Alors que l’homme se dépayse les idées en ce quartier urbain à la jonction d’un autre, je retrouve ces repères d’antan. Au fil des jours qui passent je me rends compte que j’apprécie ce quartier que je trouvais si « plate » lorsque j’étais ado. Je vieillis, c’est indiscutable. Mon ado de Clo profite d'une visite chez son père pour venir nous visiter, elle confirme mes impressions. M'zelle Soleil adore son ado de tante. C'est toujours un plaisir que de les voir ensemble, si complices. Cela débute bien un séjour urbain. L’appartement de Ro est un délice « cosy and design ». Nous y installons nos pénates sans peine, la petite y fait le party! Sa routine prend le bord, elle se couche plus tard, se lève plus tard, ses siestes partent dans tous les sens, on mange n’importe quoi n’importe quand. L’on profite de la ville et de ses multiples services, l'on se la coule douce.
Ves pense que je suis un « solo act with a big heart ». En vingt ans d’amitié, elle aura toujours su me cerner avec une étonnante justesse.
Nous sommes en un petit quartier tranquille, dans une vielle bâtisse qui engloutit le bruit des voisins. Les murs étouffent l'existence des autres. L’on se love en ce petit nid douillet. L’on fait notre devoir parental en passant une demie journée au biodôme rempli à craquer de familles multicolores. Ouf! C’est une leçon à plusieurs angles pour M’zelle Soleil souvent perchée sur les épaules de son père. Au fil des jours qui défilent, l’on s’installe une sorte de routine citadine.
Ves accompagne mon escapade urbaine. L’on retrouve une copine d’antan devenue maman pour un brunch du dimanche. Les femmes que nous sommes bavardent à bâtons rompus. Les enfants s’amusent entre nos jambes. J'ai le coeur qui se gonfle. Tout ceci est bien étrange. Ves devient gardienne d’un soir pour que l’on puisse passer une soirée en couple, l’on en profite pour se faire un cinéma au cœur de la ville. Rares sont ces moments pour les parents que nous sommes maintenant. Je lèche les vitrines sous le regard amusé de mon homme. Le film est divertissant à souhait, juste comme je les aime: science-fiction apocalyptique avec spécimen mâle à déguster! Juan se divertit de mes angoisses de fin du monde et les innombrables lumières de la ville réchauffent la nuit glaciale. Vite, l'on rejoint Ves et notre enfant sagement endormie. Je la retrouve le lendemain, au coin de la rue non loin, pour aller à ce YMCA aux vitres givrées, ce YMCA qui lança toutes sortes de polémiques politiques à saveurs d'accommodements raisonnables. Nous sommes là en contrée Hassidin. C'est presque exotique. La première journée l'homme s'exclame:
- Ouf! Y'en a tellement que je regardais mes pieds pour ne pas fixer les boucles!
De mon coté je les observe sans gêne. Ils m'intriguent. Nous allons au YMCA pour un cours de pilates qui m'oxygène le corps tout entier. Cela fait trois ans que je n'ai pas fait de "pilates". J'en redécouvre les bienfaits, j'en reconnais les poses. Je vais m'y remettre par chez moi (si j'arrive par remettre la main sur ces vieilles cassettes que j'aimais tant, c'est là mon plus grand défi), cette décision n'est même pas une résolution de nouvelle année, juste une constatation physique. Je me sens enfin prête. J'habite de nouveau ce corps qui me malmène, et plus je l'habite, plus je le contrôle....
Je retrouve mon amie au coin de la rue, non loin de l'appart où l'on réside. Lorsque je l'aperçois au loin je ressens cette subtile sensation d'habiter la ville de nouveau, comme avant, durant quelques secondes s'effacent les années comme si rien n'avait changé. Montréal me rattrape les pensées. Le jour de mon anniversaire (qui comme à son habitude tombe avec la nouvelle année), nous passons voir Caro et son sympathique barbu de mari. Jasette improvisée autour de quelques tasses de thé et M'zelle Soleil qui papote, je suis heureuse de découvrir leur nouveau nid urbain, ils y sont bien. Je n'arrive pas à trouver le temps de voir tous ceux que j'aurais aimé saluer. Je profite en premier lieu de mon homme, de ma fille, de nous, ensemble, en vacances pour la première fois.
La nouvelle année est au coin du jour. Nous la passons d'abord en trio de famille en allant manger dans un petit resto indien aux atmosphères locales et aux saveurs succulentes. L'on se ballade à pied entre deux quartiers. Nous sommes dans une fourmilière juive, les "Hassidin" me fascinent (mais c'est le sujet d'un autre billet). M'zelle Soleil apprivoise la ville de ses petits pas bambins. Elle nous fascine et c'est le sujet de plusieurs de mes billets bloguesques. Le petit resto est sympa, la bouffe y est succulente. L'on revient coucher notre brin de fille et nos amis citadins nous retrouvent en nos confortables pénates pour quelques verres de champagne. L'humeur est belle. Minuit se passe.
À l'ombre de deux heures du matin, un soupçon d'aventure prend forme, la chose sombre nommée diabète, cette maudite qui habite le sang de mon homme se réveille. Alors qu'elle se manifeste, il prend subitement conscience qu'il a oublié sa tête au restaurant en y laissant son sac et "son kit de piques"! Le sucre monte dans son sang tandis qu'il déniche une pharmacie de garde de l'autre coté de la montagne. Nous avons tous trop bu de champagne pour conduire, sauf Ké qui ne boit plus. Ce qui tombe à pic. Si ce n'est que Ké, japonnais de son état, n'a conduit qu'une fois depuis les sept ans qu'il habite la grande ville! Au Japon, c'est comme en Angleterre, tout est de l'autre coté. Ah bon! J'oublie toujours ce détail. Ké frisonne et ce n'est ni le froid ni le champagne qui lui font cet effet là! Je trépigne un peu devant l'aventure qui se dessine. Juan doit être présent pour expliquer son probléme de diabétique, quelqu'un doit rester à l'appart pour garder la petite au royaume des songes. Et je suis la seule qui connait le chemin! Ves a toute sa vie parcouru la ville en bus, métro ou taxi. Je suis toujours étonnée par son manque d'orientation une fois en voiture. Alors que nous allons retrouver notre amie Liz, je prends un chemin qui mène à ce quartier qui s'étale du sommet de la montagne à ses pieds baignés d'anglophones. Alors que nous arrivons d'un coté de la montagne, elle me dit:
- Heu en fait, c'est genre pas trop loin de Sherbrooke, vers chez Leila....
- Mais tu m'as dit que c'était à Wesmount, pis là on est rendu à l'oratoire!
- Ben, on est loin de Sherbrooke?
- Ves... On est genre de l'autre coté!!! Bon ben on a plus qu'à traverser la montagne...
Je tourne en ce coin de rue qui me ramène à une autre époque. Je dépasse sa rue, celle de l'Autre qui habita mon coeur durant dix ans. Un fond de nausée se fait sentir. Je l'avale. Je ne peux m'empêcher de constater.
- Tiens on vient de passer la rue des parents de l'Autre...
Je traverse la montagne guidée par ce radar d'un autre temps. Ves admire les magnifiques demeures que je regarde à peine, trop concentrée à me rappeler pour mieux oublier. En quelques minutes, nous voilà sur le bon chemin. Je m'amuse un peu du manque d'orientation de mon amie urbaine jusqu'à la moelle. Elle m'indique la rue et le numéro. Voilà plus de dix ans que je n'ai pas vue Liz. Facebook nous a reconnectées et du virtuel approuvé, le réel prend le relais. Elle n'a guère changé, juste évolué en beauté intérieure. Elle trouve que je suis pareille même si je me trouve quand même bien plus vieille que la dernière fois que l'on s'est parlées. Zoé, la plus jeune de ses deux petites filles n'a que quelques mois de différence avec M'zelle Soleil. Les enfants s'harmonisent et l'on sympathisent de nouveau...
Mais j'en reviens à mon mouton de Nouvel An. Ves garde le fort, l'homme est sur le coté passager, Ké est au volant et je me fais petite souris à l'arrière. Il est presque trois heures du matin et la ville est déserte (ce qui rassure considérablement notre conducteur en herbe). La route n'est pas trop enneigée et l'on grimpe facilement la montagne qui nous offre cette magnifique vue sur la ville qui s'étale à l'infini. L'on dépasse le cimetière ancré sur l'un des flancs de cette montagne qui domine l'ile de Montréal et l'on arrive à bon port sans trouble aucun. Ké reprend confiance en lui, l'homme coure se chercher une "pique" et encore une fois les souvenirs m'assaillent. Encore une fois, je suis en territoire vécu. Les souvenirs m'effleurent sans altérer la saveur du présent, ils se font glissements de peau. J'en apprécie l'aspect indolore. Juan revient avec un nouveau stylo à insuline dans sa paume, il soupire. Il dégrise. L'on reprend la route qui se déroule devant nous. L'on retrouve Ves à l'appartement. L'homme est soulagé. L'on récupèrera son sac le lendemain. En une expédition nocturne sous la neige folle, nous récupèrerons son testeur et ce kit qui lui permet de vivre comme tout le monde...
La ville me rematérialise subtilement, je me laisse faire tout en sachant que c'est temporaire. Je réalise que je me préoccupe davantage de mon apparence. Je sors le mascara quotidiennement. L'homme remarque mon léger maquillage. Il approuve. Je grimace un peu. La ville est un royaume de tentations. La ville nous éloigne subtilement de la nature. Je ne peux en apprécier les délires sans me sentir un peu coupable. D'ailleurs sans l'épanouissement grandiose des villes, est-ce que la nature serait si piteuse à grande échelle? Et c'est sans entrer dans le débat du réchauffement de la planète. En ville règne le superficiel et les tentations matérielles sont légion. Je sens l'influence urbaine sur mes perceptions internes. Je cherche l'équilibre dans l'abstraction de ces sensations qui m'envahissent. J'ai les idées qui fusionnent.
Je fêterai le mien de façon urbaine, calme et tranquille, sans excès (si ce n'est de gourmandise), en bonne compagnie, je fêterai ce passage d'une autre année humaine. En ce milieu citadin, je me sens évoluer à contre courant de la norme. Je vis à l'année longue en un lieu où les gens viennent principalement en vacances et je vais en vacances là où les gens vivent à l'année longue, si j'étais un poisson, sûr, je serai un saumon...
Voilà, mes trente cinq ans ont sonné avec la nouvelle année qui me découvre sereine et philosophe. Il est bientôt temps de quitter la grande ville pour retrouver mon coin de forêt congelée. Les jours auront joliment défiler. Nous aurons mangé plus de pâtisseries en quelques jours qu'en plusieurs mois. Nous avons fêté sucré, les tentations étaient irrésistibles, nous avons péché! Nous avons gouté à des pâtisseries de plusieurs cultures, notre gourmandise n'en peut plus! Pas plus malin l'un que l'autre, nous nous sommes lâchés! Je suis prête pour une semaine de soupe et légumes et beaucoup de cardio. Je suis prête à expier mes faiblesses. Nous retrouvons nos équilibres. Juan est reposé, la petite est déréglée mais en pleine forme et je suis plus vieille d'une année. Mais je m'en fous un peu même si je regarde de près ces rides qui se dessinent. L'important est ailleurs. L'important est dans les battements de nos coeurs qui se conjuguent à l'unisson...
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