Lorsque je la retrouve après une journée passée chez une autre, j’ai toujours ce petit moment de plaisir intime, ce moment d’amour, cette exquise impression de la trouver si jolie, si parfaite. Pendant quelques secondes la brillance de ses yeux me transperce le cœur gonflé de sentiments puissants. Sa peau laiteuse est volupté, son odeur de lait chaud me donne envie de la croquer. Sa petite voix empreinte de la pureté des anges appelle au meilleur de moi-même. Je m’émerveille. Lorsque je la retrouve, l’émotion que je ressens est divine.
Deux jours de suite chez Manon, je sens pointer en mon cœur une pulsion de jalousie que j’étouffe. Je la vois s’attacher à la dame, Maman, Manon, même le nom porte à confusion. Je n’aime pas cette sensation. Mais c’est vrai qu’il est bon de ne pas être juste une maman, d’être à nouveau une femme entière, de redevenir une personne individuelle deux jours par semaine. Deux jours pour retracer ces chemins d’existence devenus broussailleux d’abandon. Deux jours pour apprendre à me détacher un peu de cette mamamitude qui m’avale l’être.
Durant ce temps, je n’entends pas « Maman » mille fois par heure. Je n’ai pas à servir, à ramasser, à couver. Je peux être libre de mes faits et gestes, je n’ai pas de routine enfantine à respecter. Je peux regarder passer les inspirations sans faire semblant de ne pas les percevoir. Je peux porter toute mon attention sur ces choses qui me concernent. Je peux retrouver mon individualité. C’est une sensation presque étrange. Un concept que j’avais presque oublié au cours de ces deux dernières années…
Trois jours de routines bien huilées. Durant ces trois jours ma mamamitude ronrone. Mes patiences combattent les fatigues. L'amour palpite au jour le jour. Juan part vers 8 heures. S’il fait beau l’on va faire un tour dehors entre 10 heures et midi. Je prépare le repas aux alentours de midi. Je la fais manger, je l’accompagne. Je la change, je la couche pour sa sieste. Deux heures plus tard, elle se réveille fraîche comme une rose. Le réveil est câlin. Je sais que ces moments là sont comme des bijoux qui brilleront à jamais dans les tiroirs de ma mémoire. Elle me colle et je me fonds en ces instants précieux. Mon cœur devient un marshmallow léché par des flammes de passion sanguine. Mon coeur devient un marshmallow qui bulle au coin du feu de l’Amour.
Maman est le mot le plus prisé de son vocabulaire. Il y a les « maman-questions », les « maman-affirmations », les « maman-constatations », les « maman-assistances » etc. Il n’y a pas deux phrases de suite sans un "maman" pour rythmer sa langue. Une langue qui se construit à vitesse grand V. Ce n’est plus un bébé. Elle parle et parfois j’en reste sidérée tellement cela coule de clarté. Elle parle et je commence à m’y habituer. Elle parle et j’écoute. Je m’adapte au rythme de ses apprentissages qui me remplissent d'une fierté toute maternelle. J'essaie de la comprendre en son entité pour mieux guider ses premiers pas en ce monde qui est le nôtre.
Ma routine d’hiver n’est pas encore bien mise en place. Lorsque le temps se dérobe, je traîne un peu de la patte et bien vite M’Zelle Soleil se transforme en une M’zelle Bordel de premier ordre. Je gronchonne devant les zones de combats qu’elle laisse en mes univers domestiques. J’ai en tête quelques activités hivernales à enclencher pour nous désennuyer des longs mois d’hiver à venir. Elle grandit et il est de mon devoir de la stimuler comme son intelligence le mérite. Je suis à l'écoute de ses passions qui s'éveillent. Je l'entoure de toutes mes attentions. Présentement ma discipline s’exerce dans mes routines. Je crois en ces théories qui affirment que les enfants en bas âge ont besoin de repères pour se sentir rassurés et ainsi s’épanouir sans céder aux démons capricieux qui se jouent de l’enfance.
D’après ce que me dit sa gardienne c’est une enfant modèle. L'enfant réserve ses instincts rebelles pour ses parents aimants. J’ai beau chercher la petite bête, Manon ne trouve jamais rien à redire aux comportements de ma fille. Je croise les doigts pour que cela dure. Je remarque que si routine il y a, l’enfant grandit si vite qu’il est nécessaire de régulièrement ajuster les habitudes quotidiennes. Au fil des saisons, la maman que je suis s’adapte à cet enfant qui se développe joliment. La nouvelle maman que je suis est reconnaissante de profiter d’une si belle expérience bambine. Je sens que le défi de la discipline ne sera pas de tout repos mais je compte sur un équilibre familial pour doser les pulsions rebelles de ma petite scorpionne. Je n’ai pas encore vraiment l’occasion de me fâcher ou de punir. Je suis patiente mais ferme et mes limites sont bien établies, pour l’instant la menace de me fâcher suffit à remettre l’enfant dans le droit chemin. Je me doute bien que le jour viendra où je devrais me mettre en colère pour de vrai. C’est un jour qui me fout de drôles d’angoisses, de ces angoisses maternelles qui font sourire Juan. Ainsi va la vie. L’on verra bien ce qu’il en sera l’année prochaine…
Les fillettes de la rue rentrent de l’école vers quatre heures. S’il fait beau, l’on socialise jusqu’à ce que les parents de Cricri et Patri viennent les chercher. Raphy qui habite de l’autre coté de notre ruelle de forêt aime s’attarder. M’zelle Soleil adore faire partie de la « gang ». Pour son bien-être, je me transforme en cette maman cool qui vadrouille au milieu d’une meute de fillettes. J’écoute les confidences des plus grandes, je refréne les ardeurs, je contrôle les bêtises, je regarde par delà cette fenêtre d’enfance qui s’ouvre à mes jours. Ces enfants deviendront les adultes de demain. Je me sens responsable des valeurs qui s’inscrivent en leur mémoire. Je mets un peu ma propre vie entre parenthèses mais est-ce vraiment grave? Je ne le crois pas, je vis autre chose, je m’enrichis autrement, je vais bien. Je suis en accord avec mon coeur qui bat la cadence des jours.
Juan rentre du bureau autour de six heures. L’enfant se couche vers huit heures. Si je suis partie m’entraîner alors je reviens au coin de dix heures. Il me semble que les jours de la semaine passent sans que nous puissions vraiment nous apprécier. Les moments de couple doivent se programmer, c’est une habitude que nous n’avons pas encore bien apprivoisée. L’enfant a accéléré nos vies. Nous sommes désormais les gardiens de ce cocon qui protége sa petite enfance. Je suis à la base de ses jours. Je réalise que jamais je n’ai autant compté pour quiconque. Jamais ma vie n’a eu autant d’importance (d’influence) dans celle d’une autre. Pour cet enfant innocent, je suis maman. Tout simplement maman. Et qu’il y a t-il de plus important dans la vie d’un enfant qu’une maman?
Un papa bien-sur, un papa c’est important. D’ailleurs l’amour qu’elle porte à son papa est si fort que je le palpe régulièrement. C’est une sensation qui m’étonne. Je crois même apercevoir les prémices du syndrome d’Œdipe. Moi qui n’aie pas de papa dans mon cœur, j’absorbe à travers elle ces sensations que je n’ai jamais vécues. Grâce à la présence de son papa dans ma vie, je peux être une maman sereine qui n’a pas besoin de se battre, qui ne souffre pas, qui a deux autres bras pour l’aider à la tâche lorsque celle-ci devient trop lourde. Pour l’enfant de mère mono-parentale que je fus, ces sensations rassurantes qu’offre la présence d’un papa à la maison me sont bien étrangères, presque douloureuses parfois. Mais c’est aussi un baume sur ces peines que je ne discerne pas toujours clairement. Mon gouffre intérieur n’est plus si profond qu'il put l'être dans mon passé. Je me comble les entrailles de ces instants familiaux que je n'ai pas connu.
Notre couple survit à la parentitude, notre couple survit au passage du temps qui s’écoule. Notre couple mûrit et s’épanouit. Nous formons une équipe sentimentale. Rien n'est jamais acquis. L'amour est comme une plante qu'il faut soigneusement surveiller. Toujours il nous faut travailler pour pouvoir exploiter le meilleur de ce que nous sommes, pour ne pas succomber aux pires facettes de nos humanités. Notre couple se construit en cet univers qui nous unit. Nous sommes amants et parents. Pas toujours facile d’équilibrer ces deux états. Pas facile d’équilibrer tous ces états d’âmes qui forment la texture de nos personnalités. J’espère que nous pourrons continuer de l’entourer longtemps de ce cocon familial que nous tissons au fil des mois qui la voient grandir. J’aime cette famille que nous devenons, j’aime cet homme qui partage ma vie et j’aime tant cette merveilleuse enfant…
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