Zénitude mère-fille
Chaque relation humaine se travaille. Toutes les formes d’amour doivent se cultiver si l’on veut en récolter les fruits…
Matinée de neige, ambiance moelleuse, M’zelle Soleil, sage comme une image d’Épinal joue à mes cotés. Chacune profite à sa façon de la présence de l’autre. En phase nous sommes. Je plie mon linge. Elle me tourne autour sans me déranger. Comme je suis souple à la tâche, elle peut m’interrompre à volonté. Elle m’amène l’une de ses poupées de porcelaine chinoise. J’arrête de plier. L’on joue ensemble et j’apprécie ces moments complices qui sont de l’engrais pour notre relation en pleine croissance. Elle me laisse à ma pile d’habits. Elle file dans le salon. Je reprends mon ennuyante tâche. J’ai les mains pleines de culottes. Je plie et je réfléchis.
Elle joue de plus en plus souvent seule, dans sa chambre, comme une grande. Parfois, elle ferme même la porte pour être encore plus tranquille. Je l’entends qui papote, qui déménage ses trucs, qui fout son petit bordel bambin. Je peux enfin mettre de l’ordre dans la maison sans qu’elle ne soit en travers de mes pattes. Une nouvelle étape d’autonomie est franchie. Une parmi tant d'autres. Elle est quasiment propre, sans que nous ayons besoin de rien faire, elle apprend presque seule à aller aux toilettes. Sa gardienne n'en revient pas. Je suis fière de mon petit brin de fille. Dehors tombe la neige à gros flocons. L’atmosphère cotonneuse nous enrobe de ses silences. Sérénité.
Elle ouvre la porte d’entrée pour faire sortir les animaux. Elle le fait « toute seule » et s’exclame en pointant son petit nez dans le froid :
- Y neize, dade! Maman, y neize deyors…
- Oui, je vois ma Liloo…
- Y neize beaucoup, dade maman…
Je souris. « Dade » pour dire regarde est le nouveau truc de la semaine. Elle l’utilise toutes les deux minutes. Toujours plus elle parle et s’exprime. Ce langage que j’aide à façonner me fascine. J'aime tant ces petites conversations que l'on partage au fil des jours. Nos intonations s'accordent en un même quotidien. J'ai parfois l'impression que nous nous fondons l'une dans l'autre. Je la vois copier mes façons de parler et, malgré moi, je réalise que j'imite aussi ses expressions enfantines.
Je nous ai ramené du quartier chinois deux jolis petits porte-monnaies en pseudo soierie. Je lui donne le sien. Son visage s’illumine. Je retourne à ma pile qui froisse. Une fois mon linge plié, je la retrouve, debout sur une chaise devant le comptoir de cuisine, les deux mains dans le bol de sous. Je la regarde faire avec un tendre sourire. Elle a de la suite dans les idées cette petite. Elle passe un long moment à jouer avec son porte monnaie, à le remplir, à le vider, à l’ouvrir et le fermer, c’est la fête. Je finis mes tâches ménagères sans problème. La matinée se passe comme un charme. La douceur du jour est papable. L'on bavarde. L'on joue un peu. M'zelle Soleil trotte dans la cuisine. La laveuse qui essore fait vibrer les fenêtres. Un chat somnole dans l’encadrement d’une porte. Chanelle ronfle sur un coin de tapis. L'enfant chantonne.
Le ciel s’éclaircit un peu sur le coup de midi. La neige se dissipe dans la grisaille du jour qui se dévoile. M’zelle Soleil papote gaiement tout en jouant avec ses poupées. Elle s’en occupe avec zèle sans que j’ai besoin d’y accorder mon attention. Elle vient me voir et me dit :
- Maman, le bébé il est tanné…
- Il est tanné le bébé???
- Oui…
- Mais pourquoi?
- Au lit, é au lit.
- Tu l’as mis au lit?
- Oui. É tanné Lily
- Lily est tannée? Mais pourquoi?
- Ben… heu... Ch’sais pas!
- Est-ce que tu as fait manger le bébé?
- Non. Pas mangé. É malade le bébé…
J'oublie que dans sa petite bouche "tanné" et "tannant" c'est du pareil au même (tout comme "c'est dur" et "c'est lourd "mélangent leur sens en ses pensées) mais je ne le réalise qu'après coup (lorsqu'elle me ramène le même concept d'idées avec le chat qui refuse d'obéir à ses envies). Je mets le linge propre dans la sécheuse. Elle me tourne le dos et retourne dans sa chambre. Elle ferme sa porte derrière elle. Un ange passe. Il ne me reste plus qu’à préparer à manger…
Une fois passée la sieste, M'zelle Soleil réclame son papa à grandes phrases. Elle lui explique ses désirs au téléphone. Il lui explique les choses de la vie. Elle finit par se résoudre au fait qu'il est au bureau et ne se téléportera pas sur le champ pour la combler! Un percée de lumière perce la couverture blanche qui couvre le ciel, quelques nuages apparaissent à l'horizon. Le ciel se découvre juste assez pour que je puisse l'apercevoir furtivement. Peu avant que ne rentre son père, l'on se retrouve toutes les deux sur le sofa pour une tendre séance de câlins et de chatouilles. Elle me papouille et cherche à m'embêter pour que je la chatouille jusqu'à ce qu'elle en pleure de rire. J'essaie de restaurer un soupçon de calme, elle fait des grimaces et me dit:
- Lily pleure, ouuuiiinnnnn...
Elle fait tellement semblant que je ne peux qu'en rire et répondre...
- Lily pleure ou Lily fait un caprice? Si Lily fait un caprice alors c'est où qu'elle va?
- À salle deu bain...
À la maison, la punition ultime consiste à passer deux minutes à la salle de bain la porte fermée (sans pouvoir en sortir). Cela ne lui est pas arrivé souvent, à date nous sommes chanceux car elle dépasse rarement les limites qui l'y conduirait. Exercer l'autorité parentale, pas aussi facile à faire qu'à dire! Il faut être juste et ferme à la fois sans compter stable. Mmmmm... Bref, M'zelle Soleil a un bon petit caractère mais n'est pas adepte des crises. Elle connait peu les disputes et s'offusque de toutes formes de violence extérieure. Elle est très dynamique mais jamais hystérique. Je profite de l'ouverture pour creuser le sujet:
- Mais c'est quoi faire un caprice? C'est quand que Lily fait des caprices?
Elle se lève, fait quelques pas et me dit en se retournant vers moi
- Cé ye pleure rien
- Lorsque tu pleures pour rien!?!
- Oui, ouuuiioooiinnnn...
Son père arrive sur ces entrefaites. Elle se précipite vers lui les bras ouvert, elle se colle entre ses cuisses. Il la prend dans ses bras et le soir nous emporte...
2 commentaires:
j'aime bien cette idée "d'archiver des capsules temporelles" c'est joliment dit. C'est aussi mon impression quand j'écris mes petites histoires de merveille.
Quand je lis tes billet sur ta fille, ça me donne l'impression de me projeter dans un an ... sourire ...
Et quand je lis sur la tienne, je me dis que c'était hier! Cela passe si vite...
Comment ne pas désirer accrocher ces instants en nos mémoires de maman, des capsules temporelles c'est comme des bulles de bonheur en boite...
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