Chroniques de petite enfance
Depuis plusieurs mois déjà M’zelle Soleil se questionne sur le pourquoi du bureau de Juan. Elle en connaît « l’uniforme » du pantalon à pinces et de la chemise, elle en saisit l'importance sans arriver à la conceptualiser. Cela fait partie de sa routine et elle semble en apprivoiser le principe. Je lui offre une enfance choyée, entourée de mon amour constant, de celui de son père et de ses proches. Depuis sa naissance, je lui donne de l'attention à profusion, je m'adapte à ses rythmes de vie en y fondant mes jours. Depuis sa naissance, elle évolue en un milieu stable et affectueux. À l'aube de ses trois ans, elle n'est qu'innoncence. Elle ne sait rien de ces désillusions qui font le tissu de l'existence humaine. Nous sommes encore dans la petite enfance (en une sorte de paradis intime). Présentement nous avons toutes les deux une relation privilégiée. Nous vivons en une secrète harmonie, soudées par un même quotidien, notre complicité est à la base de son obéissance. Autorité. Obéissance. Fragiles et complexes, des concepts abstraits que l'on se doit d'apprivoiser de manières concrètes...
J’ai pour habitude de lui parler d’égale à égale puisque j’estime que c’est un être intelligent qui n’a pas besoin d’être diminué verbalement. Depuis son plus jeune âge je lui explique les choses avec autant de franchise que de simplicité. J’utilise régulièrement une forme de langage soutenue car je suis persuadée qu’il est bon de la mettre en contact avec le plus de vocabulaire possible. Et même si je sais pertinemment que la signification de certains mots échappe à sa compréhension, elle ne s’en imprègne pas moins de leur sonorité, de leur diversité. Depuis qu’elle est minuscule, je réfléchis à cette éducation que je dois mettre en place à mesure qu'elle évolue. La notion de discipline prend une toute autre dimension dans nos vies. C'est un peu le revers de la médaille. Mais il y a tant d'autres choses qui font mon bonheur. J'adore être à la source de sa langue. Lui apprendre cette langue que je respecte est l’un de mes dadas maternels. Je cultive un terreau fertile et je suis heureuse d’en récolter les fruits au quotidien. Ainsi lorsqu’une dame croisée en Acadie me dit : « Oh, elle parle bien, elle parle comme une grande personne! ». Je choisis de prendre cela comme un compliment.
Dire que lorsqu’elle était poupon j'avais tellement hâte qu’elle parle! Maintenant qu’elle s’exprime librement, j’avoue que je ressens, par moments, des envies de silence, l'envie subite qu’elle se taise deux minutes! Juste deux minutes pour que j’aie le temps de m’écouter penser. C'est une bavarde professionnelle! Parfois lorsqu'elle doit obéir et qu'elle n'en est pas convaincue, elle me sort d'un ton blasé: « Maman, c'est pas la vie ça... » qui me laisse dubitative. Il lui arrive aussi de se lancer dans des discours sans queue ni tête qui laissent transparaitre un grand besoin d'expression. Elle possède cette pulsion même si les mots lui font défaut, alors elle s'emballe et raconte tout ce qui lui passe par la tête. Elle capte mon regard blasé et s'exclame: « N'impote quoi! » en éclatant de rire. Je suis certaine que d’ici ses cinq ans (qu'elle attend impatiemment), la demoiselle commencera à nous expliquer la vie. Lorsque j’en parle à Juan, il secoue la tête, déconcerté, il ne veut pas y croire. Mais je sais bien que nous n’en sommes qu’au début. La « parentitude » nous rentre sous la peau à mesure que le bambin s’épanouit en une petite fille saine et en santé. Nous sommes gâtés. J'apprécie à sa juste valeur l'émerveillement que cet enfant me procure tout en essayant quand même de ne pas m'y noyer. D'ailleurs, si je ne m'abuse, depuis sa naissance elle m'explique la vie à sa façon. J'écoute le temps qui s'écoule. Je réalise que sa syntaxe est excellente. L’on commence à avoir de réelles conversations dont certaines presque surréalistes.
- Maman, papa faut qu’il alle au bureau pour cueillir des gros sous?
- Heu oui…
- Il va cueillir des gros sous au bureau hein maman?
- Ben c’est plutôt des moyens sous.
- C’est pas des petits sous hein?
- Heu (je ne sais que répliquer, je ne veux pas l’inquiéter mais on est loin de rouler sur l’or!), heu…
- Pake papa a besoin de gros sous pour emmener moi au pestacle
- Heu oui…
- Pis si papa il a des petits sous, le monsieur va pas être content.
- Le monsieur où?
- Ben le monsieur du pestacle!
- Ah oui, c’est sûr…
Je dois avouer qu’elle progresse si bien dans l’art de sa langue maternelle qu’il m’arrive de me retenir de corriger ses prononciations. Cela va presque trop vite pour moi. La perte de ses expressions bambines me rend un peu nostalgique. Je fonds encore sous ses « craiment craiment! » et je sais que je serai un peu tristounette de les voir disparaître. Je remarque à qu’elle point sa langue évolue rapidement. Au début les travaux de la maison étaient des « crapauds », deux mois plus tard ce sont des « cravaux » encore deux mois et elle saura le dire parfaitement. Elle assimile les mots avec une facilité qui m’enchante. Je suis fière d’elle, c’est une merveilleuse sensation. L’enfance est ponctuée de multiples étapes, j’espère que nous réussirons les prochaines tout comme nous sommes passés au travers de celle-ci. Je crois à l’importance de la petite enfance et aux rôles majeurs des parents durant cette période aussi intense qu’éphémère. Je sais que ma fille est en pleine transformation. Elle grandit. Bientôt elle fera ses premiers pas dans « l’enfance véritable », alors elle découvrira ses premières complexités humaines et sociales.
Pour l'instant, j’essaie juste de lui inculquer les nuances de sa langue maternelle. Je commence même à introduire quelques mots en anglais afin de pimenter sa sauce linguistique. Elle a parfaitement compris le fait qu’elle parlait français. Elle sait manipuler à la perfection plusieurs temps du passé. Elle abuse régulièrement du conditionnel avec sa phrase fétiche : « Moi j’aimerais bien aller là! » et lorsqu’elle veut enfoncer le clou, elle ajoute : « Ça ferait plaisir à Lily », une petite phrase qui m’a mise sur les fesses la première fois qu'elle m'est arrivée dans les oreilles. À ses cotés, je réalise toute l’influence que j’exerce sur sa vie. Je la vois m’imiter, enregistrer mes expressions et les reproduire. Parfois, elle choisit de copier un détail de mon langage et ainsi me le met en lumière. À travers elle, j’aperçois ce que je suis, ce que je fais. C’est une sensation troublante. Les enfants sont-ils une sorte de miroir où le parent se reflète imperceptiblement ? Je sais parfaitement qu’elle s’imprègne de moi et j’en ressens une grande responsabilité, un véritable devoir qui sculpte ma vie.
M'zelle Soleil commence à inventer des histoires abracadabrantes qu’elle raconte à ses poupées ou à son ami imaginaire « Cacou ». Celui-ci est apparu durant l’été et ne semble pas vouloir partir. M’zelle Soleil l’appelle souvent au téléphone pour lui raconter sa vie. Je suis mi fique mi raisin par rapport à Cacou. Je dois réfréner mon imaginaire qui s’emballe et qui se fait des films de semi épouvante. Aussi je ne peux m’empêcher de lui poser quelques questions pour me rassurer la cervelle. Un jour je n’ai pas réussi à résister : « Mais dis, c’est pas un fantôme Cacou? » Ce jour là, elle m’a regardé avec un air de dire « Tu délires complètement la mère! » qui m’a vite rassurée (tandis que Juan fronçait des sourcils sans pouvoir se retenir de sourire). Aussi je me doute bien que Cacou n’est qu’un fragment de son imagination tout comme « sa sœur ». Cette sœur qu’elle s’amuse à s’inventer sur une base régulière. Elle me dit :
- Maman quand ta jambe sera guérie, tu pourras faire un autre bébé Lily dans ton ventre?
- Heu, mais cela ne pourra être un bébé Lily, faudra trouver un autre nom.
- Moi j’aimerai bien une sœur…
- Mais si je fais un autre bébé alors tu devras partager ton papa..
- Oui.
- Et partager ta maison et tes jouets..
- Oui, moi j’aimerai bien une sœur…
- Ah, j’y pense ma fille, on verra…
Vu l’expérience que j’ai dû traverser pour la pondre, je reste encore légèrement hésitante sur le sujet même si je n’en refuse pas la possibilité. Mais j’ai conscience qu’elle est prête à jouer avec des amis au réel. Lorsque apparaissent les amis imaginaires, il est temps qu’elle se frotte à ses pairs…
Et comme la vie n’en finit jamais d’être étonnante si on lui en laisse la chance, il se trouve que Gigi (mon esthéticienne) a une cliente qui a une garderie d’où se libère une place! Et Gigi a fait tant fait la pub de M’zelle Soleil que la dame en question semble désirer ma fille plus que je ne désire la faire garder! Je ne peux refuser la chance de trouver une garderie adéquate pour les mois d’hivers à venir, l’on commencera à deux jours par semaine et ensuite l’on avisera. D’après l’esthéticienne, la dame en question est exceptionnelle. C’est ce que l’on verra la semaine prochaine. Le seul hic de l’histoire, c’est que c'est une place de libre dans un groupe de petits garçons…
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