vendredi, février 16, 2007

Vrac sous la neige.

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En vrac sous la neige.

Après la tempête, le jour se lève sur un univers recouvert d’une épaisse couche de neige, près de quarante centimètres qui étouffent les bruits matinaux. Tout est immaculé, entre deux bourrasques folles, le soleil éclaire un paysage lunaire.

Papotages de voisinage entre deux bancs de neige, l’homme d’en face aide le mien pour pelleter notre entrée submergée d’hiver en poudre. Juan part au bureau avec une bonne heure de retard.

Non loin, des rires et des cris, les deux fillettes de la rue, en congé d’école ensevelie, jouent à se rouler dans ce petit paradis blanc, à culbuter sur les pentes douces, à descendre ces buttes gourmandes qui avalent les centimètres accumulés des entrées déneigées. Ma puce les regarde par la fenêtre et en mère indigne que je suis, je n’ai pas le courage de me dévêtir de mon pyjama pour enfiler mes trois couches ou transformer bébé en esquimau sur pattes. Ce matin, en mettant le nez dehors, le -30 caché dans le vent m’a vite refroidi les ardeurs et j’ai fui dans la chaleur de mon cocon. Et puis Lily est encore trop petite pour en profiter à son aise et je suis trop paresseuse pour l’y aider! Je préfère donc passer un coup d’aspirateur pour contrer la présence animale en notre foyer et lire quelques livres à un petit bout de chou conquis par des histoires d’abeilles qui butinent...

Sa vitalité m’entraîne l’humeur fatiguée par de trop courtes nuits et je souris à ses mimiques clownesques. De plus en plus fillette, elle m'enchante le coeur qui flanche devant son petit minois. Il me semble qu’elle grandit à la vitesse de la lumière. Elle comprend de plus en plus de choses. Elle n’en finit plus de babiller sur le cours de ses journées, essayant de plus en plus souvent d’articuler des mots entiers, de répéter ce que je lui raconte. Elle maîtrise de mieux en mieux les sons qu’elle accorde en ses longues tirades qui me laissent perplexe. Elle discute un téléphone sur la joue. Elle empile ses blocs avec dextérité. Elle monte et descend du sofa en quelques galipettes. Elle joue gentiment avec ce chat qui s’est épris d’elle. Chaque jour, elle appelle « Maman » des centaines de fois, pour l’aider à attraper quelque chose, pour me montrer ce qu’elle aimerait faire, pour se faire prendre, cajoler, rassurer, pour un oui, pour un non, c’est « Maman » à la rescousse! Plutôt casse-cou avec pas mal de suite dans les idées à mon goût, aussi rapide que l’éclair, elle se déguise en M’zelle Bordel ou Miss Connerie selon que j’ai le dos tourné ou occupé.

L’un de ses nouveaux trucs est de frotter. Enfin une activité tranquille et inoffensive! Il suffit que je lui donne un vieux chiffon et c’est parti que je te frotte le plancher ou la table du salon avec vigueur et concentration. Elle sait maintenant tenir un crayon entre trois doigts et commence à prendre conscience qu'elle peut gribouiller des pages blanches ou tout ce qui lui tombe sous la main. J’aime être témoin de tous ces petits gestes qui la font grandir. J’aime l’observer du coin de l’œil en lui faisant croire que je ne la regarde pas pour mieux épier ses petits jeux de plus en plus pensés.

Mardi, tombe la neige, l’air s’étant radouci, je prends mon courage à deux mains pour sortir dehors mon bout de fille. Toute heureuse, elle laisse fondre la neige sur ses joues rosies de froid. Ses petits pas crissent sur le sol qui se ouate. L’on voit passer le bus scolaire. Depuis que Raphy la petite voisine va à l’école, le bus scolaire repasse à heures régulières dans la rue. Deux autres fillettes l’utilisent aussi, petites filles de notre ancienne voisine de l’autre bout de la rue. Lily-Soleil connaît le bus scolaire (il faut dire que c'est l'un des seuls véhicules qui passe devant chez nous!). Elle le regarde déjà avec curiosité, un jour elle trépignera d’envie d’y monter et bientôt je l’accompagnerai devant le pas de ma porte pour la voir monter dans le ventre de la grosse bête jaune. Devenir parent accélère le temps qui nous file entre les doigts!


envoyé par Etolane


L’on continue de profiter de l’ambiance feutrée de cette journée de douce tempête. Pas de vents dans les couloirs de ma forêt, juste la neige qui n’en finit plus de tomber. Chanelle blanchit avec les minutes qui s’écoulent. Soudain, l’on voit approcher deux fillettes. Lily-Soleil très intriguée se dirige vers l’enfance qui l’appelle. Rencontres entre deux flocons. Petit meeting de morceaux de futur insouciants. Raphy, 6 ans et Patty, 9 ans papotent. Lily-Soleil se met de la partie. Patty se prend d’affection pour Chanelle qui n’en peut plus de se faire si bien flatter. J’attrape l’instant qui passe du coin de mon objectif…

J’ai des flashs de ma vie de parent qui jaillissent sous les secondes qui défilent. Je reprends en main le temps et avant que la nuit ne tombe, je rentre ma progéniture en mon cocon. Bienheureuse de sa sortie sociale, Lily-Soleil vaque à son quotidien sage. Quotidien construit de découvertes, de merveilles et de compréhensions nouvelles ponctué de l’intarissable « Maman»! Petit mot qui veut tout dire à la fois et qui m’attache les pieds sur terre.

Toute la nuit qui sépare mardi de mercedi, la neige n’en finit plus de tomber. Dans le silence onctueux du soir couché, je regarde le paysage se recouvrir de milliers de paillettes qui scintillent en une calme mélodie. Une fois le bébé endormi, l’on dîne en amoureux, simplement, tendrement. Le joli bouquet bleuté livré par un petit monsieur dans la matinée m’entraîne dans des sourires silencieux. Rien qu'un jour comme un autre même si plus attentif que les autres. Une douceur parallèle au bonheur...

Revient le jour et le silence enneigé d'après la tempête, l’homme part au bureau après avoir extraits des passages de vie dans ce désert. Lily-Soleil s'endort, en pyjama sous mon manteau d’hiver, je sors croquer des morceaux d’hiver. Passe la charrue qui en quelques secondes recouvre l’entrée d’un amas de neige bien épais plus gros que ce que la tempête avait laissé durant la nuit. J’entends hurler l’homme dans ma tête : « Maudite marde, maudite charrue! ». Je ne peux m’empêcher de rire sous ma cape, c'est ironiquement drôle. Nous sommes les seuls des sept familles qui vivent sur la rue à l’année à ne pas avoir de service de déneigement. Juan déneige à l’ancienne, à la pelle. Parfois, il rugit et vocifère tout autant qu’il pellette! S’il avait vu ce que je viens de voir, je crois bien qu’il aurait manquer de s’étrangler ou d’étrangler le chauffeur innocent! Comme je suis de l’une de ces femelles qui ne pellette pas, je peux me permettre de faire preuve d’une grande patience lorsque jaillissent les colères de l’homme et sa pelle. Je gèle un peu sur place, je me fraie un chemin par dessus le banc de neige compacte afin de regagner mes pénates bien chaudes.

L’après-midi m’apporte sur un plateau d’argent un tourbillon de petites filles. Raphy et Patty débarquent sur mon balcon. Elles n’ont pas d’école à cause de la tempête et se cherchent de quoi s’occuper les heures. Lily-Soleil ouvre de grands yeux étonnés. Rares sont les enfants qui pénètrent son antre. Voyant ici l’occasion d’offrir à ma fille unique couvée dans mes jupes solitaires un peu de vie sociale, j’invite les filles à entrer et à prendre leurs aises. Elles se départissent de leur carcan d’hiver pour se trémousser dans leurs habits d’intérieur. Un tourbillon de fillettes vient de prendre d’assaut ma maison. Je me laisse porter par la vague. Patty, la plus vieille me demande la permission d’appeler sa grand-mère qui réside à cent mètres. Je lui tends le téléphone.

- Allo Mamie?
- …
- Je suis chez Lily-Soleil…
- ….
- Je suis venue avec Raphy, on voulait jouer avec Chanelle et la maman de Lily-Soleil nous a dit qu’on pouvait jouer un coup avec Lily-Soleil.


Je réalise que c’est la première fois que Lily-Soleil est représentée comme une petite personne. Une petite personne avec des amis qui lui rendent visite. Flashs de futur parental. Ça donne quand même un coup de vieux "l'Être parent"! Je suis bien la maman de Lily-Soleil. Je n’ai ni prénom, ni autre occupation que celle-ci, dans le regard de ses fillettes qui me sourient, je ne suis rien d’autre qu’une maman comme les autres. Okay, une maman cool quand même! D’ailleurs je sens Patty enquêter mon cas. Je sais qu'elle m'a vue exister durant des années alors que je vivais en ce chalet près de sa grand-mère. Je la vois essayer de percer mes mystères, c'est mignon comme tout. Raphy entraîne Patty dans la chambre de Lily qui les suit en trottinant. Elles s’extasient sur ses peluches et les fées qui décorent ses murs, la collection de boules de neige y passe, Lily-Soleil s’insère dans la petite troupe sans problème.

Une heure plus tard, se dessine les prémisses d’un petit mal de tête, Lily-Soleil fatigue. En deux coups de cuillère à pot, je retourne à la rue mes petits voisines et je couche l’enfant épuisée. Malgré l’emprise du cocon de l’hiver qui nous enferme un peu dans notre petite bulle, Lily-Soleil n'est pas du tout sauvage, plutôt extravertie sur les bords, curieuse et confiante, à peine timide, elle approche et se laisse approcher sans crainte. Je suis heureuse de constater que même si elle ne connaît pas la garderie, elle n’en est pas moins sociable dès que l’occasion se présente. Le jour tire à sa fin. Lorsque la nuit sera tombée, mon homme rentrera de la ville pour se heurter au mur de neige devant l’entrée, je l’entends déjà invectiver l’hiver…

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