mardi, août 05, 2008

Mariage pluvieux, mariage heureux (et nuit blanche de circonstance)…

Mariage pluvieux, mariage heureux (et nuit blanche de circonstance)…

Cette fin de semaine nos avons quitté le cocon de notre exil doré pour nous rendre au mariage de nos amis Dee et Phil à Tadoussac. Mon ado de sœur était de la partie et nous avons pris la route sous un soupçon de ciel bleu. La réception se tenait au Grand Hôtel de Tadoue et « l’after party » à l’auberge de jeunesse. Du coup, la plupart de ceux qui comptaient faire l’après party avaient pris résidence à l’auberge de jeunesse. Une trentaine d’invités y établirent donc quartier. Nous étions en terrain connu.

Pour nous qui n’avons pas encore pu rentrer en nos pénates après 3 semaines en vadrouille, l’auberge de jeunesse était un méchant contraste avec notre chambre spacieuse en cette auberge luxueuse (à l’ambiance feutrée) cachée en la seule baie de ce lac que je chéris. Je vis les yeux dans ce lac qui me nourrit le cœur et l’esprit. Même si j’habite à un petit vol d’oiseau de là, ma maison est à l’orée du bois et je ne possède pas cette vue là pour me noyer le quotidien. Si je veux voir le lac, je dois me déplacer un peu, me rapprocher. J’ai « mes spots secrets » je ne suis pas en reste. Mais à l’hôtel, la vue est comme une compagne du jour. J’ai juste besoin de lever la tête pour la regarder.

À Tadoue, l’auberge de jeunesse est une bulle d’anarchie à l’atmosphère hippie, des gens de tous horizons s'y retrouvent. Pour ma pomme qui aime les contrastes d’humanité, l’expérience est stimulante. Je connais l’auberge de jeunesse pour l’avoir arpentée durant nos escapades au Festival de la Chanson. Je n’y ai dormi qu’une fois, il y a de cela plusieurs années (habituellement le Festival rime avec camping mais une fois n’est pas coutume). Arrivés en notre chambre, je me prends en pleine face ce contraste, une différence que j’absorbe de plein fouet. Autant j’apprécie l’ambiance bon enfant, autant je ne suis pas fan des matelas de l’endroit. Plus « chochote » que snob je suis. Nous installons le lit de l’enfant. Mon ado de Clo grommelle comme il est de bon ton de faire à quinze ans. Elle installe sa couette sans enthousiasme. Je réprime mes aversions à la vue des cheveux oubliés sur l’oreiller. Je ne désire point traumatiser ma troupe ! Juan s’en fout, c’est un homme, il ne rechigne pas devant mes obstacles de princesse au petit pois. J’envisage l’option de ne pas me coucher, après tout on est là pour faire la fête pas pour dormir ! Cela me rassure. Nous retrouvons les copains de longue date, Gab et Julie ont la chambre à coté de la nôtre, ils ont laissé leur petite Anouk chez une cousine (depuis neuf mois, c’est la première fois qu’ils se séparent de la petite). L’on est content de se retrouver pour une si belle occasion. Quant à M’zelle Soleil, elle est toujours prête à savourer de nouvelles expériences et cette histoire de mariage la travaille depuis des semaines.

Dee et Philou à Tadoue
Au fil du temps. Mosaïque Dee et Philou à Tadoue

Nous arrivons au Grand Hôtel où tout le monde est sur son trente et un. Cent cinquante invités, la famille du marié est gigantesque, celle de la mariée, d’origine française est en petit comité. Les amis font légion, l’on en connaît beaucoup, facilement nous nous fondons dans la foule tout en sirotant un cocktail. M’zelle Soleil se lèche les babines en repérant les serveurs et leurs plateaux d’hors d’œuvre. Finalement arrive la mariée. Dee est superbe, évanescente en sa robe de tulle. Devant la foule qui se recueille, les mariés échangent leurs vœux. C’est touchant, l’émotion s’échappe et se diffuse parmi les personnes présentes. M’zelle Soleil est en charge de donner les alliances. Elle effectue sa tache avec autant d’aisance que d’innocence.

Pour la suite, un envol de papillons est prévu sur le balcon de l’hôtel qui offre une vue imprenable sur le fleuve. Il ne pleut pas mais le soleil se cache malicieusement sous un ciel de nacre. Au loin, l’horizon du fleuve se teinte d’une couleur argentée presque iridescente. Les filles se retrouvent sur ce balcon qui surplombe le reste des invités. L’on ouvre les boites, l’on fait des vœux. Malheureusement les papillons endormis n’ont pas trouvé assez de rayons de soleil pour se réchauffer les ailes, ils ont un peu de mal à s’envoler. Ils s’accrochent à l’épaule de la mariée, c’est une jolie image que plusieurs appareils captent de leur objectif. Heureusement il ne pleut pas durant ce temps là même si un petit vent frisquet nous fit vite rentrer en la salle de réception où nous attendent nos tables décorées avec goût. Durant la réception je discute avec la conjointe d'un ami du marié lorsque je vois ma clo de sœur me faire des signes. Je ne comprends pas le point qu'elle essaie de me montrer et puis elle me dit:

- La robe!

Et je percute. La fille avec qui je discute à la même robe que moi, pareille. Ah ben! Et dire que j'avais même pas remarqué! Comme elle est aussi gentille que mignonne, cela me fait plaisir que nous ayons les mêmes gouts! Elle est quand même un peu dépitée et je suis plutôt amusée, l'on en rigole de bon coeur. Vient le temps de s'assoir pour manger. J’apprécie la douceur de Perry la sœur de Dee, j’ai apprécié rencontrer son aimé. À notre table, la sœur de la mariée et son copain fraîchement débarqués de France, Gab et Julie nos fidèles compères, mon homme et notre puce de fillette heureuse comme pas deux.

M’zelle Soleil adore Dee. Elle n’en finit pas de regarder la mariée avec des yeux conquis, de papouiller sa robe fluide, de faire des sourires. Elle me dit « Dee elle é belle comme un cœur maman ». Oui, c’est vrai, elle est féerique aujourd’hui mon amie. La tradition veut que lorsque l’on fait tinter la vaisselle, les mariés s’embrassent, du coup, la vaisselle n’en finit plus de tintinnabuler et les mariés de se bécotter. À chaque fois que cela recommence, M’zelle Soleil écarquille ses grands yeux et dès que les mariés s’embrassent, elle fond comme une crème glacée sur le plancher, c’était royalement adorable. Le repas riche en conversations diverses est aussi sympathique que délicieux. Sur le coup de onze heures, des musiciens viennent nous entraîner pour la fin de soirée en l’auberge plus haut sur la colline. Nous rattroupons notre brin de fille, mon ado de soeur et nous filons dans l’action. Une fois sur place, la fête est déjà bien commencée. M’zelle Soleil, bien fatiguée, commence à somnoler sur l’épaule de son père (même si elle aimerait bien rester éveillée). Les musiciens sont bons, l’ambiance festive est à son meilleur. Sur le coup de minuit il nous faut coucher l’enfant. Nous montons la déposer dans son lit de voyage coincé entre deux lits rudimentaires. M’zelle Soleil n’est guère satisfaite d’être ainsi écartée de la fête. Après quelques chansons douces de son père, le tout enrobé d’une bonne dose de volonté parentale, elle finit par capituler.

Passé minuit l’enfant ronfle doucement et nous commençons nos tours de garde. Clo qui a récolté quelques regards salaces (c’est fou comment y’a toujours un « mâle famé » pour renifler la chair fraîche de jeune fille) ne me lâche pas d’une semelle. Je la protège avec affection. Quiconque oserait s’approcher de ma petite soeur avec de mauvaises intentions ne ferait pas long feu ! Elle finit par choisir la tranquillité (théorique) de la chambre puisque la fête traverse le plancher et se déverse dans les couloirs de l’étage en petits foyers de bavardages. Avec Juan, nous « dealons » les chansons. « Ok, je descends pour cinq et quand je reviens t’y vas pour cinq ! ». Pas question de laisser une minute ma fillette sans supervision de son sommeil profond ! Clo est en mode texto sur son lit. Mon ado de sœur a un petit copain, c’est l’amour adolescent. Le deejay qui a remplacé les musiciens est excellent. Julie, qui commence à somnoler accepte de se reposer en notre chambre, elle adhère ainsi à notre équipe de garde, elle m’octroie deux chansons pour que je puisse rejoindre mon homme le temps d’une danse amoureuse sur Mano Solo. C’est divin. Comme une bulle d’air dans un univers de maman-papa. L’espace de quelques minutes, le temps s’efface et nous voilà vibrants comme à nos premiers émois ! Durant mes espaces de liberté je danse comme je ne l’ai pas fait depuis des années. Le deejay est vraiment bon ! Enfin au bout de cinq chansons, je suis en sueur et mon entorse m’engueule douloureusement ! Alors je calme mes ardeurs et me ballade joyeusement.

Pendant ce temps qui file la nuit, nous avons créé notre petit party de chambre dans la pénombre de l’enfant qui ronfle. Mon ado de sœur grommelle, tout va bien, Gab et Julie accompagnent nos devoirs parentaux en pensant à leur petit bout qui découche à Chicoutimi et en profitant de leur liberté nocturne. Je fais des allers retours de haut en bas, j’attrape ma mariée au vol, l’on se balade dans la fête, je retrouve toutes sortes de faces connues, elle s’éclipse, je couraille de bas en haut, je papote, je m’amuse. C’est décidé, je ferai nuit blanche, cela sera bien plus facile que d’affronter le matelas qui ne m’inspire absolument pas ! Je me fonds dans la faune sans difficulté aucune. Sur le coup de trois heures du matin, nous nous retrouvons avec nos compères de palier sur le coin de notre porte. Par la magie de la nuit, nous empruntons des chemins de discussions philosophiques qui nous entraînent dans la question suivante : Est-ce que l’être humain peut atteindre un état de non jugement, un état d’abstention complète de jugements sans défi ? Julie et ma pomme sommes convaincus de ce fait, Gab est plus sceptique, Juan oscille. Nous creusons le sujet avec passion. Personnellement j’ai pour théorie qu’il est possible de comprendre sans juger et que c’est là que s’effectue le début du travail. Clo s’est endormie et nous discutons à bâtons rompus mais sans effusion. Nous voyons tomber comme des mouches les invités bien imbibés.

Arrive quatre heures du mat, il ne reste plus que les incorrigibles de la fête. La pluie est de la partie mais c’est à peine si l’on s’en rend compte. C’est l’heure des croissants et du jour qui se lève sous un voile gris. Les mariés finissent par retrouver le chemin de leur hôtel quatre étoiles. Juan, Gab et Julie vont se coucher. Il ne reste plus que quelques incorruptibles au séjour de l’auberge et ma pomme bien décidée à ne pas se coucher. Je sais que je vais enterrer le party, cela m’amuse, voilà longtemps que je n’avais pas fait telle nuit blanche. Le secret est de consommer avec modération et d’avoir un matelas inhospitalier pour garder une ferme volonté de ne pas dormir. Je tairai les frasques du frère de la mariée, bien imbibé et trop belliqueux pour l’ambiance de la place, seul bémol de la soirée. Disons que celui ci a eu bien de la chance que j’adore sa sœur et que je sois plus bouddhiste que guerrière ! Je le croise lorsque je descend au séjour. Dans le dernier groupuscule de la fête qui s'achève, il y a l’un des triplés. Un vrai triplé conçu par la nature, l’une de ces exceptions humaines. Avant de tomber de fatigue, il nous conte la surprise de son père lorsque lors de l’accouchement il avait vu sortir trois fils identiques au lieu d'un! Aussi drôle que sensationnel. Une bien bonne histoire pour accueillir l’aube grise…

À presque cinq heures du matin, tout le monde est tombé, il ne reste plus que moi et Naveen qui ne semble pas plus chaud que moi à l’idée de dormir. Nous voilà donc embarqués sur une riche discussion qui nous fait creuser notre humanité et partager quelques confessions dans le silence du jour levant. Il est cool ce garçon, je le connaissais plus de vue que d’esprit avant que nous nous devenions « amis de l’aube », il est entré dans mon cœur à mesure que le jour s’est levé. Et il finit par tomber lui aussi ! Voilà j’ai officiellement enterré la fête du mariage. Je suis la seule survivante de la noce. Il est six heures et quart du matin et des trombes d’eau arrosent Tadoussac. Dehors c’est le déluge. Je suis heureuse d’avoir un toit sur la tête et je plains ceux qui sont sous la tente. D’ailleurs voilà une âme en peine qui se fraie un chemin sous la pluie torrentielle. Il entre et je l’observe sans mot dire. C’est un homme dans la cinquantaine. Il va se chercher un café. Je l’observe sans bouger. Au bout de dix minutes, je décide d’aller voir où sont cachés les cafés. Je lui demande :

- Y’a tu du sucre et du lait
- Non c’est juste du café noir !
- Oh ! Je crois que je vais plutôt me rabattre sur la caféine à bulles alors !
- La caféine à bulles ?

Pendant que flotte sa question dans l’air humide qui nous entoure je me dirige vers la distributrice de sodas et fait tomber un Coke Diet. L’homme rigole. Il a un petit accent provençal qui m’intrigue. Je ne résiste pas à l’envie d’aller à la pêche à l’humain. Faut bien que je me garde l'esprit occupé en cet espace temps qui respire les rêves d’autrui. J’apprends rapidement qu’il vient de Provence, qu’il est une sorte de routard SDF, jusqu’à là ça va. Il veut aller à Saint Pierre et Miquelon faire refaire son passeport qu’on lui aurait volé il y a quelques jours. En attendant il fait l’homme à tout faire à l'auberge, il dort dans un hamac sous les bois. Je flaire une légère odeur de trouble. J’accroche cependant si bien mon hameçon que je commence à ramener le poisson dans mes filets de curiosités. Il s’ouvre rapidement et commence à se confier : « En fait, j’ai eu des problèmes en France en 89, tout a commencé là, lorsque j’ai osé devenir président de la République ! » Oh ! Voilà que cela se corse je me dis tout haut dans ma tête. Le poisson en question est plus endommagé que je ne l’avais envisagé. Subtilement je commence à détacher mes filets tandis qu’il s’enfonce dans les explications de sa psychose. Il me raconte les services secrets à ses trousses et tout le tralala. J’obtempère avec prudence avant de lâcher le poisson libre tout en prétextant une envie urgente qui me fait remonter à l’étage. À l’étage tout le monde dort. Je trouve un petit balcon d’où regarder la pluie tomber. Je regarde les puissantes trombes d’eau fouetter la montagne et le village. Une quinzaine de minutes passent avant que je ne redescende voir ce qui se trame en bas. Quelques âmes ronflent sur les divans, « l’ancien président en cavale » me fait un sourire tandis que je garde une distance soigneusement étudiée. Descend une jeune black qui va consulter ses courriels sur Internet, il est presque sept heures. Sur la table à coté de ma chaise une brique de livre est posée. Je me lève pour en lire la couverture. La fille me dit :

- Oh ! C’est vraiment bon, tu peux le consulter si tu veux.
- Merci, est-ce que tu as étudié les enseignements de Voltaire ?
- Non mais je suis très cérébrale et je m’intéresse à plein de choses. En fait ce livre décrit de manière intellectuelle qu’il n’y a pas que l’intellect dans la vie mais qu’il faut aussi compter sur le cœur…

La fille est bien cool, s’en suit une super conversation sur les questions de sociétés et ses absurdités, les valeurs multiples, une discussion qui traite aussi des différences humaines et qui contribue à me tenir éveillée. Je la laisse faire ses affaires tandis que je file m’installer un coup sur la terrasse, histoire de humer l’air matinal incroyablement frais et mouillé. Arrive un papa aux cheveux longs et une petite fille d’à peu prés l’age de la mienne. Mon sang de maman ne fait qu’un tour et me pousse à me rapprocher. Il ne faut guère plus pour que s’engage une conversation amicale. La petite fille est mignonne, elle me parle de ses désirs d’école, j’embarque dans la conversation sous les yeux confits de tendresse de son père. J'ai la chance de parler couramment le langage des enfants, je trouve que ce sont les plus jolis esprits avec qui échanger. C'est alors que par le plus merveilleux des hasards passe devant nous un homme charmant qui se révèle être maquilleur pour enfants ! Oh ! J’accroche mon trophée de maman. M’zelle Soleil a rêvé tout l’hiver de se faire maquiller comme dans le vidéo du spectacle de Carmen Campagne ! Je vais ce matin lui faire la surprise du siècle !

- Oh ! Super, ma petite fille dort encore, elle adorerait se faire maquiller, je peux prendre contrat ?

L’homme charmant s’illumine et du coup, le papa l’engage aussi pour maquiller son bout de fille qui pétille sur sa chaise. La fillette rayonne de plaisir sous la pluie. Le maquilleur me dit :

- Ah bien, alors on va dessiner deux soleils pour deux petites filles qui vont nous éclairer le ciel.

Je réponds

- Oui et de leurs ondes enfantines, elles vont attraper des rayons de lumière qui chasseront la pluie.

Avec le papa, l’on parle un peu de maternelle et d’éducation mais surtout de la magie qui irradie des tous petits. Il a sa femme et un petit bébé qui dorment à l’étage. Il est sympa comme tout. Je rentre voir où en est le sommeil de ma petite famille. Naveen qui vient de se réveiller m’accroche au passage :

- Dis tu parlais au gars avec les cheveux longs ?
- Ouais il a une petite fille toute cute
- Il t’a pas parlé politique ?
- Heu non pourquoi ?
- Ben ça d’lair que c’est un militant connu de Limoilou, de l’un de ceux qui ont été actifs au Sommet des Amériques, c’est un communiste convaincu.
- Ah ! Ben, j’sais pas, tsé on a juste parlé de trucs de petites filles, pis y’était super normal.

Naveen semble rassuré, je file à l’étage. Tout le monde dort encore à poings fermés, je redescends. L’odeur des crêpes se répand. Il y a un air de commune palpable, la cuisine est ouverte à tout en chacun qui veut se faire une crêpe. Je m’installe à une table libre. Une jeune fille installée à coté de moi me sourit. Une conversation s’engage. J’apprends que c’est une anglaise qui fait du tourisme, elle ne vit plus en Angleterre mais à Paris où elle étudie. Plus gentille que jolie, elle possède un certain charme que je goûte comme la crêpe qu’elle déguste. Passe Naveen qui me demande

- Tu veux une crêpe ?
- Ben ouais, okay, merci…

Je continue de discuter avec l’anglaise, arrive une jeune fille qui s’installe prés de nous. Une jeune française qui ne tarde pas à se joindre à la conversation. Elle doit avoir un petit début de vingtaine et une assurance presque masculine. Elle étudie en foresterie à l’université, c’est la seule française de son département. Elle apprend que je suis hybride culturelle, pas vraiment française, pas tout à fait québécoise. Elle n’entend guère les accents de mon origine, elle a du mal à dépasser mon présent d’adoptée, elle peine à comprendre que nous avons les mêmes racines et puis soudainement elle s’ouvre :

- Non mais toi qu’est là depuis hyper longtemps, tu trouves pas les québécois un peu moutons ???

Même si je connais très bien l’angle de conversation qu’elle exprime, je n’aime pas le jugement gratuit qui s’en dégage.

- Heu non, pas vraiment…
- Mais quand même, ils sont hypermoutons moi je trouve..
- Ah tu trouves…

Elle se tourne vers l’anglaise qui boit chacun de nos mots pour lui expliquer :

- Nan mais tu vois, c’est comme quand il attendent le bus, tous l’un derrière l’autre, à la queue leu leu, c’est un peu débile…

Je reprends le fil de la conversation, je fais attention à mon ton, nous allons bientôt entrer en terrain miné mais à huit heures et demi du matin, c’est plus rigolo que dangereux. Je réponds :

- Mais c’est une question de civisme…

Elle me relance :

- Non, mais avoue y sont quand même hyper moutons, tu trouves pas ?
- Ben non, en fait je peux trouver le français autant mouton !
- Non mais là tu pousses…
- Ben non, je peux le trouver hypermouton mentalement, c’est juste un angle différent, les cultures et les contextes, ça change les choses. Les jugements de valeurs c’est très subjectif. Je trouve que le français même si réactionnaire peut être pas mal plus mouton de l'intérieur. Le québécois intérieurement il est vachement plus libre...

Et là à ma grande surprise, l’anglaise qui habite à Paris s’implique dans la conversation pour valider mon point de vue de son expérience personnelle. La jeune française en reste bouche bée. Elle arrive quand même à me sortir : « Mais quand même ils sont naïfs les québécois, tu trouves pas ? ». Je retiens ma verve juste assez pour exprimer mon désaccord sans essayer de la froisser, je retiens ma verve qui pourrait devenir acide si je lui expliquais comment, du haut de mes 35 ans, je la trouve bien naïve la petite fille, comment je pense que la vie a encore bien des choses à lui apprendre. Mais je me tais et préfère rester civile, (c’est le privilège de ma maturité et peut-être aussi de ma québecité.) Naveen arrive avec ma crêpe. Je passe à un autre sujet. Descend Gab qui me dit qu’ils sont sur leur départ. Croise le maquilleur qui attend gentiment le tour de ma fille. Arrive une dame très sympathique, parisienne d’origine bretonne, qui s’assoit à la table des jeunes filles (et qui se révèle être la maman de la jeune fille aux opinions très marqués) ainsi qu’une autre madame bien québécoise qui s’assoit à la table où nous sommes installés avec Naveen. La conversation tangue et roule, nous sommes embarqués sur un bateau verbal en pleine croisière humaine. Nous sommes entraînés en une conversation vivante qui se joue à plusieurs voix. Le concept de l’’être hybride revient entre Naveen (qui est moitié français, moitié hindou, québécois de naissance) et ma pomme qui commence à trouver difficile de réfléchir clairement. Je force ma cervelle et repart pour un tour. L’on parle d’Ingrid Bétancourt, du malade qui a décapité un garçon dans le bus au Manitoba. Les conversations sont amicales et souvent approfondies. L’ambiance est excellente. Tous ceux que je rencontre me vantent les talents du Deejay de la veille. Les conversations vont bon train lorsque je décide d’aller voir où en est ma famille endormie.

Dans la chambre, se réveille M’zelle Soleil. Clo et Juan dorment encore. Je dis à mon brin de fille :

- Tsé quoi, en bas, j’ai trouvé un maquilleur pour toi.
- Oh ! Un mquilleur ! pou moi ?

L’expression de son visage comblé me touche si profondément que j’en ai la chair de poule. Je la prends dans mes bras. Elle est encore toute chiffonnée de sommeil mais l’idée de se faire maquiller comme elle en a rêvé tout l’hiver fait pétiller ses beaux yeux. Je la croquerai de tendresse gourmande si je le pouvais. Le maquilleur est un magicien d’enfance, il entoure mon petit bout de douceur. Très sérieuse M’zelle Soleil ne bouge pas d’un poil pendant que celui-ci transforme son visage bambin en un soleil multicolore. Ma fille irradie de contentement, ses yeux brillent de bonheur, tout son visage rayonne. Mon cœur bouillonne. C’est pour elle une incroyable façon de commencer sa journée et pour moi une fascinante façon de terminer ma nuit blanche, il est neuf heures et demi du matin dans une grosse heure nous serons partis…

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