Brin de fille
M’zelle Soleil bavarde à tout vent et je reste stupéfaite de la rapidité avec laquelle son langage évolue. Semaine après semaine elle progresse, une petite fille déterminée se dessine sous nos traits conjugués. Ce petit brin de fille qui nous fait face me fascine. L'amour que je ressens pour cet enfant est si puissant. Il m'enrobe toute entière. Le bébé qu'elle était il y a encore quelques mois s'efface perceptiblement. L'amour qu'elle porte à son père est incroyable. Il me rappelle combien je n'ai jamais connu de sensations paternelles. Cette petite famille que nous formons désormais est un baume qui guérit mes douleurs intérieures.
De plus en plus souvent, Juan évoque l'idée d'autre bébé alors que je commence seulement à reprendre conscience de mon individualité, de ma féminité. Je me sens mère de la racine de mes cheveux blancs à mes talons retrouvés!
Mon enfant parle. Une communication à deux voies est désormais possible. Je ne parlerai pas des notions de discipline qui surgissent en même temps que ses réparties! Notre relation ne se résume plus à cet espèce de monologue entre une maman gaga et un bébé qui gazouille. Maintenant j’ai devant moi une fillette qui papote et me demande à toutes les deux minutes :
- C’est qui maman ?
Je soupçonne d’ailleurs son « qui » de s’associer à l’idée de « c’est quoi » et je pressens que le « pourquoi » est au coin du chemin. La répétition est aussi à la mode de chez nous, répéter une même question à l’infini semble l’amuser énormément, répéter les nouveaux mots qu'elle entend, répéter pour mieux assimiler…
Sur le chemin du retour de Montréal, M'zelle Soleil nous explique (de Trois-Rivières à notre maisonnée) combien elle désire un sac d'école comme ses amies de la rue et bien-sur comme la fameuse poupée Dora! Elle nous dit:
- Maman, il est où sac d'école à Lily?
- Il est au magasin ma chérie. Tu es encore trop petite pour aller à l'école. Ce sont les grandes filles qui vont à l'école
- Lily veut sac école. Lily pas petite. Lily é grande. Lily veut sac d'école!
- J'irai t'en trouver un au magasin alors...
- Crouvé magzin sac école? Lily prête!
- Lily est prête à aller à l'école???
- Oui, Lily école, pareil filles, Lily prête!
- Mais tu sais pour aller à l'école, il ne faut plus avoir de couches...
La conversation se poursuit sur la même lancée alors que Juan pose une main rassurante sur ma cuisse, il perçoit cette émotion qui vient me serrer le coeur. L'on échange un regard complice. Je laisse glisser ma mélancolie dans le creux de sa paume qui me réchauffe. Je sens la volonté de grandir de mon brin de fille. Je sais que je dois respecter ses rythmes d'enfance et la laisser se détacher de mes jupes. Je vieillis, elle grandit, c'est dans l'ordre des choses.
Le « non » bien volontaire a fait son apparition avec vigueur durant la période des fêtes. Le « pas » fait désormais bien partie de son vocabulaire (pas dodo, pas manger, pas ceci ou pas cela, pas vouloir faire ce que les parents veulent!). Le « veux » s'est incrusté en ses multiples demandes (veux voir, veux faire, veux prendre, veux toute seule). Elle dit : « Aé domi tarrrrr (j’ai dormi tard) » lorsqu’elle se réveille toute fraîche d’une longue sieste ou « Il é guéri le bobo à Shanie » lorsqu’elle câline le chien de la maison. Elle maîtrise de mieux en mieux les conjugaisons du passé même si le futur lui échappe encore. Juan n’en revient pas de l’entendre raconter ses petites histoires de mieux en mieux construites.
Je me doute que tout le monde n’est pas encore en mesure de déchiffrer l’intégralité de ses bavardages, parfois même son père me demande de l’aide. Il faut dire que l’on peut facilement avoir l’impression que ses phrases ne sont qu’un seul mot, comme un gigantesque terme bambin qui n’en finit plus de s’articuler! Étonnement sa langue m’est rarement mystérieuse comme si mon oreille était sur la même longue d’onde que ses idées…
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