Boucle de jours
Petit matin blanc, première couche de neige, la semaine appelle à la saison prochaine. Petit blues d’hiver qui me racle la voix qui déraille. Jeudi dernier à courir la ville mal habillée, j’ai « attrapé un chat dans la gorge de mon décolleté »! À courir dans tous les sens avec une once de style mais aucune raison il faut bien avouer que je courais à ma perte! Voyons la mère, le décolleté n’est plus de saison!!! Le problème c’est qu’entre style ou chaleur, il me fallait choisir. Vu le désert de ma garde-robe, mes choix ne pouvaient s'accorder avec la minuscule température qui sévissait ce jour là! Ma féminité refoulée hurlait à mon attention. Et depuis le temps que mon style s’échappe entre deux bouffées de « mamamitude », je ne pouvais résister à l’envie d’en attraper une vibration urbaine.
Ma fille dans la poussette, à courir en ce gigantesque centre d’achat, j’ai grogné de l’intérieur lorsqu’un inconnu a toussé si prés de ma tête que j’ai cru sentir un vent de bactéries m’effleurer la joue. Grimaces et dégoût. Pouah! Moi qui suis de plus en plus ermite en ma brousse sauvage, je me doutais bien que ces frôlements de foule n’augureraient rien de bon. J’ai gelé sur place, quelque part en basse ville, à attendre Miss Dee tout en faisant la jasette avec un jeune à la dérive. Un jeune homme qui s’est faufilé vers mon regard pour venir le chercher alors que je me concentrais sur ce parcomètre qu'il me fallait nourrir. Je lui ai finalement offert ma seule pièce de deux dollars en échange d’un courant d’humanité. Ce garçon d'origine arabe possédait un certain charme. De mes yeux perçants, j'ai farfouillé son âme perdue. Il a accepté d’ouvrir une parcelle de son être contre cette pièce que je faisais miroiter dans ma paume. Heureusement que les sourires sont gratuits! L'humanité est d'une grande complexité, si l'on pouvait la vivre sans jamais juger autrui ne vivrait-on point en un monde meilleur?
J’ai adoré les deux macarons que le seul billet bleu qui me restait dans mon portefeuille me permit de déguster en compagnie de Miss Dee. J’ai frissonné entre deux courants d’air à attraper Miss Kay sous cet abri-bus qui nous servit de point de rencontre. J’ai pesté dans le trafic de cette fin d’après-midi alors que mon ado de soeur se payait ma tête. Tout au long du jour, j’ai décidé de prendre les petits obstacles du quotidien urbain avec une humeur zen exemplaire. Calme et sérénité d’exister. J’ai eu froid toute la journée et le soir, en sortant du lancement littéraire entourée d’une petite troupe amicale, la nuit glaciale m’a enserrée les os. La peau nue de mes bras a grelotté sous le tissu trop fin de ma veste d’automne...
Le lendemain matin, je me suis levée dans un état pitoyable, la gorge pleine de papier sablé, la poitrine enserrée par un vilain virus. J’ai traîné ma petite misère toute la journée sous le regard froncé de mon petit bout de fille : « Maman, bobo à la guoge? Aille! Maman bobo?». Le samedi matin, jour de son anniversaire, ma voix s’est perdue quelque part dans l’univers. J’ai forcé ma carcasse à fonctionner entre deux bouffées de chaleur. J’ai englouti cachets et sirop. Dimanche, je me suis réveillée avec une voix d’homme, plus une seule touche d’oestrogene pour adoucir le flot de mes paroles. Ma voix s'écorche au fil des mots que j'essaie de partager. Quelques bonnes quintes de toux pour pimenter mes heures. Aille...
La fin de semaine se passe dans la célébration de l’anniversaire de notre petite merveille. Déjà deux ans, toutes sortes d'émotions et de réflexions m’inondent les pensées. Nous recevons grands-parents, tantine, parrain, etc. deux jours durant une joyeuse compagnie défile en notre maisonnée. Une enfant tellement heureuse qu’elle en pétille de joie. Des cadeaux qui envahissent mon salon qui s’encombre des besoins de cette petite enfance. Une fillette qui aime beaucoup chanter et faire la fête mais surtout un petit bout de fille qui adore souffler ses deux bougies. L’on recommence le manège une douzaine de fois, juste pour son bonheur qui nous fait tant de bien au coeur. M’zelle Soleil s’exclame avec entrain : « Encore, encore les boozzzziies! Booooozzzzzies maman! Lily soufff boozzzzziiiiees! Encore… » Deux gâteaux deux jours de suite qui lui donnent l’occasion de souffler encore et encore. La petite fille est aux anges…
Lundi matin, la pelouse est recouverte d’un manteau de givre, ma voix déraille, fait des ratés même si elle me parait un petit peu moins masculine que la veille, ma voix se dérobe. La fatigue m’emporte. Je m’écroule. J’ai les pensées qui dérivent. Je me souviens de comment j’ai frôlé la mort en lui donnant la vie. Je constate avec gratitude que je suis revenue à la vie mais que je n'ai plus guère de tolérance pour la maladie qui se joue de ma peau. Je m’égare la cervelle qui se trouble d’angoisses silencieuses. L’homme me serre contre sa peau chaude. Je m’endors le corps repu de ses assauts virils. Mardi matin, le paysage se cache sous une couche d’hiver, ma voix se fait plus agréable, elle me fait moins mal. Ma poitrine se dégage. Des rayons de soleil viennent égayer la froide matinée. La neige ne résiste point aux feux de midi. Le temps se voile entre deux percées de lumière et je persiste en cette voie qui est mienne…
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