Croquer la pomme (sans en avaler le vers)...
Je réalise du fin fond de nulle part (à moins que cela ne jaillisse de mes picorées d’Andrée-Anne, Jade et ces autres célibataires sur la Toile) que cela fait plus de 17 ans que je vis en couple.
J’ai désormais 34 ans. Deux projets de couple dans mon historique. Le premier qui dura presque dix ans et le deuxième présent depuis plus de sept ans avec cet homme qui en a sept de moins que moi. Le deuxième bénéficie de l’expérience (et du bagage) du premier. Le premier fut aussi divertissant que destructif, le deuxième se veut constructif et passionné. Deux jolis garçons totalement différents. Un petit blond aux cheveux bien raides, bien nanti, sûr de lui, plutôt superficiel sur les bords. Un grand brun aux boucles folles comme les miennes, sensible, adonis diabétique aux profondeurs parfois tourmentées.
J’ai tué les derniers relents de mes sentiments du premier avec les ardeurs amoureuses du deuxième. Je ne ressens plus rien pour l’Autre. J’en suis la première étonnée. Peut-être que si je le revoyais un jour je ressentirais quelques chatouillis de cœur mais je doute que cela puisse dépasser ce léger degré d’intensité. Dix années atomisés par le feu de ma volonté, par les révoltes de mes douleurs, par le besoin irréversible de le voir disparaître dans la poussière du temps.
Je n’aspire pas à la quantité mais bien à la qualité. La quantité m’a toujours rebutée, la qualité m’attire irrésistiblement. Mais la qualité est rare. J’aimerais faire taire le dicton « jamais deux sans trois ». Mais l’on se sait jamais de quoi demain sera fait. L’on ne peut qu’espérer, rester vrai, essayer de son mieux de ne pas tomber dans les pièges du jeu dangereux. Travailler l'équilibre.
L’Amour possède la fragilité de la vie, il existe lui aussi sur un fil…
L’amour n’est au fond qu’une facette du couple harmonieux, une facette importance mais pas toujours nécessaire si l’on se penche sur ces cultures qui arrangent les mariages sans égard pour les cœurs pris en otage de traditions ancestrales.
Alors que j’errai dans les ruines de ma première relation. Deux fantômes perdus dans un désert aride. J’eus l’occasion de rencontrer une jeune hindoue de mon âge. Son mari faisait ses classes avec mon ex conjoint, nous avions 25 ans toutes les deux. Ils avaient une petite fille de trois ans. Nous nous sommes liées d’amitié dans nos détresses féminines malgré les énormes différences culturelles. Seule en région parisienne, elle ne parlait pas un mot de français et de toute façon n’avait guère le droit de quitter le petit studio où elle vivait. Manju, superbe femme au visage fier, à la peau velouté d'ailleurs, empreinte d'une douceur soumise. Elle avait fait ses études universitaires sans l’espoir de pouvoir en profiter (à moins du miracle d'un mari d'exception).
Petit à petit, elle s’est ouverte à moi. Okay, je lui ai aussi un peu tiré les vers du nez car son cas m’intriguait et que je m’ennuyais monumentalement dans les ruines arides de ce quotidien qui m'enserrait l'être en peine. Apprendre à la connaître et essayer de comprendre cette destinée qui était sienne me remplissait de frissons. J’essayais de ne pas trop exposer mes valeurs féminines pour ne pas trop la troubler. Elle se confiait à moi avec tant de candeur. Elle, qui était prisonnière de cette vie me dévoilait ses émotions secrètes, elle me parlait de ce qu’elle n’avait jamais osé parler avec ceux de sa famille, de sa culture. J’étais à la fois fascinée et si triste, moi qui n’avais pas la clé pour lui ouvrir cette cage qui l’étouffait. Elle est entrée droit dans mon cœur. Un jour elle m’a dit :
- Tu sais, j’ai toujours su que je ne choisirais jamais mon mari. Alors toute petite je priais le ciel pour que mon mari soit bon pour moi, pour que je puisse arriver à l’aimer et pour qu’il m’aime aussi…
Je ne sais pas jusqu’à quel point le ciel l’avait entendue, jusqu’à quel point cela aurait pu être pire pour elle. Ce que je sais, c’est que son mari ne valait pas de la « schnout » à mes yeux! Il l'appréciait moindrement, la dénigrait quotidiennement, il la dominait allégrement sans même se poser de questions. Et qu’est-ce qu’il pouvait me faire les beaux yeux ! Je jouais le jeu, pour elle, parce-que d’une certaine manière je l’aimais elle et que j'avais envie de le torturer un peu comme il la torturait. Je le voyais observer d’un regard salace mes jambes nues sous mes jupes courtes. J’accentuais mon sourire, je prenais un air innocent et je lançais mes questions l’air de rien…
- Ouf, le printemps est là, c’est le fun de pouvoir remettre des jupes! Dis tu penses quoi de la mode parisienne?
- Heu, c’est joli mais je n'y suis pas vraiment habitué…
- Tu trouves ma jupe jolie, je ne suis pas sure de son motif…
- Non, non elle est très jolie…
- Ah! Alors cela ne te dérangerait pas si je la donnais à Manju? Je ne suis pas sure d’avoir envie de la garder.
- Tu peux pas faire ça…
- Pourquoi? Tu viens de me dire que tu la trouves jolie?
- Manju n’est pas une Occidentale. Elle n’a pas le droit de s’habiller comme cela.
Le ton se resserre, le contrôle surgit, ma révolte intérieure grandit…
- Mais si c’est joli sur moi, cela serait aussi joli sur elle non?
J’en profite pour décroiser et recroiser les jambes tout en continuant de sourire. Je séduis l’homme si prévisible pour mieux contrôler cette colère qui pourrait m’exploser au visage d’une seconde à l’autre. Le voilà pris entre l’envie de ne pas me déplaire et l’habitude d’asservir les femmes de sa confession. Je suis une femme, je dois faire bien attention où je mets les pieds. Je l'enroule autour d'un doigt. Je résiste à la tentation de l'écraser au creux de ma paume. L’horizon humain est vaste. Je ne pousse pas trop loin la malice. Je me contente d’observer le vice. Je me sens comme une Occidentale en minijupe qui marche sur des œufs presque pourris…
Avec le recul, je me demande si d’une façon inconsciente ma rencontre avec Manju ne m’a pas aidée dans ma décision de quitter définitivement l’Autre. Après tout, j’avais la chance d'être née dans une société où je pouvais, de mon libre arbitre, choisir la personne avec qui partager ma vie. J'avais la liberté de choisir, la possibilité d'influencer ma destinée. N’est-ce pas gâcher cette liberté que de ne pas aspirer à quelque chose de meilleur que ces ruines sentimentales qui m‘entouraient? Enfin, ça c’est une autre histoire. Je suis partie peu de temps après. L’Autre a bien essayé de me rattraper mais je n’en avais cure. Le ciel avait déposé Juan en cours de parcours. Mais cela aussi c’est une autre histoire même si c’est toujours la même histoire. Cette Histoire faite de petits ruisseaux qui rejoignent le fleuve de mes jours. Manju est repartie en Inde. Elle m’a écrit quelques fois puis je suis revenue au Québec, j’ai perdu son adresse. Je pense encore à elle et je sais qu’elle aussi là-bas quelque part pense un peu à moi…
Rêver à l’harmonie d’un couple est universel. Un couple en harmonie est l’exception faite aux règles. Mais de quoi est fait un couple? De ces innombrables instants de quotidien qui s’ajuste entre deux existences? D’équilibre et de raison? D’émotions et de passions? De déchirures et de trahisons? Est-ce que l'individualisme tue le couple dans l'oeuf? Le célibat qui sévit dans les gigantesques cités urbaines, est-ce un mythe, une mode ou un fléau? Adam cherche Eve qui cherche le verger où traine Adam. Le serpent se fend la poire. Trève de niaiseries.
Selon moi, un couple est fait de désirs et d’espoirs. Pour survivre, il doit acquérir confiance et communication, il doit se parer d'échanges et de confessions tout en se gardant une part de mystére. Il ne peut reposer sur la luxure même s’il se doit d’être épicé. Un couple est tissé d’efforts et de compromis, mensonges et égoïsmes sont ses pires ennemis…
Et selon vous, un couple c’est quoi? Adam et Eve ont-il eu beaucoup d'enfants et vécu harmonieusement une fois bannis du jardin d'Eden? Voyez vous la vie avec romantisme ou cynisme? Croyez-vous en l'Amour?
Images: Adam and Eve Banished from Paradise, circa 1427 par Tommaso Masaccio, Adam and Eve par Tamara Lempicka
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