De gras et de muscles.
Mon gym est une antre féminine. Situé à une quinzaine de kilomètres de mon lac tranquille. Cela fait déjà plus d’un an que je le fréquente. Les suites catastrophiques de ma grossesse m’ayant menée tout droit à cet endroit. J’y suis désormais une habituée. J'y suis maintenant à l'aise. Depuis plus d’un an, j’y vais une à trois fois par semaine…
Cet endroit est mon purgatoire personnel, c'est l'endroit où je vais combattre mes démons mais c’est une autre histoire d'un autre jour. C’est un endroit sain, pas gigantesque mais de taille agréable. Un endroit composé d’une salle de machines de tortures, d’une salle vide qui se remplit durant les divers cours et où je me réfugie pour y faire mes abdos, d’une petite piscine intérieure et de tous les services requis en ce type d’établissement. Les « entraîneures » sont sympathiques. Et les nouveaux tapis avec écran de télé intégré à leur console révolutionnent mes heures de cardio! Alors que j’avais appris à maîtriser l’art de « marcher-courir » tout en lisant un magazine et en écoutant de la musique à plein tube, voilà que la télévision pénètre ma bulle pour la remuer un peu. Voilà que je me retrouve à suer tout en regardant « le banquier » avec ma voisine de tapis qui s’enthousiaste, me tapote le bras, finit par m'amuser et rameute une « entraîneure » qui se joint au moment fébrile. Il est tard, c’est le soir, le gym est quasi vide, je suis en eau, cela fait quarante minutes que je fonds sur place je suis rouge comme une tomate et voilà pas que je copine devant la télé!!! N’importe quoi! Le pire, c’est que depuis que la télé est arrivée sur mon tapis, j’y reste plus longtemps! Il n’y a que durant les pubs où je me remets à la musique, car les pubs pendant le cardio c’est mortel d’ennui!
J’ai vite remarqué au début de mon chemin de croix qui se déroule à cet endroit que j’étais incapable de rester sur le tapis à ne rien faire d’autre que de souffrir la connerie de ma chair difforme. Pas capable d’être juste là à suer comme une vache qui regarde passer les trains, l’esprit vide à mâchouiller son gras gestationnel, juste pas capable! Alors j’ai commencé à perfectionner les techniques pour arriver à lire pendant l’acte et ainsi penser à autre chose, juste penser à quelque chose. Évidemment cela doit se faire en musique. Si mon vieux ipod fait grève, je suis incapable de passer au travers ma routine qui contient en moyenne une heure de cardio et une petite heure de musculation et d’abdos! Une fois pognée sur le maudit tapis, je suis incapable de regarder défiler les minutes sans rien faire, cela me rend maniaque, je dois absolument cacher l’horloge intégrée pour pouvoir passer au travers. Jusqu’ici le magazine était mon salut, de l’Actualité à In touch, n’importe quoi quand tant que j’ai quelque chose à lire devant les yeux et que je ne voie pas défiler les secondes de ma torture. Puis il y a deux semaines, l’apparition de la télé me fait délaisser la lecture et la musique pour mieux me lobotomiser la cervelle et dépasser les limites de ce corps que je m’obstine à resculpter.
Je change de routine muscu-abdos tous les trois-quatre mois. Je sais désormais toute une panoplie d’exercices en tout genre. C’est au moment du changement de routine que je monte sur l’horrible balance. C’est le seul moment où je regarde les chiffres de ma peine. Et c’est là que je collectionne les petites étoiles qui enjolivent mon dossier tout en recevant les sourires de « l’entraineure » qui me félicite sur ma progression et qui m’explique comment je perds du poids de la bonne manière. Je ne me félicite guère. Je n'y arrive pas. Je dois faire des efforts pour constater que je fonds. J'ose à nouveau me regarder dans une glace mais c’est une gloire qui m’échappe. Et puis soyons francs, cela ne va pas assez vite, c’est long, c’est dur, c’est plate, cela fait mal, il n’y a rien de glorieux dans cette histoire! Je fonds mais je suis toujours à moitié courbaturée. J’attends toujours de voir le miracle de cette fameuse énergie que l’entraînement est supposé donner. Deux heures par soir, deux jours de suite et le troisième jour je suis complètement désénergisée, j’ai mal partout et je me sens à terre. Oh! Oui, c’est sûr, j’ai découvert le second souffle. Je crois que je commence à ressentir certains effets de bien-être une fois mon parcours achevé mais la montagne à gravir était si haute. Je n’ai toujours pas l’impression d’en voir le sommet même si j’ai beaucoup cheminé. Ma grossesse a tué ma « sexyness ». Enfin, avec beaucoup de volonté, c’est vrai que cela peut revenir et c'est vrai que cela revient...
Je collectionne les petites étoiles. Une petite étoile pour cinq livres de perdues. J’ai beaucoup de petites étoiles pour décorer mon chemin de croix. Je retrouve une taille. Lorsque je sors de ma tanière, je recroise à nouveau le regard des mâles. Le fait que le mien n'ait jamais cessé de me regarder durant cette épreuve de chair est certainement une belle preuve d'amour. Je ne fais plus partie des plus grosses de la gym. Je suis dans la normale des imparfaites. Les premiers temps, le niveau de « mincitude » générale me remplissait de colère et d’incompréhension. Comment se faisait-il qu’il y ait si peu de grosses en cet endroit? Oh! Bien-sur, il y a plein de petites imperfections qui se trimballent, des fesses un peu trop grosses, des cuisses un peu trop larges, des ventres qui ballotent mais en moyenne il n’y a rarement plus de vingt livres à perdre lorsqu’il y a à perdre! Même la petite catégorie de semi anorexiques qui s’énervent les os sur leur elliptique était plus grande que la proportion de véritables grosses! Et pourtant me disais-je, n’était-ce pas là l’endroit de salut pour toutes les grosses qui se lamentent? Je ne comprenais pas la logique de cet établissement! Au début la petite gang de semi-anorexiques me donnait régulièrement des envies de meurtre. Il faut dire, qu’au début j’avais la haine de ce corps que je devais traîner en cet endroit. Lorsque je voyais les anorexiques s’émoustiller sur leurs machines, fines comme des brindilles, j’avais presque envie de hurler. Je me forçais à me plonger dans les souvenirs de mon corps "d'avant" pour trouver la force de rester là. Je bâillonnais ma rage en torturant ma propre chair.
Heureusement il y a aussi les dames à l’approche de la cinquantaine, en forme comme je souhaitais l’être, musclées, fermes, celles-là me redonnait un certain espoir. Au bout de six mois, j’ai soudainement eu une révélation! Alors que je réfléchissais tout en suant devant un magazine avec de la musique plein les oreilles. J’ai vu une petite lumière. J’ai compris le pourquoi du comment. J’ai enfin réalisé que le niveau de « mincitude » général était sûrement dû au fait que les personnes qui le fréquentaient prenaient soin d’elles (si l’on exclue la gang d’anorexiques) et que l’une des raisons de leur « mincitude » était certainement liée au fait qu’elles fassent partie d’un tel endroit! Je me suis trouvée bien niaiseuse de ne pas y avoir pensé plus tôt! J’ai senti que ma haine se transformait en d’autres sentiments moins malsains, j’ai senti que ma rage se calmait un peu pour me laisser entrevoir quelques bribes de raison. J’ai continué de souffrir dans ma bulle d’efforts et de volontés.
Au fil des mois, j’ai acquis une nouvelle musculature qui m’étonne moi-même. Quatre petites étoiles et l’on gagne un mois gratuit. J’ai tant d’étoiles que je collectionne les mois offerts qui se traduisent en trimestre de gratuité. J'accepte les ravages de cette grossesse qui ne m'a pas tuée. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts. Je dois me réinscrire le mois prochain pour une nouvelle année. Encore quelques mois pour effacer les traces de cette difficile grossesse qui m'a pourtant donné le plus merveilleux des bébés. Dire qu’avant cela je me lamentais de mes quinze livres en trop qui me séparaient de ma perfection de jeune fille! Dire que je pouvais me trouver si grosse avec juste quelques livres en trop! Dire que je n'étais jamais contente de mon corps! Mais c'était avant que la vie ne me donne une saprée leçon en me montrant ce que cela voulait réellement dire qu’être grosse! Il y a de ces bourrelets disparus, de ces sensations gélatineuses qui hanteront les fonds de ma mémoire à jamais. Tout cela a remis bien des choses en perspectives dans ma tête en bouillie. À l’avenir, je ne me lamenterais plus si j’ai quinze livres de trop. Je me contenterai de les perdre ou de me fermer la gu…! Et lorsque j’aurai finalement retrouvé un poids raisonnablement satisfaisant, je ferai mon possible pour l’apprécier à sa juste valeur, comme je n’ai jamais été en mesure de le faire toutes ces années où j’avais un poids des plus raisonnables. Ainsi, une fois la montagne gravie, en plus de pouvoir me sentir à nouveau en accord avec ma peau, je serai aussi un peu moins conne! Cette expérience m’aura fait comprendre bien des choses sur les dysfonctionnements alimentaires de ma vingtaine. Je sais maintenant que j’ai un métabolisme qui se régule et que je dois respecter si je ne veux pas qu’il s’effrite et se joue de ma chair. Cette expérience m’aura appris bien des choses sur mon corps…
L’autre soir, j’arrive à l’entrée et je me retrouve derrière une dame de forte corpulence qui me bloque le passage. Je l’entends dire à « l’entraîneure » :
- En fait, je veux bien m’entraîner mais je ne veux pas que cela dure longtemps, je ne veux pas faire plus d'une demie heure et je ne veux pas voir mal…
Je manque de m’étouffer sous le coup de cette énorme connerie qui me frappe la cervelle. Je n'en reviens pas de la naïveté de cette femme! Curieuse, j’attends d’écouter la suite.
- Mais vous savez, sans cardio, il n’y a pas de perte de poids, commence à lui expliquer la sympathique fille qui s’efforce gentiment de lui faire comprendre le problème.
Connaissant les tenants et les aboutissants de la chose, je me dirige vers le vestiaire pour y déposer mes affaires. Je vais prendre ma place du coté des nouveaux tapis. J’aperçois au loin la dame en grande discussion. Je pose mon casque sur mes oreilles et je me prépare à deux heures de petites tortures volontaires…
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