Avant que je sois paraplégique à 12 ans durant un an. Avant mon adolescence et début de vingtaine montréalaise (à saveur jetset glamour Westmount Outremont Plateau Laurentides). Avant mon mariage avec un jeune étudiant de vingt ans.
Bien avant mon diplôme universitaire à ULaval (en traduction) et mon vécu en journalisme et littérature. Bien avant la paralysie de Bell et ses séquelles en ma vie.
Des lunes et des lunes avant ma "mamamitude" emportée, j'ai vécu une enfance hors norme sur la plus grande ferme d'un petit village jurassien de plus de mille âmes, au coeur des années 70.
Mes parents ont divorcé lorsque j'avais neuf mois. Ils avaient respectivement 20 et 21 ans. Ils sont restés mariés 18 mois.
Père et mère, jeunes mariés... |
De mes 18 mois à mes 11 ans, j'ai vécu en "pensionnat" à la ferme, chez mes grands-parents maternels. J'étais une princesse déchue en mon royaume animal.
Je grandissais là du lundi au vendredi/samedi suivant les sorties nocturnes de ma mère. C'était ma normalité enfantine. Je ne connaissais pas d'autre vie que ma routine...
Ainsi en cette réalité, ma grand-mère est devenue ma mère, mon jeune oncle est devenu mon grand frère. Ma mère est devenue une tante plus ou moins sympathique. Mon père a disparu du décor et mon grand-père alcoolique n'était pas un cadeau.
Son idée de temps de qualité avec moi était de m'emmener sur le pont du Doubs, au village, et de lancer mon chien à l'eau. Alors que je criais, pleurais et suppliais le ciel et tous les anges de donner à mon chien la force de nager jusqu'à la rive, mon cher pépère était crampé. Et certainement bourré.
Je revenais à la ferme en reniflant mes sanglots, mon chien trempé, grelottant, serré contre mon petit cœur en furie. Il se faisait engueuler par ma mère-grand et il ne me parlait plus durant quelques semaines. Ce qui me donnait une relative paix.
Pendant ce temps, Vincent, polonais de son état, était employé à vie à la ferme. Il y vivait depuis des lustres. C'était mon vrai grand-père. Le seul mâle qui me choyait et me protégeait des folies adultes.
Chaque jour de la semaine, il venait me chercher à l'école en vélo, toujours avec un carré de chocolat au lait. Mes amis, envieux du morceau de chocolat, pensaient que c'était lui mon vrai grand-père et je ne faisais rien pour les détromper. Déjà que j'étais l'unique enfant de divorcés dans toute l'école...
Vincent avait été prisonnier de combat. Il en avait la mémoire marquée au fer rouge. C'était un réfugié de la deuxième guerre. Je ne pense pas qu'il ait jamais eu ses papiers officiels. Il avait atteri là en se sauvant de l'horreur des nazis en son pays. Il avait appris le français à la ferme. Son traumatisme de guerre était profond.
Une fois par année sa famille polonaise venait le visiter et toujours il m'insérait en son annuelle photo de famille. J'étais toute fière, en mon habit du dimanche, qu'il veuille de moi en cette photo là!
À chaque année, cela me faisait du bien au coeur. Même si je ne comprenais rien à leur charabia polonais, quand ils débarquaient quelques jours à la ferme, je me sentais aimée et acceptée en leur bulle familiale...
Chaque soir, après mes devoirs en sa compagnie, autour d'un bol de chicorée au lait, dès que j'ai su lire et écrire, je lui ai fait l'école. Je lui perfectionnais son français sur un petit tableau noir dédié à cet effet (offert par ma mère-grand) en sa "chambre de bonne". #bonheurenboîte
Il est mort d'un cancer fulgurant quand j'avais 9/10 ans mais il reste ancré en mon cœur à jamais. La dernière année, il était persuadé que l'horreur de la guerre l'avait finalement rattrapé en son corps. Mais il mélangeait moins ses le/la un/une..
Ma pomme des champs entre 1974 et 1980 |
Lui, ma mère-grand et mon jeune oncle/grand frère, plus quelques animaux (sauvages ou semi domestiques), de part leur inconditionnel amour, ont sauvé mon coeur d'enfant et c'est grâce à eux si je suis qui je suis aujourd'hui...
#LaProtectiondeVincent
#LeRegardVigilantdeThérèse
#LeRireAffectueuxdeGuy
#SundayGratitude
Que ce texte, et cette humanité, sont touchantes...
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