phrases par jour, je crois que l’on pourra bientôt proclamer officiellement qu’elle parle. Ce qui je dois avouer me remplit d’un mélange de bonheur et frayeur conjugués en une curieuse émotion. Mais le bonheur est plus fort que la peur. Je l’écoute, je réponds, l’on communique. Une nouvelle étape se franchit alors que tombe la barrière du langage. Elle aura deux ans le mois prochain. L'on descend les escaliers. Comme à chaque fois que l’on part en promenade, le même manège, elle se décide à savoir si elle prend l’une de ses deux poussettes ou l’une de ses deux espèces de charrettes tandis que je suis commise d’office à la « grosse » poussette. La sienne, celle qui me sert irrémédiablement à la ramener de nos vadrouilles sauvages. Ce matin, elle y va pour une bruyante charrette qui se prend pour un berceau et qui est rempli d’eau. Je m’apprête à vider l’engin lorsque je réalise qu’il y a une fine couche de glace à la surface. Je la casse. Il a définitivement gelé cette nuit.
Le ciel bleu comme les yeux de ma fille peint le décor du jour. L’automne est encore bien joli même si la plupart des feuilles se meurent désormais sous nos pas. Il fait doux au soleil. Mon petit brin de fille est en pleine forme, elle trottine avec entrain à mes cotés. L’on s’arrête devant la maison d’une voisine au bout de la rue. Une petite dame avec un chien qui jappe pour un oui pour un non, la petite dame adore l’enfant et l’enfant aime bien le chien! La petite dame, après s’être extasiée sur ma merveille chérubine, me dit que cela s’est bien rafraîchi. Je lui réponds qu’il fait encore bien bon au soleil. L’on continue notre chemin. Tout au bout de la rue qui croise la route principale qui traverse le village, l’homme maniaque d’ordre et de propreté est sur son terrain. Il ratisse sa pelouse qui luit dans la lumière matinale. C’est sûrement la seule pelouse du coin sans une seule feuille morte pour la défigurer! Ce monsieur m’hallucine. Certainement à la retraite, il est tout le temps en train de papouiller son terrain. L’on se salue et l’on traverse. Chanelle, comme à son habitude, est aux anges. Un calme serein imprègne toute l'atmosphère. L’on prend ce petit sentier qui mène à l’un de mes coins de lac privilégiés. Ces coins secrets que je partage désormais avec mon petit brin de fille qui s’amuse du froissement des feuilles sous ses pas. Je me souviens de cette sensation oubliée. Le bonheur de batifoler sur des épais tapis de feuilles d’automne. Vieillir blase. Je secoue l’un de ses blasements en appréciant de nouveau cette sensation d’enfance.
Le lac est aussi bleu que le ciel. Chanelle de ne se fait pas prier pour s’y tremper les pattes. L’enfant s’amuse des quais démontés qui s’empilent sur les rives. Elle découvre un vieil escalier branlant qu’elle prend un malin plaisir à escalader. Vigilante, l’œil acéré, je la laisse un peu faire tout ce qui lui passe par la tête tout en l’enrobant de tant de précaution que je n’en reviens même pas de la puissance de cette mère poule qui a pris résidence en ma peau. Je lui répète tant de faire attention qu’elle finit par se moquer de moi en répétant « tennnssionnn » dès que j’ouvre la bouche! Je me calme subtilement les hormones pour la laisser profiter de la douceur du temps. J’essaie de retrouver les zénitudes que cet endroit m’apporte habituellement mais la mère poule fait obstruction à ma détente. Résignée, je soupire entre deux sourires. L’on prend le chemin du retour.
L’on prend notre temps, l’on ramasse des feuilles, l’on respire l’air pur. L’on retrouve la route que l’on traverse en sens inverse. L’homme ne frotte plus sa pelouse immaculée, il a dû rentrer manger. La petite dame et son chien ne se pointent pas le bout du nez. L’enfant commence à fatiguer. Il est passé onze heures et le soleil chauffe la peau rafraichie par ce petit vent qui annonce l’hiver non loin. La lumière est limpide, plusieurs nuances de jaune se volent la vedette. La lumière transperce les feuilles translucides qui s’accrochent aux branches. L’on rentre en la chaleur de notre foyer. L’on enlève nos manteaux. Je prépare notre repas. Poisson frais et petit pois. Midi sonne à l’horloge invisible du temps qui n’en finit jamais de s’écouler…
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