De l’ombre des commentaires au grand jour…
Candy, je me suis souvent posée la question du pourquoi notre société a si peur de la mort. J'imagine que cela va de pair avec le phénomène de jeunesse éternelle qui se propage partout sur la planète, et dont, je suis, il est vrai, aussi atteinte. Je regarde arriver les rides avec mauvaise humeur, mais si vieillir physiquement m'angoisse, vieillir pour acquérir de la sagesse, être plus expérimentée, devenir plus "savante" me "botte" énormément. Cela dit, voir tous ces enfants décédés en bas âge m’émeut aussi beaucoup. C’est une réalité de mortalité infantile qui n’existe plus dans nos sociétés modernes et c’est tant mieux pour nos cœurs.
Ayant été élevée durant mon enfance par ma grand-mère dans un climat relativement "vieille France", ayant toujours été curieuse et bavarde, je m’amusais souvent à creuser la mémoire de ma Mère-Grand, je voulais connaître sa vie, son enfance, ses expériences…
Très tôt, j’ai appris que sa mère (mon arrière-grand-mère) avait perdu trois enfants en bas-age dont une petite fille qui devait avoir à peu prés deux ans et demi et qui semble être morte subitement, causant une très grande douleur à toute la famille. J’ai senti, très tôt, comment cela avait affecté ma grand-mère sans être capable d’en mesurer toute la portée. Ma grand-mère, selon nos traditions jurassiennes, s’occupait beaucoup des tombes de ses proches, l’entretien de la pierre, mettre des fleurs fraîches, faire une prière…
Lorsque j’eus vingt-cinq ans, un après-midi ensoleillé, alors que je fouillais ses souvenirs, elle me raconta en détail le jour de la mort de cette petite fille, plus de cinquante ans auparavant….
Ayant commencé le trajet de ces mots, je me rends compte que je ne sais plus le nom de ces petits êtres si vite disparus. J’en profite pour passer un coup de fil à ma Mère- Grand sur le vieux continent. Gentille Grand-Mère qui ne s’offusque guère de mes élucubrations mentales et qui, comme toujours, m’ouvre son cœur même si je la remue tendrement….
- Dis, je repensais là, comment elle s’appelait encore la petite sœur qui est morte toute jeune?
- Colette, oui, c’était Colette.
- Et y’a eu un petit garçon aussi?
- Oui, deux Roland…
- Deux Roland? Mais il sont venus à la suite?
- Non, le premier Roland est venu avant le Paul mais il est mort pas vieux, un mois peut-être. Le deuxiéme Roland est venu avant la Jeanine…
- Il est mort à quel âge?
- Hum, je sais pas trop, il devait avoir 14 ou 15 mois…
- Mais eux, tu les as pas connus?
- Non, moi je n’ai connu que la petite, d'ailleurs je m’en rappelle encore comme si c’était hier…
À cet instant, l’émotion de ma Mère-Grand me parcoure, familière, poignante, je continue à remuer gentiment le couteau dans la plaie.
- Mais la Petite Colette est venue après toi? Tu m’as déjà racontée comment ta mére l’avait mal pris…
- Oui, elle l’a jamais vraiment avalé, je crois…
- Ça l’a changée?
- Et bien, cela l’a marquée c’est sur, mais tu sais comment c’était la vie dans le temps, elle a pas eu le choix d’avancer, fallait travailler, on n’avait pas le choix de passer au travers!
- Mais la petite Colette devait être toute mignonne?
- Oui, et tu sais, comment c’était, on s’en occupait tous, on était tous après elle…
- C’était un peu comme un ange qui est passé…
- Oui, c’est tout à fait cela, d’ailleurs elle était comme l’ange que tu m’as ramené la dernière fois, tu sais, celui que je t’ai dit qui ressemblait tellement à ceux que l’on avait mis dans sa tombe…
En effet, il y a quelques années de cela, j’avais ramené un joli chérubin en plâtre à ma grand-mère, acheté à Québec dans un quelconque magasin de "Bondieuseries". Quelle n’avait pas été ma surprise de voir l’émotion qui l’inonda lorsqu'elle découvrit la mine de ce petit ange innocent! Sans le savoir, je lui avais trouvé une réplique exacte de cet ange qui lui rappelait tant sa petite sœur et ce moment fatidique de son enfance. J’en étais restée moi-même stupéfaite, et encore une fois j’avais pensé très fort à cette petite fille avalée par notre passé. Avant de raccrocher, j’explique que je suis en train d’écrire l’histoire de la petite Colette, une sorte de témoignage...
- Tu sais, pour le Carnet d’écritures que je fais sur Internet… Vous aviez pas de photos de la petite?
- Ah non, on n’a rien….
- Y’a pas eu le temps, j’imagine…
Comme ma grand-mère n’a qu’une conscience très vague de ce que peut être l’Internet, elle vit dans un autre temps et c’est aussi ce qui fait que je l’aime tant. Je lui dis…
- Tu sais quoi? Après que je l’aurais écrit, je te l’imprimerais et je te l’enverrais comme tu n’as pas d’ordi…
Je la sens sourire derrière le combiné et je ressens comme toujours ces mêmes vagues d’amour à mon égard, ces vagues d'affection qui malgré le temps et la distance, sont toujours aussi fortes et puissantes. Je l’embrasse télépathiquement et reviens à ces mots qui s’échappent de ce clavier bruyant…
Ma grand-mère a eu une vie bien difficile, une vie au contact de la Terre. Chère Thérèse, dotée d’une intelligence vive et d’une certaine malchance. Née à une époque bien différente de la nôtre. Sa vie est un long combat, mais cette force intérieure qui l’anime malgré les douleurs, autant physiques que morales, m’inspire depuis ma plus tendre enfance…
Mais je m’égare ces mots ne sont pas ceux de Thérése, ces mots sont pour Colette. Petite fille pétillante, qui traversa l’après-guerre, juste assez longtemps pour y disperser sa minuscule lumière…
Elle mourut un après-midi d’été. Ma grand-mère me raconta qu’elle était malade depuis la veille, elle faisait de la fièvre, le docteur était venu, n’avait rien pu faire. Elle s’est affaiblie, heures après heures, entourée de son frère et de ses trois sœurs. Sa mère, Berthe, était visiblement très inquiète, trés émotive. La petite mourut gentiment, entourée de l’amour des siens, choyée jusqu’au dernier souffle. Lorsque sa petite âme toute douce se fut envolée au ciel, l’on déposa son petit corps sur la table de la cuisine et c’est à ce moment que Berthe perdit la tête...
Ma grand-mère a encore les larmes aux yeux, lorsqu’elle repense à l’image de sa petite sœur, tant aimée, inanimée sur la table de la cuisine. C’était fini, elle était partie…
Elle me raconta que sa mère se mit alors à hurler comme une louve blessée, elle se rua par la porte, et courut en hurlant à perdre haleine, se sauver dans les champs. Urbain, son mari, finit par la retrouver, en loques, en larmes, il la ramena à la maison. Les préparatifs du deuil se mirent en branle et après quelques jours à errer dans un état de léthargie profond, Berthe finit, par la force des choses et de la vie, par retrouver sa tête et ses esprits. Mais comme le dit encore aujourd’hui Thérese, cette perte semble l’avoir marquée à vie…
C’est une histoire qui me fut racontée par morceaux tout au long de ma courte vie, c'est une expérience vécue de cette réalité de mortalité infantile que nous ne connaissons plus. Étrangement si l’on a éradiqué multiples douleurs et épreuves de l’existence, il semble qu’il s’en forme toujours des nouvelles pour rétablir la balance des souffrances sur Terre…
Souffre-t-on moins aujourd’hui qu’il y a cent ans, je n’en suis pas si sure, je crains que nos souffrances n'aient tout simplement évoluées, tout comme le reste de la vie qui, dans le fond, me paraît immuable, quoi que l’on fasse, quoi que l’on pense, quoi que l’on vive…
Ainsi ce qui commença comme une réponse à Candy et Lithium dans les commentaires finit par ce petit instant d’histoire de mon sang. Étrange cours de l’écriture sauvage…
Je réalise avec ces mots que c’est peut-être tout simplement Colette qui me fit regarder les photos de Memento Mori sans grande gêne, ni choc de valeurs intérieures. Sans trouver ces images poétiques ou artistiques, je les trouve vraies et je crois que c’est ce qui me plait. Il y a là une vérité que l’on s’essouffle à cacher, la mort peut aussi être douce…
Dans deux mois j’aurais 32 ans et je n’ose imaginer combien de meurtres et de cadavres fictifs ou réels, j’ai peu avoir sous les yeux, peut-être bien des millions…
Les photos du massacre de Belsan m’ont énormément choquée, je suis d’ailleurs régulièrement choquée de voir ces vrais cadavres d'humains explosés (et exposés) dans un piteux état, je regarde et comme le reste de la planète, j’avale…
Si j’y pense, je me dis que cela va bien avec cet air du temps qui nous aère le cerveau. De nos jours, la mort est quelque chose dont il faut avoir peur, la mort est horrible, atroce et donne envie de pleurer, de vomir... Elle fait mal et c’est normal! Je crains la mort de mes proches plus que la mienne. La douleur fait partie intrinsèque de tout deuil. Pourtant, et c’est une réflexion, que je me fais depuis très longtemps, la mort est le lot de chacun, qu’on le veuille ou non, l’on finira tous par y passer! Ne vaudrait-il pas mieux se préparer davantage à ce passage obligé de la vie, plutôt que de s’effrayer inutilement, puisque l’on y sera tous un jour confrontés? Beaucoup jouent avec, d’autres dans les désespoirs, la recherchent, mais jamais l’on en parle calmement, simplement, avec cette douceur que reflètent ces étranges images d’antan…
Est-ce que je peux finir un si long discours sur un sujet si peu apprécié sans parler de religions? Oui, je le peux! Mais puis-je le faire sans parler de la foi? Là c’est plus difficile. Il est vrai que je possède une étrange Foi. Elle m’est personnelle, libre et formée comme un patchwork d’humanité. Je crois que les religions ne sont que les images humaines de la Foi. La foi en soi est universelle, elle est comme le sang qui coule en nos veines. De l’intérieur, elle est pareille pour tous, de l’extérieur, elle revêt multiples apparences et croyances. Cependant dés que l’on farfouille un peu, il n’est pas difficile de se rendre compte que toutes les religions disent à peu prés la même chose, elles le disent juste de façon différente, ce qui est, je pense, un trait particulier à la race humaine. On est plus souvent d’accord les uns avec les autres qu'on le croit, l'on s'en rend peu compte car incapables de communiquer, de par les multiples différences humaines qui créent ces incroyables interférences et divergences qui remuent la planète dans tous les sens…
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