En vrac de coeur
Lily-Soleil m’apprend l’Amour. Je croyais être une experte en la matière, après tout j’ai passé une grande partie de ma vie à étudier ce concept, à essayer de le comprendre, de le reconnaître, de l’épanouir, pourtant elle m’ouvre à d’autres dimensions inconnues qui se jouent sur ce même thème…
Chaque semaine elle évolue dans cette perpétuelle découverte de l’être. Je lui ai donné la vie. Ce fait me percute le cœur et je me demande si la source de cette extrême affection ne se trouve pas cachée là. Contempler son identité éclore au fil des jours me ravit. La voir grandir me remplit de pure joie. J’apprends à la connaître et en même temps j’apprends d'autres aspects de la vie.
J’explore un nouvel état. À tâtons, je cherche ces repères qui m’aideront à construire un havre d’amour et de paix. Nous nous sommes multipliés, nous sommes devenus trois, ensemble, nous arpentons ce nouveau domaine parental. Je suis la poutre, il est le toit, elle pose les murs.
Enfant unique, fruit du divorce. J’avais neuf mois lorsque mes parents ont divorcé. Je n’ai aucun souvenir, aucune notion d’entité parentale. Mon père à disparu dans la brume, ma grand-mère a recueilli mes jours pour les enrober d’un tendre cocon. Je n’ai pas beaucoup vu ma mère durant ma petite enfance. Elle avait vingt ans lors de ma naissance. Elle est devenue femme active, femme d’affaire accomplie aux prises avec un atroce karma amoureux. Femme libérée des années 80…
Jusqu'à ma majorité j’ai été gâtée matériellement, je n’ai jamais manqué de rien. Ma mère se déculpabilisait en m’offrant tout ce que je désirais. Elle m’entourait d’un cocon concret de matérialisme, ma grand-mère s’occupait de mon cœur en l'abreuvant d'affection. Je ne me souviens pas avoir souffert de cet arrangement. Au contraire, libre comme l’air du temps que j’aspirais, je virevoltais avec cette époque qui me couvait. Je me souviens de mon premier déménagement comme étant celui qui marqua l’année de mes onze ans. Avec mon entrée en sixième, j’intégrais les quartiers de ma mère à quatre cent mètres du foyer de ma grand-mère. J’étais assez grande pour me garder seule…
À quatorze ans, nous avons immigré au Québec pour nous installer à Montréal. Mon futur beau-père d’enfer, futur père de ma petite sœur, suivit ma mère pour s’incruster dans ma maison. Il y a deux sortes de maisons. Celles que l’on voient, celles qui nous abritent de l’extérieur et celles que l’on ne voient pas, celles qui sont le reflet de nos bulles d’existences, invisibles, elles enrobent l'intérieur de ce qui fait notre humanité distincte.
À Montréal, nous déménageâmes chaque année, du centre ville, aux frontières de l’Ouest, à l’Est francophone. À 18 ans, je me retrouvai en appartement au coeur de St-Denis. La nouvelle entité parentale formée par mon beau-père et sa femme, incidemment ma mère, ne comptait pas sur ma présence pour se construire.
À 19 ans, je découvrais une petite perle d’appart sur le plateau Mont-Royal, dans les environs de Marquette et Laurier, je tissai ma toile de vie entre partys et école buissonière. Six ans sans bouger. Puis un tournant dans le bois, la montagne de Rigaud deux ans. Retour en la capitale de la vieille France. 18 mois. Rencontrer Juan durant ce dernier trimestre sur la Terre des ancêtres. Retour au Québec, pays d'adoption aimé, suivre les signes du destin pour s’installer près d’un grand lac.
Cela va faire 7 ans que j’ai découvert ce lieu de villégiature. Lorsque Juan m'a rejoint, ma mini cabane lui pesait, alors le hasard qui fait bien les choses nous a permis de trouver ce petit chalet de bois. Six ans que nous y faisons grandir ce couple qui est le nôtre. Ce chalet qui fut notre maison, qui abrita le coeur de nos jours durant le cours de deux diplômes universitaires, durant cette transition d'état, de la fécondation à la gestation et la naissance de ce bébé qui me fascine.
Les jours suivants vont tourner autour du déménagement présent. J'ai 33 ans et j’haïs déménager! C’est un concept que j’ai appris à détester au fil des ans. Je suis nulle coté boites, l’organisation de la chose me donne envie de fuir et je n’aime guère jeter. Sans compter comment cela peut me jouer sur les nerfs et dans les émotions, processus qui m’énerve singulièrement. Si j’ai bien hâte à être déménagée, je n’ai pas hâte à déménager!!! Mercredi nous aurons les clés de la maison…
L’ironie de la chose est quand même comment nous déménageons sur une ridicule distance! Nous nous installons à trois terrains d’ici sur la même rue. Simplement nous serons au fond de la rue plutôt qu’en son milieu, plus près de la forêt…
Lily-Soleil aura sa petite chambre. C’est présentement une étrange pièce d’escalier avec une grande fenêtre. Comme nous devons rénover tout le bas avant de pouvoir y installer nos chambres, Juan va condamner cet escalier en posant un plancher qui fermera la petite pièce, parfaite pour une chambre d’enfant. Nous nous installerons dans mon futur bureau. Mon bureau se trouvera un petit coin de salon. Une bonne année de travaux en bas, changer le plancher, casser les murs, remonter d’autres murs, changer le plafond. Tout cela à bras de Juan. De mon coté, je suis en charge de la partie déco qui me revient de droit. Alors que je parle avec mon amie Ves des affres de la chose, elle me dit : « Mais chez toi, c’est toujours cosy et super cute, je suis sure que tu vas pouvoir jouer à tout remettre à ton goût! »
En septembre, je reprends la traduction pour mettre du beurre dans les haricots. J’espère que ma santé se sera remise sur pieds et Lily-Soleil sera plus grande, il sera donc plus facile de gérer un deux-trois jours de traduction par semaine…
Même si je manque de stimulation artistique (j’ai eu cette révélation au dernier concert qui m’a éclairci les idées), rester prés de mon bébé est d’une incroyable richesse émotionnelle. Un trésor que je veux continuer de savourer. Elle grandit si vite. Déjà elle bredouille des « ma, ma, mama, mmaaa, maaaa... ». Elle se met à quatre pattes et recule en gigotant comme un véritable asticot. Elle adore être debout et essayerais bien d'avancer si elle pouvait se dégoter l’une de ces marchettes illégales au Canada. Elle remplit chaque seconde de mes jours et me laisse quelques instants de répits les temps de siestes sages. Siestes bienvenues qui me donnent l’occasion de laisser vibrer des doigts rouillés sur un clavier esseulé...
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