Depuis août 2016, les épreuves de santé se succèdent à un rythme effréné. Au printemps 2017, me voilà devenue invalide. Cloîtrée par les douleurs et maladies.
En cette condition, le quotidien devient lutte. Je ne sors plus de ma chambre que pour des rendez-vous médicaux et des traitements. Dire combien c'est dur sur le moral est très peu dire. La méditation aide le cerveau à tenir. L'affection de mes proches aussi.
À l'automne dernier, je commence une série d'infiltrations dorsales. Tous les trois mois, à vif, sous radioscopie, sentir l'aiguille se planter dans ma colonne et y répandre le liquide qui brûle. Une fois, deux fois, trois fois, parfois cinq fois à la fois. Selon la série du mois. Repartir pire que l'on est arrivé pour espérer aller mieux le mois suivant.
L'un des pires traitements que j'ai vécu. C'est si pénible qu'il me faut tout l'amour des miens pour tenir le choc. Dieu merci, au fil des mois, l'inflammation commence à montrer des signes de diminution, je m'accroche. Et m'isole. Je me déconnecte. Parler devient une corvée. Je me sens en apnée. Je n’écris plus.
Alors que ma colonne s'embrase, j'ai la sensation de m’éteindre. J'attise mes braises intérieures avec le souffle affectueux des miens. J’enchaîne rééducation et traitements. Tout en me médicamentant et en méditant. Je m'épuise.
Je m'accroche et je force. Au fur et à mesure que l'inflammation en mes vertèbres diminue, je reprends vie.
En la prison de ma chair: réclusion et rééducations
Avec l'été arrive ma dernière série d’infiltrations de cortisone, pour un total de 14 injections dans la colonne vertébrale en neuf mois. Je commence à voir des réels signes d’amélioration en ce qui concerne ma mobilité et ses maux. Chiro, ostéo et doc de famille notent aussi l'évolution positive.
Je poursuis mes rééducations. Je commence à sortir de ma chambre pour autre chose que du médical. Chaque sortie est bien douloureuse mais tant qu'elle est possible, c'est ce qui compte. À chaque mois, le défi d'une sortie. Chaque sortie accentue les maux tout en travaillant l'endurance du corps. Et de l'esprit...
L'on accompagne Miss Soleil en un concours de chant à Trois Pistoles. J'arrive à aller voir un concert au festival d’été et un spectacle de théâtre à Montréal. Je réussis à faire une sortie romantique avec mon homme. Je recommence à chasser les couchers de soleil au coin de mon lac. Tout ceci ne se fait pas sans peines ni multiples douleurs. tout ceci s’inscrit dans la continuation de cette rééducation auquel je m'applique.
À force d'efforts et de volonté, je reprends des forces. Mon dos me fait fortement souffrir, en continu, mais je retrouve un peu de mobilité. L'insupportable se fait un peu plus supportable. Mon objectif étant de retrouver une zone non point tant confortable que supportable...
Mon corps me fait souffrir physiquement mais ne plus travailler est une souffrance morale qui me mine aussi. Je commence à reprendre assez de force pour pouvoir y penser. J'anticipe la rentrée avec un plan d'action afin de retrouver mes chemins d'écritures.
Une invitation qui tombe à point
C'est alors que me contacte une recherchiste de l'émission Zone Franche qui est diffusée sur Télé-Québec. Elle est tombée sur le groupe de douleurs chroniques que j'ai fondé sur Facebook et s’intéresse à mon cas dans le cadre d'une émission portant sur la médication. Après quelques conversations profondes, elle me confirme que la production m'invite à participer à l'émission dont le tournage se déroulera la semaine suivante.
Je me renseigne sur le format de l'émission. Je le trouve intéressant. Les invités débattent d'un vaste sujet sur un plateau en forme de ring. Je trouve que c'est un concept intéressant et les discussions sont bien menées.
Je regarde en ligne quelques épisodes de la première saison. J’apprécie le ton de l'émission et les deux animateurs qui en tiennent la barre. Je me dis que c'est un défi à relever. Après tant d’années cloîtrée, le contraste est stimulant. Mes experts médicaux pensent que je suis prête. Cela ne sera pas facile mais c'est possible. Ce qui ne l'aurait pas été six mois auparavant.
J'estime être rétablie à environ 55%. Mon objectif étant 75/80% d'ici une autre année. Je m'y accroche les volontés pour en poursuivre les traitements et rééducations. Mais 55% et des poussières, c'est juste assez pour me rendre en ville et fonctionner sur ce tournage professionnel.
J'accepte l'invitation tout en planifiant savamment comment faire pour y arriver. J'apprécie l'attitude bienveillante de la recherchiste qui me met en confiance. Une semaine passe et nous voilà partis, en famille, à Montréal.
Je sais que je vais accentuer plusieurs douleurs physiques mais bon, quand on vit en douleurs constantes, l'on apprend à vivre avec. L'on apprend à s'y adapter pour continuer d'avancer. Sinon à quoi bon?
En tournage à Montréal
L'homme conduit et soutient, la puce profite de l'expérience. Ils seront tous les deux du public. Je suis contente de les emmener de nouveau en une aventure qui nous sort de l'ordinaire. Cela me rappelle à ma vie. Cela me rappelle à mon monde.
Même si je représente la malade de service, la journaliste en ma peau se réveille. Ce n'est pas ma première télé. Mais c'est la plus conséquente. Je me sens prête. Prête à ressortir de ma chambre pour de nouveau exister.
Après plus de deux années à ne sortir de ma chambre que pour aller à l'hôpital, à des rendez-vous médicaux, à des traitements divers et a des séances de rééducations, me retrouver sur ce plateau de télé est un petit choc pour ma cervelle!
Un choc qui fait du bien au psychique même si ça fait mal au physique. Ce qui est fascinant c'est que je ressens à peine le stress. Gérer les douleurs physiques pour tenir le coup absorbe le stress de la chose. C'est le seul avantage de bien des inconvénients.
L'émission est un débat donc en soi c'est de l'improvisation et de la réflexion, sauf pour l'intro, que l'on prépare à l'avance.
Je passe la journée du tournage à me reposer, à méditer, et à mettre de la glace là où ça fait trop mal. Je prépare aussi mes notes pour mon intro. Je décide d'une tenue adéquate en faisant mon possible pour ne pas penser comment je suis bouffie de cortisone.
Sachant que la camera ajoute dix livres, je ne suis pas extatique de la chose. Mon ego soupire. Enfin mieux vaut être bouffie de cortisone et debout, que couchée à vie.
L'on arrive au studio passé 19 heures. Je rencontre brièvement l'équipe et les autres invités dans les loges et pouf, me voila dans la chaise du maquilleur.
Il me demande si j'ai une préférence, je lui souffle "Smoky Eyes" avec un sourire. Et c'est parti pour une séance de maquillage qui me transforme en Cendrillon prête pour aller à la fête. Ou aller dans un ring?
Pendant que Richard me transforme, je lui pose quelques questions, curieuse de savoir ce qui l'a poussé à devenir maquilleur professionnel. Il me raconte son parcours pro et je trouve que c'est une belle histoire sur comment trouver sa voie et s'y épanouir. Je trouve son histoire inspirante et j'adore son travail sur ma face! Je n'en reviens pas.
En me regardant dans le miroir, je reconnais la femme oubliée. Celle qui est sur la glace depuis si longtemps. Celle que la mère tient en vie depuis si longtemps!
Je lui explique que mon corps, en s'adaptant à la douleur constante, me fait suer beaucoup. Comme je ne tiens plus grand compte de ses signaux de douleurs, il me les rappelle en me faisant suer à fond. Richard me rassure et m'assure qu'il sera là pour retoucher au besoin.
Ce qu'il fera, en effet, avec soin tout au long du tournage. Jusqu'à ce que la couche de maquillage forme une véritable protection contre la sudation!
Et pouf, me voilà maintenant dans la chaise de la coiffeuse. Tout aussi sympathique que le maquilleur. Elle se contente d'affirmer mes boucles et de les maîtriser. À peine a-t-elle finit que c'est le moment d'aller sur le plateau. Je prends le temps de prendre ma morphine du soir, pressée, j'en oublie la pilule qui calme les nerfs. Je suis la troupe du soir. Sans transition, me voilà sur le plateau!
Silence, on tourne!
Juan et Miss Soleil sont en face de mon tabouret. Ils me sourient. Je regarde le public qui nous entoure, composé d'une centaine d'âmes. J'ignore les maux de mon dos. Et ces neuropathies sous jacentes qui ne demandent qu'à s'activer.
J'inspire. J'observe les animateurs répéter, à mi voix, leurs phrases d'intro et je me dis que c'est un peu de la triche. À ce moment précis, je réalise que j'ai laissé mes notes dans la loge. Et que je ne les ai pas révisées!
Schnoutte de schnoutte de schnoutte. Je réalise que pendant que je me faisais maquiller et coiffer, les autres révisaient leurs notes. Ma cervelle commence à sacrer en même temps que j'entends: "Silence, on tourne!"
Ma cervelle fait des tours dans le vide. What! F.... Mes notes! Fu.... c'était quoi encore mon intro! Non, je l'ai oubliée! Ma cervelle se vide et sacre en silence. Je sens monter la panique silencieuse alors que les autres invités se présentent. Ils disent leur intro, la panique augmente. Fu... Fu... Fu... Et bang, c'est mon tour! Nooooooonnnnn.
Pour la première fois de ma vie, ma cervelle ne répond plus à mes commandes. J'ouvre la bouche et rien ne sort. Cramoisie, j'essaie une deuxième fois. Mais rien ne sort, je ne sais plus rien. Je bafouille. Ma langue trébuche. Mes idées me fuient! J'ai tout oublié. Je sais qui je suis mais je ne sais plus ce que j'ai à dire!
J'essaie une troisième fois, incapable de former une phrase digne de ce nom. Je suis foutue! Et c'est là où les animateurs m'enrobent de leur compréhension et gentillesse. On ne dit jamais à quel point la bienveillance est une force tranquille qui soutient dans la déroute.
Raed, à mes cotés, me sourit avec chaleur et sincérité. Isabelle explique au public que c'est ma première sortie professionnelle depuis des années. Le public m'accorde alors une salve d'applaudissements. Tout cela est surréel. On fait une pause, j'essaie de retrouver mes notes. Je me perds dans mon téléphone et je finis par déclarer forfait. Voilà j'ai raté mon intro. Je l'accepte. Je suis verte!
J'apprendrai, après coup, l'angoisse de la puce à me voir ainsi bafouiller et la certitude de mon homme que je vis, en direct, un petit choc traumatique.
À me retrouver ainsi sous les projecteurs, mon cerveau sursaute. L'équipe me rassure, on n'y verra rien au montage. Je le sais. Mais quand même, je ne suis pas fière de moi.
Arrive la partie débat, plus de question de notes, juste de la conversation réfléchie. Je rappelle à ma cervelle qu'elle sait réfléchir et converser. Je me concentre,de tous mes sens, sur la discussion qui s'enclenche. Enfin mon cerveau se met en branle.
Reprendre le contrôle de ma cervelle
Fâchée d'avoir si bien raté mon intro, je me concentre sur les paroles des invités. J'entre dans la discussion. Je me mets à si bien parler que, l'une des invitées, très empathique, m'en félicite durant la pause qui suit. Cela me fait chaud au coeur.
J'imagine que le contraste est frappant. La puce respire enfin. En fait, cette intro ratée me pousse à faire encore mieux. Même si j'ai l'impression de parler comme un camionneur dans un bar de danseuses!
Pendant que Richard me retouche le visage, je lui demande si mes phrases font du sens. Il me répond que je suis excellente alors que je lui souffle ma perception de parler tout croche. Je me dis que c'est juste ma cervelle qui me joue des tours.
Je me reconcentre sur le débat en cours. Il y a beaucoup de théories autour du sujet mais j'en connais bien la pratique. Mes interventions semblent pertinentes, j'arrive même à faire rire le public. La douleur monte. L'ignorer devient de plus en plus ardu.
Ultra concentrée, j'en oublie le public. Je parle, j'aligne des mots et des phrases tout en ayant cette étrange impression de parler croche. Miss Soleil et Juan me rassurent, je parle tout à fait normalement et c'est même intéressant! Je décide de les croire.
Passer par dessus les vives douleurs qui s'accentuent en ma colonne.
Passer au travers bien des émotions pour participer à ce tournage qui fait de moi "Une malade avec opinions". J'espère mettre en lumière le fait qu'on peut gérer sa maladie et rester digne dans le malheur.
Je souffre en silence. J'essaie de sourire pour que la camera ne m'attrape pas trop souvent à faire une gueule de cent pieds de long. Ou à avoir trois double mentons! Je suis déjà assez bouffie de même!
Je réalise qu'après avoir conversé tant de mois avec la mort, mon mental s'est assez renforcé pour supporter de franches douleurs tout en restant humaine et lucide. Assez pour converser en un environnement qui fait monter la pression.
Le tournage aura duré prés de deux heures. Lorsqu'il s’achève, je suis en miettes. La douleur est puissante mais je suis contente d'avoir tenu le coup. Les animateurs me félicitent, les invités et le public aussi. Il parait que j'ai tenu bien la route. De cela je suis fière. C'est signe que j'ai passé un nouveau cap.
Je reçois tant de compliments que j'en suis troublée. Je sors du studio en ayant aucune idée de ce que j'ai pu raconter. La douleur physique prend le dessus. Je sais que je me suis exprimé mais je n'ai aucune idée de ce que j'ai dit!
Revenir à l’hôtel juste avant minuit. Me sentir comme Cendrillon qui va retrouver sa citrouille. Refuser de me démaquiller. Accepter la douleur aiguë qui éloigne le sommeil et brouille les pensées. Méditer jusqu'à l'aube qui réveille la ville endormie.
Le lendemain, alors que la douleur redescend un peu, je me souviens des concepts que j'ai avancé, sans trop me souvenir de comment je les ai présentés. Je me souviens des commentaires et des regards chaleureux.
Le lendemain, je commence à me rappeler de ce que j'aurais pu ajouter à mes interventions sans vraiment me souvenir de comment j'ai développé mes idées. En soi, le tournage fut bien dur pour ma peau mais si bon pour ma tête.
Même si celle-ci a connu quelques ratés, elle a fini par fonctionner. Comme quoi des heures et des heures de méditation, ça finit par payer!
J'en découvre un élan de vie dont je me nourris. Pour garder le cap...
Gratitude et après-coup
Et que dire du privilège de se faire maquiller par un professionnel! Que du bonheur. Comme une plongée de douceur enrobée de fun.
Un énorme merci à Richard Bouthillier pour cette séance de maquillage aussi humaine que douce. La femme en ma peau s'est éveillée de nouveau. Et ça c'est un quasi miracle! Reconnaissante je suis d'avoir bénéficié de son talent et partager un morceau de son humanité.
Je tiens à mentionner la bienveillance et le professionnalisme de toutes les personnes rencontrées durant ce tournage.
Je n'étais plus guère vaillante à la fin de l'émission mais je souriais pareil. Ce fut une excellente expérience, à aucun moment donné, je ne suis sentie jugée. En fait, tout le long du tournage, je me suis sentie respectée et soutenue. Merci à toute l'équipe de Zone Franche.
De retour au bercail, je soigne l'après-coup de douleurs tout en méditant sur ces inspirations qui pointent leurs idées à développer. Je repars ce blogue qui perdure depuis si longtemps.
Je poursuis le cycle des réeducations, de ses efforts et de ses fatigues. J'essaie de profiter du lac avant qu'il ne congèle. Je suis mère. Je redeviens femme. J'avance. Pas à pas. Lentement mais surement.
Alors qu'arrive le jour de la première diffusion de cet épisode de Zone Franche dont je fais partie, j'essaie de ne pas trop penser à la bouffitude de cortisone qui sera bientôt à l'écran ni à ma cervelle rouillée. Ni à ces années sacrifiées.
Même si je trébuche, je rebondis et je reste droite. Durant ce tournage, j'ai trébuché, j'ai rebondi, j'ai existé. Je suis restée debout et concentrée. Même quand des milliers d'invisibles aiguilles ont violement pénétré ma colonne avant d'y mettre le feu!
J'espère que, ce soir, je ne serai ni trop laide, ni trop bête devant les dizaines de milliers de québécois qui me découvriront sur leur petit écran. Sans avoir aucune idée de comment ma cervelle a failli me lâcher en début d'émission!
L'émission dure 45 minutes environ, le tournage a duré près de deux heures. Je ne connaitrai pas le résultat du montage final avant la diffusion de l'émission. Ce soir...