De l'eau et des "coucougnettes"
Hier, j’ai du puiser, deux fois dans la même journée, le courage de mes « couilles » invisibles. Mais oui, mais oui, même si on ne les voit pas à l’œil nu, elles existent bel et bien en mes pensées et je dois avouer qu'elles m’ont souvent été utiles tout au long de ma vie…
Mais trêve de plaisanterie, l’une des choses que je fais mention ci-dessus restera secrète car plutôt futile et peut-être même inutile mais hautement divertissante. La deuxième est d’une réelle importance, du domaine public. C’est donc de celle-ci que je disserterai aujourd’hui…
Ceci tourne autour de mon lac chéri. Voilà 6 ans que je l’ai adopté en mon cœur, six ans que je m’y plonge les émotions, six ans qu’il m'apaise l'âme ébouillantée. Six ans que je vis en ce petit village aisé. Hors, depuis quelques années, je remarque une prolifération de bateaux qui me dérange profondément. Je constate une façon d’aborder le plan d’eau qui m’irrite et me fait grincer des nerfs. Le lac n’est pas un terrain de jeu pour enfants gâtés, le lac est un écosystème à l’équilibre fragile que l’on se doit de respecter.
La Canada regorge de toutes sortes de richesses naturelles mais je me concentrerai ici sur son or bleu. Un or bleu qui disparaît graduellement grâce à la fourmilière humaine qui détruit tout sur son passage. Depuis plusieurs mois, je lis des articles, je regarde des documentaires, je découvre avec stupéfaction que nos lacs se meurent. Cela me révolte de l’intérieur. J’observe cette actualité de loin et tout près de moi j’examine « mon lac » qui me semble crier sa peur d’y laisser son cœur. Cette année, pour des raisons de santé et de maternité, je n’ai pu en profiter comme à mon habitude, et pourtant, à chaque fois que j’y suis allée m'y plonger les idées, j'ai ressenti une drôle de peine, un malaise persistant, l’impression diffuse qu’il n’allait pas bien. Évidemment j’ai essayé d’en parler autour de moi pour n'y trouver qu’une majorité d’oreilles sourdes à mes angoisses et une minorité de gens tous aussi inquiets que moi. Petit à petit j’ai senti que je devrai me battre pour lui…
Ce printemps, j’ai donc commencé à fréquenter les réunions municipales qui le concernaient. Je me suis instruite, et j’ai commencé ma croisade de lac tout doucement. J’ai tâté le terrain, repéré ceux qui deviendront mes ennemis, ceux qui seront des alliés, ceux qui sont des amis. J’ai écouté parler les aînés de ce lac sauvage qu’ils ont connu durant si longtemps, de ce lac si pur qu'ils ont vécu durant leur jeunesse et je me suis promis de faire tout ce que je pouvais pour donner à ma fille la chance de savourer ces sensations de nature offerte. Nos enfants ont le droit de vivre dans un monde en santé et vu que nos aînés ont été les rois de la pollution insouciante, c’est à notre génération de faire en sorte que les choses changent..
Bref, il y a deux semaines, alors que j’avais une journée « off »: bébé chez ma mère, les beaux-parents en ville. Je suis allée me repaître d’eau limpide, faire des compositions d’eau, reposer mes émotions bourlinguées et attraper quelques images silencieuses...
Juste avant de partir, je fronce les sourcils lorsque je remarque la formation d’étranges résidus de couleur bleutés à la surface de l’eau. Je les prends en photo, chose pas facile, vu que mon écran est mort et que je dois viser au « feeling » néanmoins j’attrape la chose étrange. J’en discute avec Lisou, une amie de plage, qui me répond :
- Ah! C’est rien, c’est du pollen!!!
Ouais, je reste sceptique, il a bon dos le pollen!!! Et depuis quand est-ce qu'il est bleu!?! De toute façon, si l’on en croit une certaine majorité, le lac va très bien et l’activité humaine ne lui nuit en aucune sorte! Ouais, là-dessus, je suis tout sauf sceptique!
Surprise! Trois jours plus tard, l’on apprend par un communiqué urgent que notre eau n’est plus potable (tout le village vit sur l’eau du lac) et que des mesures doivent être prises pour ne plus utiliser cette eau claire qui sort de nos robinets. Ceci causé par une algue bleue, une méchante cyanobactérie, plus poétiquement appelée fleur d’eau. Ah ben tiens! Voilà quelque chose qui m’étonne!!!
Bref, je sens la rage monter en moi, je la maîtrise, je la réfléchis pour ne pas qu’elle ne m’emporte et je ne manque pas de me tenir au courant du développement de la chose. Une réunion municipale d’urgence est programmée pour le 19 septembre. Malade ou pas, j’y serai…
C’est ainsi que je me retrouve hier soir dans la salle bondée de la mairie, en compagnie de quelques centaines de citoyens, les médias et caméras de télévision. J’écoute avec attention. Je retiens que mes perceptions étaient loin d’être fausse, le lac vient de nous faire son premier malaise. Pour l’instant ce n’est pas trop grave mais si rien n’est fait, l’on risque de le perdre! Mon sang ne fait qu’un tour.
Arrive la séance de questions qui donne la parole aux citoyens. J’écoute avec attention les problématiques des rives où règnent les pelouses immaculées qui polluent, des fosses sceptiques dangereuses et je ressens avec force le tabou des bateaux. J’attends que quelqu’un prenne la parole à ce sujet, mais non, rien! Pas un seul brave pour ce faire!!! Un citoyen essaie bien d’effleurer le sujet en parlant de ces gens qui viennent de l’extérieur pour faire une journée de bateau sur le lac et repartir mais est-ce vraiment là le problème de fond? Ce lac est un petit bijou très prisé, depuis quelques années des petits châteaux de plusieurs millions de dollars germent sur ses rives.
Il y a, depuis quelques années, la possibilité d’en faire le tour grâce à une croisière municipale. Cette année encore, j’ai pris des dizaines de clichés (en attente de traitement) de ces baraques de fous avec plusieurs skidoos, des bateaux énormes et même parfois l’hydravion de service. À chaque fois que je reviens de cette croisière, je constate que j’habite une toute petite cabane. Mais cela ne fait rien, le bonheur n'est pas dans son compte en banque et j’aime bien ma petite maison de galets. Ce lac, je le respecte, je m'en soucie, je le vis à l’année pas seulement un mois par été! Le sujet des bateaux est un sujet délicat, bien peu osent se mettre les gros bonnets sur le dos! Il y a tout un jeu de pouvoir et d'argent qui se joue en coulisses. Mais je m’égare, revenons à la réunion en question…
La séance de questions tire à sa fin et personne n’a posé cette question qui me démange. Ce point qui me chatouille les lèvres. Je me dis « Maudit! Y’a pas faut que je m’en mêle!!! » Je me lève. Je suis l’avant dernière. Dans ma tête ma question est claire, bien formulée, je regrette cependant de ne pas avoir de papier et de crayon pour l’écrire et la lire plus facilement au micro. J’essaie de me la tatouer dans le cerveau. J’essaie d’oublier que ma grossesse atomique a absorbé une partie de mes charmes physiques, que cela fait des mois que je n’ai pas fait d’apparition publique, que la caméra me fixe et que toute la salle est à l’écoute de ce qui sortira de ma bouche. Pour le bien de Dame Nature, je passe par dessus mes superficialités et je me lance par dessus bord. Je pose LA question qui dérange. À peine ais-je fini de parler qu’une salve d’applaudissement se fait entendre autour de moi. Merci mon Dieu, je ne suis pas la seule à m'en soucier!!! Je sens le regard d’un des acteurs municipaux me fusiller, je lui dédie mon plus beau sourire! Encore un qui doit avoir un gros bateau! Il essaie d’esquiver ma question. Je m’en fous un peu, mon point est marqué. Je le remercie, force mes jambes flageolantes à retrouver ma place et retrouve mon mutisme d’anonyme concerné. Bientôt une réunion qui traitera uniquement de ce sujet aura lieu au même endroit. J’y serai, armée de mon carnet, ma gueule et un crayon!!!
La réunion s’achève. Je croise Big Dan qui me félicite de ma question, j’en reste un peu étonnée car je sais qu’il aime bien aller en bateau sur le lac. Je ressens cependant que son inquiétude est plus forte que son plaisir. Il me dit :
- C’est un bon point que tu as dit. Je suis avec toi et à la prochaine réunion ça va chauffer…
- Ouais, il va falloir se battre…
- En effet, deux camps vont se former et cela va être la guerre ouverte.
Je sais qu’il a raison. Je sais aussi que j’ai, hier, déterré la hache de guerre. Saviez-vous que j’étais aussi un peu guerrière sur les bords ??? Je suis une guerrière pacifiste qui n'a pas peur des autres...
Durant mes années universitaires, je me suis impliquée dans multiples activités culturelles de nature para-scolaires. J’ai milité pour la littérature au sein de l’association en place, j’ai présidé la chose, mis en place quelques projets. Je m'y suis épuisée, j'ai failli me foutre en l’air des bouts de santé. J’ai eu de moins bonnes notes à mes cours que j’aurai pu car j’étais prise ailleurs mais j’en ai acquis une solide expérience sociale que je compte mettre au profit de mon lac chéri. La municipalité n’a pas fini de m’entendre.
Ce matin, Vivi m’appelle et me dit :
- Hé, je viens de t’entendre à la radio!
- Hein?
- Oui, sur Radio-Canada, ils ont retransmis ta question quand ils ont parlé du lac pendant les nouvelles…
Ah! Tiens donc! Il semblerait donc que lorsque l’on pose les bonnes (vraies) questions, il y a toujours des gens pour les écouter…
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