Espionnage civil,
Clandestine sur un quai désert, Chanelle sur les talons, je médite en silence d'eau. Au bout de mon quai abandonné, l’espace s’ouvre à mes pieds, limpide, sauvage, libre. Éclairée par cette ligne de lumières qui réverbère les reflets argentés de cette journée d’automne, j’attrape des étoiles terrestres du bout des yeux.
Un homme à barbe me passe sous le nez. Corpulent, il contraste avec sa petite embarcation, anonyme derrière ses lunettes et ses poils fournis, il pagaie sans un mot dire avant de disparaitre de ma vue. Un ponton se balade, tranquille Émile. Gracile, un voilier rase la surface de mon horizon.
À quelques chalets riverains de là, l’informaticien (que je connais de loin pour avoir donné des cours du soir à sa fille dans le passé), démonte son quai. Son bateau est rangé, il prépare sa rive à l’hiver. L’un de ses voisins débarque en trombe sur son petit tracteur de pelouse. Ils se saluent. La conversation s’engage…
Solitaire, assise en tailleur au bout de mon quai, de mes oreilles impudiques, j’écoute le vent qui porte en son sein cette conversation parallèle. Ma plume, partie en quête d’inspirations diverses, se pose aux aguets sur mon carnet.
Je les observe jaser du temps et de la pluie. De ce mois de septembre pas fantastique, du mois d’août plutôt pourri qui ne leur permirent pas de sortir assez en bateau. De celui qui l’a retiré de l’eau plus tôt que d’habitude, de l’autre qui parle du peu de belles journées et des nuits plus que fraîches. Le plus vieux s’exclame :
- Ouais, le fun est passé !
Ils commencent à m’énerver un peu avec leurs banalités. C’est tellement superficiel que j’en soupire d’ennui. Je me replonge la tête dans mes horizons liquides. Mais voilà que le fond de l'échange se détourne et que l’un aiguille la discussion sur la réunion municipale et le problème des algues. Je tends l’oreille, ultra attentive. Cela commence à parler plus sérieusement. Des sujets d’importances sont abordés en ce qui concerne la santé du lac, le problème des rives et des engrais. L’un dit :
- Ouais quand tu vois certains terrains du bord de l’eau, tu te dis qu’ils doivent avoir un traitement particulier pour que l'herbe soit si belle! Moi je me fous de ma pelouse tant que la lac reste en santé ! Pis tu as vu la marina qu’ils ont fait dans le deuxième bassin ! C’est effrayant ! Je voulais aller en parler pendant la réunion. Je suis sur que j’aurais été applaudi !!!
- Oui, il faut que la ville mette ses culottes avant que le lac ne soit « scrap *» !!!
Je ne peux m’empêcher de répondre mentalement :
- Hum, c’est un peu facile, faudrait peut-être que les citoyens aident la ville à mettre ses culottes si elle n’y arrive pas toute seule ! Ce qui manifestement est le cas!
L’autre de continuer sur la même lancée :
- La ville doit agir, elle doit faire preuve de « leadership » !
Les deux hommes sont d'accord. Ils parlotent encore quelques instants avant de se séparer dans un hochement de tête. Chacun retourne à ses activités de saison.
Je retourne à mon crayon et à mon horizon limpide. Hum, alors si je comprends bien, même ceux qui ont des bateaux peuvent être conscients du sort de ce lac si beau et désirer le préserver en sacrifiant de leurs plaisirs ? Si la ville ordonne, le citoyen obéit ! C’est un peu trop rêver au bon vieux coup de la baguette magique qui révolutionne tout sur son passage, sans efforts, sans s’impliquer, par le seul pouvoir du Saint-Esprit !!! Ouais…
*Scrap = foutu.
Update: Le petit bonhomme à vélo vient de passer ce soir. Avec la nuit tombée, il est venu déposer son précieux papier qui nous avertit du pire! Nouvel avis de non-consommation d'eau. Retour des algues bleues. La terreur de la Cyano se poursuit au village...
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