Vrac de jours
J’apprends à vivre avec la douleur de cette cheville qui m’a fait défaut. Prendre sur soi patiemment. Ceci chamboule mes routines avec l’enfant. Même si défilent les belles journées d’automne, nous restons confinées. Alors qu’à l’habitude nous profitions de nos matinées pour aller dehors, se promener jusqu’au lac, respirer du bon air, je dois me résoudre à la laisser regarder un peu de télé pour combler les longues heures qui s’effilent. Ma patience s’affine à force de travailler de tous cotés. Je constate que si je donne moins de ma personne à ma fille, elle se fait moins facile. C’est dans la logique des choses. L'influence des parents est gigantesque dans la vie d'un petit. Je travaille à nos fondations familiales. Je me "parentifie". Je lis toutes sortes de théories sur la psychologie enfantine et sur l'éducation. J'en déduis quelques vérités universelles. La "parentitude" est un long chemin sur lequel on ne peut reculer, toujours il faut avancer. Pendant que se répare ma mécanique endommagée, M’zelle Soleil n’en finit plus de parler. Sa langue se délie à une vitesse qui m’épate. Je découvre en face de moi une véritable petite fille qui n'en finit plus de rêver et qui souhaite que je lui fasse un bébé. Faire un autre bébé…
Ce n’est pas pour l’instant ma priorité. Pour l’instant je désire juste me retrouver. Retrouver ma faculté de marcher. Reprendre du service. Faire travailler mes neurones. Dégager deux ou trois jours pour réaliser ces projets qui s’empoussièrent. Faire évoluer ceux qui suivent leur petit bonhomme de chemin. Retrouver quelques aires de traduction qui me donneront quelques ronds afin que je mette du beurre dans nos épinards. Une autre garderie à visiter la semaine prochaine. Notre rez de chaussée à rénover. Une fuite d’eau a noyé le Retro Loft où nous recevions nos invités. C'est le temps de reprendre les travaux. Dans les mois à venir, toutes sortes de projets qui ne font pas état d’un autre bébé. D’ici un ou deux ans, nous y penserons plus sérieusement. Juste avant que mes œufs ne soient périmés. Une fois que la maison sera prête à accueillir un autre enfant et que nos finances seront moins rouges. Il sera alors temps de s’essayer à recréer la vie en ma chair. En attendant j’écoute rêver ma fille qui n’a plus rien d’un bébé et qui me raconte la vie telle qu’elle l’absorbe.
« Rihier » est le mot à la mode du mois. « Rihier » pour dire hier et signifier tout ce qui se déroule au passé. « Rihier » comme repère temporel pour débuter chaque tirade qui raconte les multiples souvenirs qu’elle accumule en sa courte mémoire. « Rihier » et « Quand je serai grande », la phrase qui se répète le plus en ses conversations. M’zelle Soleil change. Sa personnalité prend forme. J’ai conscience qu’avec le langage acquis une nouvelle étape d’enfance s'enclenche. Dans deux mois, elle aura trois ans…
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