Manon et ma pomme
À l’époque où les mères étaient majoritairement à la maison, l’image de la mère n’avait rien de glamour, ce n’était que dévouement et fée du logis! Puis avec la révolution féminine, cette image a évolué. Les mères au travail ont redoré le blason féminin. C’est certain qu’il est plus facile de s’arranger la trogne lorsque l’on doit aller au bureau tous les jours ou tout du moins avoir une vie extérieure à l’enfant…
En me levant ce matin, passablement décoiffée, confortablement vêtue de mon pyjama, je réalise soudainement tout le non glamour de la job de mère à temps plein! L’image se fracasse dans mon esprit subitement limpide. Je le mentionne à l’homme qui acquiesce. Difficile d’être glamour lorsque l’on sait que l’on sera sûrement tachée d’ici midi, le cheveu en bataille et les deux pieds dans le bordel! Ok, j’exagère un peu, certains jours sont quand même plus organisés que d’autres! Cependant l’emploi de mère au foyer requiert un don de soi permanent pour stimuler, consoler, essuyer, bercer, discipliner, ramasser, laver, surveiller, jouer, aimer…
Penser à soi ne fait pas partie des tâches journalières. Il faut s’y atteler durant les rares instants de liberté et alors la montagne semble si haute à gravir qu’elle en est douloureuse. Lily-Soleil aura dix-mois en mai. C’est un chiffre clé. Tout d’abord, cela sonne le glas du décompte des mois, je ne suis pas de celle qui aura un bébé de 32 mois! À un certain point, le nombre devient ridiculement grand pour le comptabiliser ainsi. À partir de ses dix-huit mois, elle aura un an et demi jusqu’à ses deux ans. Ensuite c’est le nombre de ses bougies sur son gâteau d’anniversaire qui identifiera son âge!
Elle est de moins en moins bébé et de plus en plus fillette, c’est tant mieux. S’accrocher à l’idée de bébé est stupide puisque l’enfance n’est qu’un cheminement, une suite d’étapes pour atteindre l’éclosion de soi en devenant adulte. C'est sûrement parce-qu'elle est si éphémère que j'ai tenu à ne rien manquer de cette époque précieuse. Lorsque est sortie de mon ventre, la "docteure" nous a dit très sérieusement: «Profitez en bien car cela ne reste pas tout petit longtemps! ». Elle avait raison. L'enfant grandit à la vitesse de la lumière. Tout ce que je lui souhaite c’est de devenir un adulte en phase avec elle-même. Même si au fond de mon cœur elle restera toujours ce petit bébé jaillit de mes entrailles, elle devra de plus en plus se détacher de moi pour vivre le fil de ses jours. De cela je suis consciente. L’être parent. Elle n’est pas ma chose, elle ne m’appartient pas, je ne suis qu’à l’origine de sa vie, je ne suis qu’un guide. De plus, avec ses dix-huit mois d’existence, elle aura franchi ce cap crucial à mes yeux, celui de se décoller un tout petit peu des jupons de maman. Ma "parentitude" se définit, se construit. Un jour, elle aura dix-huit ans et j'aurai les cheveux blancs (sous ma teinture de circonstance). Dix-huit ans, un autre cap d'importance.
Etolane et l’idée de « la gardienne ». Un sujet délicat en sa maisonnée. Un sujet que je réfute, que je refuse, que je nie. Un sujet qui, de plus en plus souvent, agite l’homme qui veut retrouver sa femme entière. Le portefeuille aussi grimace, l'homme s'en soucie. Les dettes alourdissent le poids du jour. La mère en moi s’insurge. L’homme raisonne. L’enfant, insouciant, grandit et s’épanouit. Le sujet devient brûlant, il fait des étincelles…
Etolane qui a pourtant, par la grâce des dieux, trouvé la gardienne parfaite et qui ne peut que reconnaître le signe du ciel. Etolane qui recule pour ne pas sauter. Etolane rebelle qui n’écoute que cet instinct maternel, né avec l’enfant.
Que Lily-Soleil aille par-ci par là chez sa grand-mère me donne l’occasion de souffler un petit peu mais imaginer une régularité à la chose peut m’être inconcevable. Mon instinct maternel est si puissant qu’il peut en être étouffant. Il se love dans cet incroyable amour qui m’inonde désormais le cœur dès que je pense à elle. En notre société moderne, mon comportement sur le sujet est extrême. Je le conçois. Dix-huit mois. Une gardienne, un jour par semaine. La grand-mère en parallèle. Deux ans, une nouvelle routine incluant une gardienne officielle. Dix-huit mois, le départ du poupon pour des excursions hors jupons.
Il y a quelques semaines, j’ai rencontré Manon.
Je lui ai parlé au téléphone pour la première fois il y a de cela quelques mois après avoir vu l’une de ses annonces à la pharmacie. Elle m’a tout de suite reconnue. L’on s’était vue et parlé à la plage. Je n’avais aucune idée de qui elle pouvait être. Ma vie est un paradoxe qui alterne périodes sociales et hermitage. La plage est l’un des rares lieux qui lie ces deux aspects de mon existence. Depuis cinq ans, je le fréquente régulièrement, au fil des étés, j’y ai rencontré pas mal de monde et écrit pas mal d’histoires dont l’une, publiée il y a quelques années, à saveur fantastique avec le lac au cœur de l’intrigue. La plage me ressource, m'inspire, m'enchante. Vu le nombre de mes connaissances en cet endroit, je n’avais aucune idée de qui pouvait être Manon. Nos quelques conversations téléphoniques m’inspirèrent confiance, je baissai ma garde, elle se faufila sous ma coquille. Elle m’expliqua qu’elle travaillait dans une garderie de Québec trois jours par semaine mais que depuis la naissance de son dernier, elle aspirait à créer une garderie de type familial chez elle pour rester près de ses enfants (gardés par sa mère), un objectif pas évident au village. En attendant elle était disponible pour garder les lundis et vendredis. Sa maison, à deux pas de la mienne, ses enfants, une petite fille de trois ans et un garçon de treize mois, son foyer m’était ouvert dès que je serai prête…
Poussée dans le dos par l’homme de maison, je me suis finalement décidée à passer la voir. Après plusieurs tentatives avortées, nous nous y dirigeons en famille par un bel après-midi de mars. En chemin, j’aperçois par la fenêtre de la voiture, une dame que je connais de vue avec ses enfants, une « copine » de plage. Nous arrivons à la maison de la gardienne, j’ai perdu son téléphone et ne peut la prévenir de ma visite mais je lui ai assez parlé au téléphone pour savoir que je serai bien reçue. Je sors de l’auto en avalant ma boule d’angoisse. J’arrive devant la porte, je déglutis, je frappe. Une fois, deux fois, personne! Ah! Bon tant pis alors…
D’un coup, une lumière éclaire ma mémoire. Mais, est-ce que cette dame serait la fille que j’ai croisée avec sa famille il y a deux minutes sur la route, cette fille que je situe bien dans mes moments de lac? Le village est quasiment désert à cette époque, la coïncidence est trop forte, elle me percute. Ma curiosité est piquée. Nous rentrons chez nous et décidons d’aller nous promener avec la poussette. Naturellement mes pas retournent vers la maison vide de celle qui aurait une chance de devenir la première gardienne de ma vie de mère. Le temps que l’on se retrouve devant sa porte, il y a de la vie qui résonne à l’intérieur. L’homme sur mes talons, je sonne et je découvre Manon…
Hé oui, c’est la fille de la plage! L’une de celles que j’observe depuis le début. Plusieurs étés de suite, je suis allée écrire en mon « bureau de sable » confortablement installée dans ma bulle. Certains aiment écrire dans des cafés, j’aime écrire sur le sable les yeux dans l'eau. Au fil des ans, je me suis fait mon petit coin perso et les habitués ont appris à vivre avec ma plume tranquille et mon objectif numérique.
Bref, cette femme en question, d’à peu prés mon âge m’avait attiré le regard dés la première année avec son gros bedon. C’était, à l’époque (avant le mini baby boom) la seule mère en devenir du coin. Jolie, mince avec une large tache de vin lui barrant la moitié d’une joue, elle semblait heureuse et épanouie. J’enviais son gros bedon. Entre deux sessions universitaires, ce n’était pas un état que je pouvais me permettre au présent mais l’envie d’enfanter était bel et bien présente en ma peau. L’été suivant, je l’observai jouer dans l’eau avec son bébé en essayant de maîtriser mes élans de jalousie tout en raisonnant ma balance intérieure avec mes propres réalisations : je publiais des nouvelles, je couvrais régulièrement des événements culturels, j’avais des amis, une vie sociale intéressante, j’approchais de la fin de mes études de traduction, un jour, avec Juan, l’on essayerait aussi de faire des bébés…
C’est à cette époque que l’on commença à se sourire de loin. L’été d’après l’on se saluait de loin. Et puis l’été suivant voilà pas que je me retrouvai presque par surprise avec un gros bedon en même temps que mon diplôme! J’imagine que le désir avait fini par être trop fort, je n’avais su le contenir, et pouf un bébé surprise! Bref, je la rencontrai sur la plage, elle aussi enceinte, nous commençâmes à papoter au fil de nos rencontres. L’été suivant, la maladie qui accompagna mon accouchement m’éloigna de la plage. Elle avait aussi un bébé en bas-âge qui devait l’éloigner du sable, je ne la rencontrai point.
À l’automne, rencontre téléphonique. Au printemps, soudainement toutes les pièces du puzzle s’assemblent en même temps que je mets un nom sur ce visage qui m’est familier. Manon. S’il y avait une femme avec qui j’aurai confiance de laisser mon enfant c’est celle-ci que j’ai vu devenir mère en quelques étés, que j’ai observée à gogo au fil des années. Une femme avec qui je pourrais devenir amie. Il m’est de plus en plus difficile de résister à cette roue qui tourne et qui m’amène la gardienne parfaite sur un plateau d’argent…
Mais je m’accroche à ce devoir maternel que je ressens viscéralement. Rester à ses cotés. Me donner à ses jours. Ce besoin d’élever ma fille au présent sans penser à rien d’autre, sans penser à moi. Ce besoin vital né des carences de ma propre enfance. Mais l’homme veut retrouver sa femme entière. Il est vrai que je n’ai jamais eu l’ambition de n’être qu’une mère. J'ai aussi quelques aspirations personnelles. Mais j’ai aussi l’ambition de devenir une mère parfaite. Enfin, la perfection en son essence est une croisade importante dans l’univers de mes utopies personnelles. Je sais bien qu’elle réside dans un idéal qui doit se confronter aux réalités de ma vie terrienne! L’équilibre est un autre combat généré par l’effervescence de mes utopies réfléchies. En mon équilibre résident des portions de mon individualité à explorer, à dévellopper, je le sais. Les femmes se sont durant des générations battues pour que je puisse en arriver à être moi, entièrement moi, une femme libérée des chaînes d’antan. Même si je m'enchaine à l'enfant, je ne peux renier mes droits tout comme je renie l’idée de la gardienne. Je dois retrouver des bribes de mon espace personnel mais je ne veux me détacher de l'enfant. C'est donc bien compliqué que d'être parent!!! Tout le monde le crie sur tous les toits mais avant de le vivre sous son propre toit, il est bien difficile d'en imaginer toute la complexité émotive...
Je suis emportée en un tourbillon d’émotions tourmentées qui alimentent un spleen de saison. Je me perds, je me retrouve, je m’éloigne, je m’oublie, je coule et je remonte à la surface. J'ai retrouvé la santé, encore quelques efforts et je retrouverai mon corps d'avant. J’ai aussi envie de retrouver un certain glamour. Je sens que je vais devoir sauter…
Je sens la main de Juan me pousser doucement dans le dos. Je m’accroche, je fais deux pas en avant et je recule d’un. Je résiste facilement à la pression sociale mais je ne peux résister à la pression de celui que j’aime profondément. Je sais qu’il ne veut que notre meilleur. Je sais que je dois le prendre en considération. Premier choc de valeur parentale, premiers compromis autour de l’enfant…
L’idée naïve qui consiste à pouvoir travailler à la maison tout en maîtrisant les turbulences d’un bambin se fait la malle. Mes pendules se mettent à l’heure du jour. Je vais rappeler Manon, essayer de mettre en branle un processus qui me permettra (d’ici l’automne prochain et les deux ans de l’enfant) de retrouver ces petits morceaux de moi qui composent le reste de ma vie…
1 commentaires:
Well written article.
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