En catastrophe…
Vendredi nuit, nous nous câlinons tendrement sur le sofa. Il est presque onze heures. Le téléphone sonne. Juan répond et fronce des sourcils d’un air sérieux. L’air interrogatif je le questionne du regard. Il raccroche et m’explique qu’une proche voisine a des saignements. Enceinte d’une dizaine de semaines, elle a besoin de quelqu’un pour garder le sommeil de sa petite fille de cinq ans. Elle a vu que la lumière était allumée chez nous. Notre autre voisine, vieille dame remplie de gentillesse, va l’emmener à l’hôpital en ville. Son homme n’est pas là. Juan traverse la rue sous une fine poudre de neige. Les températures remontent et l’air est presque doux, l’on doit frôler les – 5. Le silence étreint l’atmosphère nocturne. Je me souviens que nous sommes un soir de pleine lune…
Notre enfant dort paisiblement. La voiture laisse des traces sur la neige fraîche. Je regarde partir les deux femmes avec un serrement au cœur. Nos vies s’entrelacent par dessus les arbres. Notre soirée calme se mêle au drame de la leur. Je souhaite le meilleur à cette femme qui a déjà connu plusieurs fausses couches avant de mettre au monde sa fillette si mignonne (que je croque souvent l’été en photo). C’est Yolande qui l’emmène à l’hôpital. C'est elle qui m’avait chuchoté la grossesse en cours, à l’automne, sur le ton de la confidence. L’hiver l’on ne se voit guère dans le voisinage, chacun vaque à son quotidien hivernal. L’on se sourit de loin et l’on se dépêche de rentrer dans la chaleur de son cocon. Je me doutais que la dame en question attendrait le printemps pour nous montrer sa bedaine épanouie. Je me doutais, à ses airs tendus, qu’elle croisait les doigts pour que pousse sa bedaine…
Juan se rappelle que j’ai moi aussi connu quelques saignements à mon premier trimestre. Je me rappelle de l’horreur du sang que l’on ne veut pas voir et des sanglots étouffés qui accompagnent cette angoisse pernicieuse qui fracasse l'esprit. Heureusement, en ce qui me concerne, le bébé était bien accroché, Juan en était d’ailleurs persuadé, (Monsieur, je me suis souviens de ma giclée féconde!!!), en fait c’est plutôt la mère qui, à long terme, faillit y perdre sa vie! J’ai eu une grossesse difficile mais à chaque visite médicale j’écoutais les battements de cœur d’un bébé en pleine santé. J’y ai perdu la mienne mais j’ai pondu un petit être bien formé! C’est ma seule victoire dans ce cheminement ponctué des échecs de ma peau. Un an pour me remettre de neuf mois de gestation! Cela fait un peu pitié! Je compte encore une autre année d'efforts pour me retrouver comme «avant », bien dans mon corps, confiante dans ma tête. Une grossesse que j'ai vécu comme un parcours du combattant où les complications faisaient la loi de mes derniers mois. C’était toujours moi qui était visée et j’en suis bienheureuse. Durant chaque épreuve physique, la bonne forme de mon bébé m’offrait une force inouïe pour combattre inquiétudes et malaises. Encore maintenant, à chaque fois que je la regarde, son énergie si pure est comme un rayon de soleil qui m’illumine le cœur…
L’amour que je ressens pour mon enfant est incomparable. Il me déconstruit pour mieux me reconstruire. Il me bouleverse et me grandit. Il m’ouvre à de nouvelles perspectives. Il m’offre l’avenir. Il m’immortalise. C’est un sentiment si puissant que parfois il m’absorbe toute entière. Je dois alors puiser dans toute ma volonté individuelle pour ne pas m’y perdre l’être. Je suis encore en apprentissage. J’apprends à le comprendre, à le gérer, à l’équilibrer avec le reste de ma vie. Jour après jour, je découvre et maitrise la mère poule que je suis…
Alors que j’écris ces mots qui s’éparpillent, alors que mes paupières s'alourdissent, je pense à mon homme qui doit s’être endormi devant la télé de l'autre coté de la rue enneigée, je pense à ma voisine seule à l’hôpital. Je lui souhaite de ne pas perdre cet embryon de vie qui couve en son ventre. Les élans de mon coeur se tournent vers ses peines et je lui souhaite de souffrir le moins possible...
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