jeudi, août 07, 2008

Coup de coeur

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Coup de cœur entre deux gouttes de pluie.

Aujourd’hui le ciel nous fait gré d’une autre journée d’automne en plein mois d’août. Le ciel se paie notre tête avec une température de quinze degrés et de la pluie à profusion. De quoi se régaler le moral collectif! Pourtant la vie se joue du ciel en mettant sur ma route des exemples d’humanités, qui me font tant remettre mon univers en perspective, que du coup, les frasques du ciel me glissent sur la tête sans m’en imprégner les idées.

Aujourd’hui ce qui m’imprègne le cœur c’est la souffrance d'autrui. Tout humain souffre sur la Terre. Nous souffrons de différentes manières, même si l’on ne peut comparer les souffrances entre elles, l’on peut en mesurer certains degrés. Ce matin, en allant chercher un biberon oublié chez ma mère, je me retrouve face à une souffrance humaine qui me transperce les entrailles.

Ma mère parraine présentement une famille de kurdes irakiens réfugiés à Québec. Des victimes de la guerre qui ne font pas de bruit dans les journaux, d’innocentes victimes qui sont plus chanceuses que d’autres mais qui doivent traverser de sacrés traumatismes. Des personnes, tout comme nous, qui se retrouvent dans des situations extrêmement difficiles. Des gens qui font tomber les préjugés par leur simplicité et leur humanité. Shagol et Anouar ont la fin de trentaine. Musulmans, ils vivent leur religion sans en imposer aux autres. Elle ne porte pas de voile, il boit une bière sous la canicule, ils ne mangent pas de porc. Parents de deux enfants: Apo, petit garçon de dix ans et Ana, petite fille de six. Apo semble solide comme un rock mais Ana n’est pas en bonne santé. Elle est la raison qui fit chavirer le coeur de ma mère et accepter la complexe tâche d’assimilation de cette famille venue d’ailleurs. Ana a un problème de reins qui la fait gonfler,une condition qui fait qu'elle n’absorbe pas les protéines. Un truc néphrétique pas sympathique. Elle était soignée à Bagdad, puis sa famille a dû fuir l’Irak pour se réfugier en Syrie et de là, sa famille est entrée au Canada par le biais de voies humanitaires. Arrivés à la mi juin au Canada, ils ont été mis entre les mains efficaces de ma mère qui leur a trouvé un logement et qui les aide à passer toutes les étapes nécessaires pour s’installer un quotidien à Québec. La communication est complexe puisque Anouar (le mari) ne parle que l’anglais (pas ma mère) et que Chagol ne parle qu’irakien, quant aux enfants ils ne causent que leur langue maternelle. Mon beau-père parle anglais couramment ainsi que ma pomme. Le reste est un joyeux charabia.

Un mois après leur arrivée, la maladie d’Ana est repartie pour un tour de force et l’enfant a dû être hospitalisée. Ma mère étant au front puisque que c’est elle qui connaît le fonctionnement social et qui les soutient dans chaque étape de leur intégration. Une fois à l’hôpital, les docteurs diagnostiquent qu'Ana a la tuberculose et une hépatite B en plus de son problème de reins connus. La petite Ana souffre en silence. Dans un pays étranger où elle ne comprend pas la langue, la petite se fait ausculter sous tous les angles. Son père à son chevet, dévoué comme le meilleur des papas, Ana bataille le mal qui l'afflige, elle s'accroche à ses jours qui lui glissent entre les doigts. La petite est viable mais bien mal en point. Elle doit être scrutée à la loupe. C'est une petite fille toute douce avec de grands yeux noirs qui ne demandent qu'à sourire. C'est une situation difficile pour sa maman. Une maman qui se retrouve parachutée sur un autre continent sans possibilité de communiquer verbalement. L’angoisse de Chagol transperce le voile de sa langue, elle se diffuse dans ses yeux, dans ses larmes.

Avec dignité Chagol accuse les épreuves. Elle me touche de l'intérieur. Ce matin, en allant chercher le biberon oublié, je tombe en plein dans la marmite d’inquiétudes. Ana est de nouveau gonflée, difficile pour les parents de comprendre la complexité de ses traitements. Ma mère discute avec la docteure, l’enfant malade est comme une petite brindille que l’on s’affaire à réparer. Mon cœur se renverse. Les larmes de Chagol me pénètrent le cœur et son émotion, durant quelques secondes, devient mienne. Mon esprit peine avec elle. Que de souffrances dans le coeur de cette femme : son pays est détruit, elle a perdu sa maison, son identité sociale, ses repères, elle doit tout reconstruire et soutenir sa petite fille sérieusement malade. Une situation douloureuse que personne n'aimerait vivre. Une situation qui pourrait nous arriver en d'autres circonstances. La haine est stupide. La guerre est une idiotie. Quand arriverons-nous à être assez intelligents pour régler les conflits sans se faire souffrir inutilement?

Je pense qu’Ana a toutes les chances de s’en sortir. Le Québec l’a pris sous son aile protectrice et j’ai confiance en ses chances de survies. Elle est presque sauvée. Elle pourra grandir dans une société "féministe", elle pourra étudier et sera libre de son destin. Cela dit je crois aussi au pouvoir des pensées bienveillantes et j’encourage quiconque lira ces lignes à envoyer une pensée d’espoir, une pensée positive à cette maman souffrante qui se bat courageusement pour son enfant….

La première fois que je les ai rencontrés, j’ai pu mettre des sentiments vivants sur ce traumatisme qu’ils traversent au présent, je me suis demandée comment je pourrais être aussi forts qu’eux en de pareilles circonstances. Comment pourrais-je survivre si je perdais tout ce que je possédais et me retrouvait ainsi transbahutée en un monde étranger. Comment émotionnellement je survivrai à la guerre, à la fuite, au camp de réfugiés et à toutes ses épreuves qu’ils ont dû traverser pour arriver là, dans l’arrière cour tranquille de ma mère. Sur le coup, ma réaction première fut de me dire : « Ah ! Non je ne survivrai pas, je me décomposerai, je m’effondrerai ! » et puis je regarde jouer les enfants et je réalise que non, je n’en mourrai pas et même si je m’effondrerai certainement, je me relèverai par amour pour ma fille. Par amour de ma famille. Pour ma fille, je serai forte aussi, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour survivre et me sortir de la mouise. Ils ont la chance d’être ensemble, leur richesse est leurs enfants. Ils semblent unis, aimants, ils sont parents envers et contre tout. Je les trouve tellement magnifiques d’humanité que je leur offre mon amitié sur le champ.

Ce matin, les larmes de Chagol me bouleversent. J’essaie de la consoler mais sa douleur est si profonde que je peux quasiment rien y faire. Je ne peux que respecter sa peine. Et ne pas oublier combien je suis chanceuse de vivre une existence si paisible. Remercier le ciel de ses bontés envers les miens. Ne pas être ingrate et superficielle. Réaliser mes privilèges. Accepter les obstacles du quotidien. Serrer mon brin de fille contre mon coeur. Être patiente et tolérante. Aimer…

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