Le revers de la médaille
Ces dernières semaines, plusieurs bonnes nouvelles nous sont tombées sur le nez. L’on se compte chanceux, bébé en santé, boulot, nouvelle maison. Le bonheur de Juan qui présente sa fille à ses parents. Il n’y a que mon corps qui me fait encore défaut mais je remonte la pente tranquillement, vaille que vaille, coûte que coûte…
J’ai dégringolé si bas cette maudite pente que lorsque j’étais au fond du ravin, c’est à peine si je me rendais compte de ma décrépitude. Je ne rendais pas compte des ravages de l'infection. Plus je gravis la montagne pour retrouver la femme que j’étais, plus je réalise à quel point j’étais dégradée physiquement. Mais toujours je me dis, mieux vaut moi que le bébé.
La semaine dernière cependant j’étais aux prises avec de mauvais pressentiments. De fortes inquiétudes pour ma Mère-Grand de l’autre coté de l’océan. Des inquiétudes que je taisais en me disant qu’elles passeraient. Malheureusement le pressentiment se révèle au présent. Mercredi dernier ma chère Grand-Mère, ma deuxième mère usée par une dure existence de labeur et de don de soi, est tombée en allant se coucher sans pouvoir se relever. Sa voisine l’a retrouvée au petit matin dans un piteux état. Direction l’hôpital de région. Depuis son cas s’aggrave inexorablement. La mort rôde. Ce matin, je reçois la nouvelle qu’elle est paralysée et dans le coma. Je sens la fin au creux de mes entrailles. J’éclate en sanglots. Impuissante, je n’ai même pas un passeport valide pour sauter dans un avion, impuissante, je ne peux que laisser couler ces larmes qui me plongent dans une immense tristesse. Impuissante…
Six ans déjà que je ne l’ai pas serrée dans mes bras. Six ans pour se reconstruire une vie, contrer la pauvreté, aller de l’avant. Je sens qu’elle risque de partir sans que je n’aie pu lui dire au-revoir, sans que je n’aie pu l’embrasser une dernière fois. Mon cœur en bouillie se révolte. Impuissante. Je devais aller la voir au printemps dernier mais ma grossesse plutôt complexe m’en a empêchée. Elle-même ne voulait pas que je me fatigue davantage. Je voulais aller la voir d’ici l’été avec le bébé, je crains que le présent ne l’emporte avant. Je ne suis pas sure de vouloir me déplacer pour son enterrement, je sais qu’elle ne m’en voudrais pas pour autant. Je m’en veux de ne pas avoir pu la voir avant. Avant que son corps usé par la vie ne me l’arrache. Je n’ai que des mots pour laisser couler ces sentiments qui me tourmentent. Impuissante. Dans ma tête tournent les émotions, les raisons. Dans ma mémoire, les souvenirs font des boucles qui frisent ma réalité perturbée. Une profonde angoisse se loge au fond de mon ventre vide.
Bébé me regarde pleurer de ses grands yeux bleutés. Ses grands yeux qui scintillent de pure innocence. J’avale mes larmes de mon mieux. Emportée dans un tourbillon, je m’enfonce le moral à coups de chagrins. Je ressens la force vitale de ma Mère-Grand qui me souffle de ne pas m’apitoyer. J’avale des morceaux de peines. Bébé se réveille, c’est la vie qui m’appelle…
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