Douleurs et compagnie...Ma mère-grand disait souvent: «
Ma fille, Il n'y a rien de pire que le mal de dents» et depuis trois jours, encore une fois je me plie à sa raison ancestrale. Il faut dire du temps des ancêtres les maux de dents étaient particulièrement méchants. Suspendue en une bulle douloureuse après un traitement de canal particulièrement vigoureux. Je flotte en silence dans un flux de souffrance. Il parait que j'étais due. La dentiste, jolie blonde fort sympathique a sué comme une bourrique sur cette molaire depuis longtemps pourrissante. Étonnement la molaire en perdition faisait moins mal que les suites de sa guérison. Deux heures sur la chaise de torture, la bouche prisonnière d'un étau avec dans la tête d'étranges images du film "
L'orange mécanique". Ipod sur les oreilles pour oublier ma position déplaisante, écouter les rythmes de ma routine d'entraînement pour estomper les bruits du jour. La dentiste qui me chuchote «
Courage on y est presque» au bout de 90 minutes de charcuterie. Je retiens mon souffle et me concentre sur un air de hip hop mouvant.
Une fois le traitement achevé, elle s'est exclamée: «
Ouf, ben heureusement que je commençais ma journée avec toi, cela m'a brulée, j'aurai pas pu finir sur une telle job!». Puis elle m'a prévenu: «
Cela va dégeler et cela risque de faire très mal, c'est normal, c'est parce-qu'on a beaucoup travaillé, tu vas le sentir! Au cas où cela dégénère, je te fais quand même une prescription d'antibios. Si dans trois jours la douleur est encore insoutenable et que tu la sens dans les yeux, alors il faudra peut-être prendre les antibios.» Avec une moue plutôt qu'un sourire, j'ai mis la feuille dans ma poche.
Ma bouche a dégelé, j'ai retrouvé le contrôle de cette moitié de langue engourdie et petit à petit s'est installée la douleur. D'abord sourde, puis vive, de plus en plus aiguë au fur et à mesure que la nuit avançait. En une douzaine d'heures, cette douleur s'est taillée une belle place dans ma joue. Depuis son arrivée, je la contiens à coups d'ibuprofène sans arriver à la maîtriser. Je prends mon mal en patience. Toute douleur passe. Je pense aux mots si souvent entendus de ma mère-grand. Je pense à la vie si rude qu'elle a connue. À coté d'elle je suis une princesse en un royaume de coton. Je croise les doigts pour ne pas avoir à prendre les antibios. Comme je ne peux pas serrer des dents, je serre des points en attendant que cela passe. Car cela se passera. Comme toutes les autres
douleurs avant celles-ci sont passées. Mais p... que cela fait mal!
Je me rappelle qu'il est impossible de ne pas souffrir en notre existence sur Terre. Il y a dans toute vie,
un nombre inévitable de douleurs à traverser. Cela fait partie du jeu. Tout comme le plaisir et bien d'autres sensations, la douleur est une expérience humaine à laquelle personne n'échappe. Qu'elle soit physique, émotionnelle, sentimentale, et parfois même les trois à la fois, la douleur et sa soeur souffrance suivent chaque périple humaine. Est-ce la façon que l'on a de les gérer qui change la donne des destins?
Avec la naissance de ma fille, j'ai dû traverser multiples douleurs physiques. Toujours j'étais contente que cela soit moi plutôt qu'elle. D'une façon générale, je crois qu'il vaut mieux souffrir physiquement qu'émotionnellement. À choisir entre les deux, je prends la douleur physique à tout coup.
La douleur d'un coeur brisé, une plaie mentale ou la blessure d'une fracture sentimentale sont toujours plus longues et difficiles à cicatriser que n'importe quelle plaie organique. Il y a les cancers du corps mais je suis certaine qu'il y a aussi des cancers du coeur et de l'esprit. Ceux-ci ne sont pas diagnostiqué et rarement traités mais il font aussi partie du tissu humain. Sûrement que
certains de ces troubles entraînent de ces cancers que l'on connaît et que l'on soigne de mieux en mieux. L'humain est une créature si complexe...
Lorsque je vois
ma fille en pleine santé, même si j'ai la joue enflammée, je suis heureuse. Heureuse de voir mon petit soleil briller à mes cotés. Si je le pouvais, je lui éviterai toutes les souffrances possibles,
j'absorberai ses douleurs pour qu'elle n'ait pas à les endurer. Seulement je sais que si je peux lui éviter toutes sortes de chagrins, il y en a plein que je ne pourrai contrôler. Plus elle grandira et plus elle sera confrontée à la "vraie" vie. Plus elle s'éloignera de ce cocon que je lui ai tissé et plus elle sera à la merci des dangers. Il est inévitable qu'elle souffre un jour. Pour l'instant elle est encore épargnée, elle ne sait rien des vicissitudes adultes mais un jour elle sera adulte et elle les aura en pleine face. Je ne peux que lui souhaiter de devenir une adulte épanouie et pour cela j'ai conscience qu'elle devra sûrement traverser ses propres obstacles. Cependant, si je ne peux éviter ou absorber ses souffrances, alors je pourrai toujours être là pour l'aimer, pour l'accepte, la comprendre et la soutenir. J’aimerai croire que meilleur parent l’on est, meilleures les chances de l’enfant seront. Même s'il n'existe rien de vraiment noir ou blanc, même si je crois que le territoire humain est constituée d'une multitudes de zones grises. Il reste quand même quelques vérités universelles auxquelles l'on peut s'accrocher, l'amour, la paix, la compassion, l'effort, l'intelligence bien placée...
Être parent est un long processus qui s'apprend. Un processus auquel l'on doit s'appliquer si l'on veut réussir. Intuitivement je soupçonne que ceci (
soutenir son enfant qui souffre même si grand il est devenu) est un défi parental en soi. Consciemment je suis prête à l'affronter. Et puis ma grand-mère disait aussi «
Ma fille, dans la vie l'on récolte les graines que l'on sème». J'ai l'impression que ce dicton s'applique particulièrement bien à l'expérience parentale. Car tout parent est responsable d'une graine de futur qu'il doit cultiver en sa maison...