Curves ~ Masaaki Kazama
Je la retrouve au détour d’une allée d’Iris couleur arc-en-ciel. Dès qu'elle m'aperçoit, elle remarque mon teint blafard, mes mâchoires crispées, mon regard durci. Douce comme la brise fraîche d’un soir humide, elle m’invite à m’asseoir sur ce banc aux reflets d’argent qu’elle fait apparaître devant moi en un claquement de doigts.
- Calme-toi, assis-toi, tu as la mine d’un fantôme en colère!
- Peut-être que c’est ce que je suis, plus morte que vivante dans le monde de mes pairs!
Elle éclate de rire, ses boucles folles dansent sur ses épaules. Je ramasse mon chignon tandis qu’elle m’offre une limonade glacée. Elle me demande le plus doucement du monde:
- Alors, qu’est-ce que tu as fait pour arriver ici noyée de furie étouffée?
- Bof, pas grand chose, pis pas si étouffée puisque j’ai vomi dans tes marguerites à l’entrée, prés de la grande porte! Désolée…
- Oh! Elle soupire. C’est pas si grave si tu es soulagée. De toute façon, les vandales sont rares alors j’ai pas gros entretien à faire, je m’en occuperai tout à l’heure…
- Tu vas encore le faire en claquant des doigts?
Elle se frotte le bout du menton, le regard fixé sur un écureuil de passage, elle me marmonne un « Peut-être » absent. J’avale une gorgée de limonade, cela me fait du bien. Je respire profondément et joue avec une branche de cèdre qui se tend vers moi. Elle me regarde à nouveau et me dit :
- Mais pourquoi tu te mets dans des états pareils!?!
- Je sais pas, je dois être trop sensible! Tu ne peux comprendre! C’est des histoires de mortels, des histoires d’humanité sombre.
Alors que je repense à mon malaise passé, un nuage noir se forme dans le ciel azur qui se fonce, ce nuage de bonne taille s'approche, il se pose au dessus-de ma tête, juste assez pour me faire de l’ombre et un courant d'air, je frissonne et serre les dents. Je la regarde, inondée de lumière, souriante, épanouie dans la nature en extase, les mains pleines de terre, les genoux crottés et les yeux brillants. Elle fronce les sourcils et s’exclame :
- Bon ben ça y est! Tu as ramené un nuage! Bon! Ok, suis moi, on va aller du coté des bégonias, cela ne leur fera pas de mal un peu de frais, ces derniers jours, ils ont eu trop de lumière….
Je la suis dans un dédale de plantes luxuriantes et d’arbres en fleurs, je trimballe mon nuage jusqu'aux bégonias qui se rangent en cercle autour de moi, je peux presque les entendre rire derrières mes pensées noires, le nuage perd un peu de sa substance. Elle m’offre un tabouret de pierre d’un signe de la main. Obéissante, je m’assois, mon verre toujours à la main, j’avale une autre gorgée de limonade fraîche. Sous mon nuage, elle s’assoit prés de moi, pose une main sur mon bras et me demande :
- Pourquoi tu es fâchée?
- Je suis pas fâchée!!!
- Un peu quand même, qu’est-ce qui te trouble tant et t’empêche de voir le soleil chaud?
- Je sais pas trop, tu sais souvent je vais me promener, voir de quoi est fait le monde, de quoi sont fait les gens, je parcours les grandes artères, les avenues à la mode, les petites rues tranquilles, je n’aime pas juger, parce-que dans le fond, cela ne sert à rien, alors je garde un esprit ouvert et j’observe…
- Oui, moi, je te trouve chanceuse! Je ne peux sortir des limites de ce jardin, il est immense, je te l’accorde mais si ce n’étaient des visites occasionnelles, je devrais affronter une solitude tout aussi grande que l'espace à ma disposition! Et ce n’est pas comme si nous parlions d’un espace privé! Toi quand tu rentres chez toi, là-bas dans le manoir, tu retrouves ton intimité secrète, moi je campe dans ces arbres qui nous entourent…
- Oh! No, please, pas encore l’idée de liberté irraisonnée! Regarde mon nuage pleut!!!
- Bah! C’est pas mauvais pour les bégonias, tu les entends, elles rigolent comme des folles!
- Ah! À Tout malheur un bonheur, right!
- Ou un truc comme cela, bon alors, tu le craches ton mécontentement ou tu vas nous y faire passer l’après midi!
- Ok, ok, ok! C’est que, il me semble qu’il y a dans ce qui compose notre humanité, des courants super forts qui se traduisent par des critiques, des formes de dénigrements ironiques, des plaisanteries sarcastiques, des «geignardises» gratuitement méchantes, des moqueries niaiseuses, pis je sais pas, des fois je trouve cela super indigeste! Certains jours gris comme celui qui règne aujourd’hui, cela me déprime profondément, je comprends pas le monde! Je désillusionne en tourbillons…
- Et tu vomis dans mes plates-bandes! Génial! Mais regarde, ici c’est pas gris! Y’a juste ton nuage qui en arrache. Sinon, tout va bien, les abeilles géantes butinent et la récolte de miel du mois prochain promet des merveilles. Je pense même préparer un peu d’Hydromel pour Noël…
Elle se penche pour caresser une feuille qui s’enroule autour de ses doigts, elle soupire, nonchalante, elle se relève et essuie une larme de pluie sur mes joues mouillées.
- Tu sais même si parfois je me plains de devoir rester prisonnière du donjon enchanté, je sais que ce qu’il y a dehors n’est pas toujours joli à assimiler. Tu as des poids de souffrances à supporter que je ne connais pas. C’est vrai, j’en ai conscience et je te remercie de ne pas me forcer à y vivre aussi, là-bas dans ce monde où la magie n'a pas de droits, merci d’y sacrifier ta peau pour nous...
Elle me sourit doucement, je sens le nuage s’effacer comme par magie de mes pensées embuées. Je sens le soleil sur ma peau gelée. Les bégonias rigolent à pleines fleurs. Toujours ce même sentiment d'éternel, ce même désir de rester là, toujours, perdue dans le halo de sa lumière surnaturelle…
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