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Encore deux jours d’immobilisme à tirer. Mon attelle de plâtre fait désormais partie de mon quotidien invalide. J’apprends à vivre avec cet inconfort réel qui m’handicape les pas. Voilà quatre jours que je suis alitée. Confinée. M’zelle Soleil me manque mais je sais qu’elle ne s’ennuie pas de moi. Elle profite, par cette occasion, d’une escapade au royaume de Mamie où je la sais choyée. Alors qu’elle virevolte de ses petites ailes, impatiente de s'envoler, je prends mon mal en patience. Comme ma mère parraine une famille de réfugiés dont les parents ont commencé l’école cette semaine, elle se retrouve, un peu malgré elle, à garder les deux enfants Apo et Ana qui ne commenceront l’école que la semaine prochaine. M'zelle Soleil adore Apo et Ana qui lui rendent bien, elle les prépare au français d'une mignonne manière qui me touche l'âme. Pendant ce temps mon ado de sœur commence le Cegep, elle est amoureuse, elle bulle en son aquarium et s'occupe gentiment de ma fille qui l'aime avec dévotion. M’zelle Soleil rêve d’aller à l’école. Plusieurs fois par heure elle est capable de relancer le sujet :
- Moi quand ze vais être crande, ze vais aller à l’école. Hein Maman?
- Oui quand tu auras cinq ans.
- Moi z’ai cinq ans!
- Non tu as deux ans et demi.
- Non moi z’ai cinq ans et ze peux aller à l’école!
Ainsi nous faisons des rondes d’un même manège qui n'arrête pas de tourner. La coquine me fait doucement sourire lorsque je la surprends à souffler une bougie en chantant : « Bonne fête Lily, bonne fête Lily-Soleil, bonne fête Lily cinq ans. » Tout en levant ses cinq doigts bien écartés dans les airs pour mieux démontrer la force de ces cinq ans tant désirés. Cette enfant me bouleverse. De l'extérieur je souris mais à l’intérieur je soupire. Elle a autant hâte de grandir que je n’ai pas hâte de vieillir. Elle voudrait autant accélérer le temps que je voudrais le ralentir! Ainsi va la vie. Ainsi se construit le présent qui conjugue parents et enfants.
Voilà cinq jours que je ne l’avais pas vue. En nos trois ans d’existence commune (comptant le temps de gestation), c’est la première fois que je me sépare si longtemps d’elle. Ainsi va la vie. Pendant ce temps, Juan en profite pour refaire la céramique de la salle de bains. Il en arrache le pauvre. Comme son assistante de service est alitée, il progresse plus lentement. Vu que les évènements de la fin de semaine ont mis des bâtons dans la roue de rénovation, il doit poser ses carreaux après ses heures de bureau. Il est fort mon homme. De plus je dois avouer que je ne suis pas mécontente de le voir enfiler son mini short de travail! Comme nous n’avions pas encore complètement réemmenagé avant mon stupide accident, je n’avais pas encore fini de remplir tous les tiroirs et placards. Du coup ses habits habituels de travail ont disparu et il n’a pu mettre la main que sur un mini short de plage « Labbats blue» qui lui dévoile les cuisses et qui lui moule les fesses de manière fort charmante! Le regarder travailler dans son petit short bleu, les muscles bandés, la sueur au bout de la tempe, me rend tout chose. J’en mangerai bien de ce garçon! Ah! Cela tombe bien c’est le mien! Trop con que je ne puisse rien me mettre sous la dent en mon état présent! D’un coup l’absence de l’enfant prend une autre dimension. Petit à petit je me souviens comment nous étions avant, beaux, libres et insouciants. C'est une sensation confuse qui rejaillit de mes entrailles noyées en ma maternité consommée. L'individu qui se rappelle à lui-même. Étrange sensation. Hier soir, passent Phil et Alex qui viennent donner un peu de renfort moral à Juan. Phil met le doigt dans ma plaie. Alors que je constate les jours qui défilent sans ma fille, il me dit en pointant mon plâtre du menton: « Ben c'est sur, il fallait au moins cela pour que tu puisses t'en séparer!». Oui, bon, je sais, je suis collée à cet enfant qui m'émerveille.
Aujourd’hui je me réveille avec un poids dans le cœur. J’ai mal, j’suis pognée, j’suis tannée, cela commence à me gratouiller la chair dans le plâtre, j’suis ben tannée et tout aussi pognée! Dehors le soleil brille de plein feux, la journée est glorieuse, cela me fout le bourdon. Heureusement, aujourd'hui je vois ma fille. Depuis deux jours, nous nous étions organisées avec mon amie Dee afin qu’elle aille chercher ma fille chez ma mère, pour ensuite venir me chercher, pour ensuite aller voir Equinoxe son cheval chéri. Juste au moment où mon moral se crashe entre deux branches d’arbres, du renfort est en chemin. Je me pousse les fesses qui s'ankylosent lorsque je les vois arriver en milieu de matinée. Prendre ma fille dans mes bras me remonte le moral d'un coup. M’zelle Soleil ouvre grand les yeux sur mon plâtre. C’est un "mega" pansement qui lui inspire un respect immédiat : « Maman ça va ton bobo? Tu t’es fait un gros bobo? Ça va maman???» Je la rassure en même temps que j’hume son odeur de sucre d'orge. Le velouté de sa peau est une caresse sur mes émotions à vif. Mon enfant. Ma chair et mon sang. Aimer son enfant est un acte si profond qu’il dépasse tout le reste. Elle m’enrobe de son affection. Nous montons dans l’auto. Ou plutôt je me traîne jusqu’à la voiture avec l’aide de Dee. Les maudites marches de la maison prennent une toute autre dimension depuis cinq jours. M’zelle Soleil qui porte si bien son nom éclaire nos esprits de son innocente luminescence. J'avale orgueil et douleur. J'apprécie la relation que ma fille développe avec mon amie, le tout est un bonheur à mon cœur. En chemin l’enfant me demande :
- Maman pourpoi tu t’es fait un gros bobo?
- Parce-que je suis tombée ma puce?
- Encore?!?
Dee ne peut s’empêcher de pouffer pendant que je marmonne :
- Oui, bon ben je sais, c’est pas comme si je l’avais fait exprès!
- Mais maman pourrpoi tu t’es fait bobo?
- Parce-que je suis tombée, je me suis fait mal à la cheville…
Je prends sa petite jambe entre mes mains et lui montre l’endroit en question. Sa compréhension générale est bonne, je n’ai jamais besoin de lui expliquer longtemps quelque chose. Régulièrement elle palpe le quotidien de son intelligence. Une intelligence en pleine ébullition. C'est à mes yeux un processus presque magique. Par contre une fois qu’elle a compris le truc, elle est capable de le répéter des centaines de fois! C'est moins drôle pour le parent gavé des mêmes ritournelles! M’zelle Soleil adore aller à l’écurie. Équinoxe le cheval de Dee réside désormais sur un domaine à une quinzaine de kilomètres de mon lac. C’est un endroit lové dans la forêt avec autant d’espace que d’animaux. Il y a une petite chèvre qui se ballade l’air de rien. Ana l’ânesse qui fait son tour de quartier, des chiens, des chats et des dizaines de chevaux, pour la plupart dans des champs.
Aujourd’hui la journée était magnifique et c’était la première fois que je sortais de mon antre de puis cinq jours. Aujourd’hui les sourires de mon amie ont aiguillé mes pensées à la dérive. Comme une héroïne elle m’a amenée sous son aile mon petit Soleil et du coup, je n’ai pas sombré dans l’obscurité. J’ai plutôt passé une superbe matinée, assise sur une chaise la patte sur une autre à regarder briller la vie autour de moi. Une minuscule chèvre au coin de l’œil, l’ânesse derrière l’épaule et ma fille au coin du cœur, j'ai savouré de plein gré ces quelques heures envolées. Je me suis nourrie l'humeur de ma fille qui rayonne aussi fort que le soleil dans un ciel bleu. La vie est ainsi faite. Elle n'est pas parfaite mais elle est souvent belle. Encore deux jours d’immobilisme à tirer avant la prochaine visite à l’hôpital. Je suis aussi raisonnable que recommandé, je visualise même, par instants fugaces, les petits bouts de ma chair qui se recollent de l’intérieur. Je refuse de m'aplatir devant l'obstacle. Je suis blessée mais je ne me laisserai pas abattre…
2 commentaires:
Je suis navrée pour toi avec mon déménagement à Londres j'ai manqué des "épisodes de ta vie"
Est-ce vraiment impossible de l'inscrire à une maternelle a cette âge? Les miens ont commencé à deux ans, l'une chez des bonnes soeurs, les petits enfants à la crêche parentale, puis à trois déjà à l'école maternelle municipale.
Il n'y a pas au Canada près de vous?
:lol: C'est pas grave, mais je suis contente de te revoir et de te savoir bien arrivée à Londres! J'adore Londres, c'est l'une de mes villes préférées, un peu cher par exemple, mais je sais pas, l'ambiance m'a plut à chaque fois que j'y suis passée! J'espère que tu y trouves de nouveaux repères...
Pour la maternelle, non ici c'est 5 ans. Tout le pays fonctionne de même. en plus comme LIly-Soleil est de novembre il faut avoir 5 ans en septembre ce qui ne sera pas son cas et je devrais faire toutes sortes de démarches si je veux essayer de la faire rentrer durant septembre qui précède ses 5 ans! J'ai le temps d'en faire un autre d'ici là puisqu'elle n'aura que 3 ans en novembre 2008! J'ai possiblement trouvé une gardienne pour 3 jours semaines, c'est à suivre....
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