Chroniques acadiennes (premier épisode)
En ce mois de juillet, une fois passé le festival d’été, nous avons connu toutes sortes de contrastes, de l’hôtel « urbain deluxe » à l’auberge familiale, en passant par le camping pour se retrouver ensuite au vieux « manoir » oublié puis à l’hôtel quatre étoiles qui couronne le tout (merci les dieux de l'assurance qui nous logent à notre retour sans toit). M’zelle Soleil s’adapte à tous ces changements avec le comportement d’une pro. Difficile de croire qu’elle n’était guère sortie de son village (ou des jupes de sa mère) en ces deux années de vie. Peu sauvage, cette enfant lumineuse a fait la joie des acadiens. Elle ne nous a guère permis de passer inaperçus en nos multiples pérégrinations.
M’zelle Soleil est un véritable aimant à rencontres. L’on en finit plus de récolter des sourires. L'enfant fait pétiller les yeux des mamies (et des papis), elle fait causer les dames et même les messieurs, les gens aiment approcher cette filette qui chante et papote à tous les vents. Impossible de ne pas jaser avec ces inconnus qui s’extasient sur ses boucles chérubines. Des boucles qui fascinent ces français jaillis d’un autre temps. Même les anglos pourtant plus réservés ne résistent pas à son charme éclatant. Dans les deux langues, plusieurs me disent : « Oh qu’elle est jolie, on dirait Shirley Temple! Oh! She’s gorgeous! Look at her curls! Elle parle beaucoup! Elle n’a que deux ans et demi!!! Mon Dieu qu’elle est grande! What a sweetie! And she sings so well! ». Oui j’ai de la chance d’avoir une si belle enfant! Depuis sa naissance, je la couve d’un amour sans borne qui m’emporte la vie. Et je réalise qu’ils n’ont pas tout à fait tort, avec ses petites anglaises qui lui entourent son visage de porcelaine, elle ressemble en effet à cette actrice d’antan.
Il faut dire qu’en Acadie (Nouveau Brunswick), les jeunes ne courent pas les rues. Les vieux nous expliquent que la province se vide de son sang neuf au profit de la ruée vers l’Ouest. La majeure partie des jeunes veulent tenter leur chance en Alberta, à la recherche de ces trésors qui miroitent dans les reflets du pétrole. L’or noir qui fait tourner les têtes et ensorcelle les bourgeons d'âmes. Les villages se vident de leur jeunesse et les vieux se dodelinent sur leurs chaises berçantes en méditant sur le bon vieux temps.
Il ne reste que le tourisme pour sauver les meubles de cette sympathique province. Un tourisme qui parait-il s’essouffle un peu. Moi la touriste de passage, coupée du présent, déconnectée de la Toile infernale, sans écran d’où survoler les nouvelles de la planète, je découvre de mes yeux ces nouveaux paysages. Je me contente de feuilleter l’Acadie Nouvelle (ou le Telegraph si je suis en fief anglais) en sirotant mon café matinal. C’est une expérience dépaysante. J’y apprends les soucis de l’endroit. Les trucs de pêcheurs, les histoires d’agriculteurs, les soucis touristiques, les déboires du bilinguisme. Cela me donne un certain contenu dont je me sers lors de mes conversations avec l’habitant. À la pêche humaine, j’ai un petit ange bouclé en guise d'hameçon qui accroche les cœurs tandis que j’en creuse les esprits qui s’ouvrent à ma curiosité dévorante...
Pendant ce temps M’zelle Soleil grandit à vue d’œil, sa syntaxe est de plus en plus complexe. Elle aligne les mots avec brio, ferme parfois les yeux pour mieux se concentrer et arrache à sa jeune langue des phrases bien pensées. Ce voyage la stimule énormément tant qu’elle change assez pour que j’aie l’impression d’être partie avec un bambin et de revenir avec une petite fille. Tous les trois jours nous changeons d’endroit, et chaque lieu est une expérience différente pour l’enfant qui assimile avec une facilité déconcertante.
À St-John où nous débutons notre voyage après huit heures de route (d'une seule traite) pour deux nuits en un hôtel confortable, elle découvre l’ascenseur, la piscine et l’anglais. En quelques heures, elle commence à essayer de répéter quelques mots pour répondre à ceux qui lui parlent. À Bouctouche où nous restons trois nuits, elle découvre un lit de grande fille (un lit simple qui côtoie notre double), elle se fait une joie de délaisser son lit de voyage pour s’y étirer les nuits. En cette auberge familiale nichée en une ferme ancestrale au bord de l'eau, nous rencontrons nos premiers acadiens. Ma fille joue avec le enfants de la place, j’en profite pour faire la jasette avec leur gardienne. Une dame d’une soixantaine d’année qui me raconte des bribes de sa vie. À Caraquet, nous expérimentons le camping (l'un de mes appareils photo fait des siennes et prend en otages mes photos de la place, l'homme n'a pas encore pris la peine de les libérer). C'est un concept qui révolutionne les idées de l’enfant. Nous plantons notre tente gigantesque (gentiment prêté par l’amour de Vanou) au bord de la mer qui vient lécher le rivage d’une autre petite baie. J’avoue que j’ai certaines réserves sur le camping mais vu notre mince fortune, c’est le choix de circonstances pour équilibrer nos finances. Juan se démène pendant quatre heures pour installer notre logis. Le vent se met de la partie et l’homme tempête contre la Toile. Nous savions que cette tente n’était pas une partie de plaisir à monter, Juan confirme ce fait. Une fois la tente bien posée, nous expérimentons notre premier jour de pluie! La journée qui suit est des plus maussades. Durant ce voyage nous n’avons connu que trois jours de mauvais temps mais lorsque la première pluie nous frappe en ce premier jour de camping, ce n’est guère la joie!
Nous campons durant cinq jours en cet endroit qui m’interpelle un peu. M’zelle Soleil assimile un nouveau concept et je n’arrête pas de me gratouiller le crâne pour en comprendre les adeptes. Au cœur du camping, des retraités motorisés s’éclatent. Le premier soir alors que je me dirige vers les douches sommaires, je constate que ceux-ci sont tous bien installés dans leur gros « camions » devant la télé qui bleuit leur confort douillet. Pour nous, c’est une autre paire de manches. Sous la tente, heureusement spacieuse, nous n’avons que nos lits et quelques lanternes à piles. La deuxième nuit, nous faisons un feu. C’est un moment des plus agréables. L’enfant s’endort dans mes bras et j’hume son odeur de bonheur qui me nourrit l’esprit. Alors que passe minuit, je me décide enfin à prendre le chemin de la douche. Tout le camping est endormi, l’eau clapote et les étoiles brillent. C’est alors que je prends les pieds dans un trou invisible de la pelouse et tombe comme une branche morte. Foudroyée par la douleur qui explose en ma cheville, je « bouffe » ma serviette pour ne pas hurler. Juan accoure mais j’ai si mal que je ne peux articuler un seul mot, je me contente de mordre ma serviette et d’absorber la violence de cette douleur subite. Impossible de me relever. Je laisse passer dix minutes avant de pouvoir articuler « aille, ma cheville! ». La douleur est atroce. Je suis aussi blessée en mon amour propre. Voyons, c’est quoi l’idée de te tordre une cheville en plein « roadtrip »! Je sacre et je jure à demi mots. Je laisse faire l’idée de la douche et me retrouve immobile sur mon matelas pneumatique! L’homme s’inquiète, je minimise tant cet accident m’énerve. Même si j’ai incroyablement mal, je refuse l’hôpital en pleine nuit. Je prends l’un de ces médicaments anti inflammatoire qui traîne dans ma trousse de secours et je m’endors. Au réveil, la douleur est un peu moins puissante et je refuse encore l’hôpital malgré la volonté de Juan. Nous allons nous ravitailler à ce petit café qui est sûrement l’un des endroits les plus étonnants de Caraquet, un café tendance rempli de délicieuses gourmandises et une ambiance digne des quartiers branchés de Montréal! Je boitille et je grimace au fur et à mesure que je marche ma cheville enfle. J’admets que ce n’est pas bon signe et accepte d’aller consulter à ce petit hôpital niché au centre de la ville.
Justement nous trouvions que nous n’avions pas encore rencontré assez de locaux à Caraquet, rien de mieux que trois heures dans une salle d’attente médicale pour prendre le pouls de la population! Manifestement, il semblerait que le Nouveau Brunswick égale le Québec quant à son système de santé. Durant nos trois heures d’attente, l’on y rencontre Sylvie aussi cocasse que vocale, une ribambelle de mamies, deux bébés et leurs parents, un pêcheur et un vieux monsieur cultivé, tous acadiens de sang et de quotidien. Ceux-ci sont de nos conversations mais il y a aussi le couple de jeunes québécois qui ne se mélange pas à la faune autochtone et un couple de lesbiennes anglophones que j’avais repéré au camping où l’on réside. Les deux femmes dont je ne peux soupçonner l’ennui de santé sont en parfaites harmonies, malgré leur retrait du groupe, elles ne résistent pas aux charmes de ma fillette qui se fait un plaisir de les accoster. Pour ma part, je suis confinée à un fauteuil roulant qui me désespère un peu, la patte en l’air, ma cheville repose sa peine.
Durant une absence de Juan et Lily partis manger (au Tim Horton en face), je discute longuement avec un pêcheur de l’Ile de Miscou qui a fait son certificat de mécanicien à Lévis (en face de Québec) et avec un homme âgé, cultivé et modeste. Aucun des deux ne résiste à mon charme et je me divertis à leur tirer les vers du nez en même temps que je nourris leurs curiosités. Je ne sais pas pourquoi le monsieur attend mais je sais que le pêcheur a un morceau de métal planté dans l’œil. Le pêcheur est aussi sympathique que rustre. Il s’ouvre à moi comme un livre que je savoure avec plaisir. Pas facile la vie de pêcheur mais celui-ci est heureux comme un chef. Il vit au bout de son île, avec sa femme qui tient un camping, il respire la liberté et l’Acadie. J'avoue perdre environ quinze pour cent de la discussion dans la profondeur de son accent. J'opine quand même et passe à autre chose lorsque survient la phrase mystère. Le genre de phrase que mon oreille n'arrive pas à déchiffrer malgré mon bon vouloir. Et puis il y a Sylvie qui est devenue comme une amie après deux heures d’attente, si gentille, elle reflète à elle seule toute la chaleur de ces gens d’ailleurs. Elle me raconte sa vie et je ne résiste pas à creuser un peu. Je creuse sans chercher à la brusquer juste avec l’envie de mieux comprendre son essence. Son humanité me touche, sa simplicité me repose. Elle a quarante ans et cinq enfants, deux petits d’un deuxième lit et trois grandes qu’elle a eu entre 18 et 22 ans. Le visage buriné, elle possède cependant un corps de rêve. Elle travaille fort, dans un milieu d’hommes, sur ces équipes qui font la maintenance des routes. Elle a vécu treize ans au Québec. Elle me fait rire lorsqu’elle raconte à sa voisine sa perception de Montréal et de ses cages à poules! Elle vibre d’une lumière qui transperce ses rides. Évidement, elle s’extasie sur mon brin de fille qui la fait fondre comme du bonbon. L’on se soutient mutuellement dans l’attente, alors que mon tour approche et que le temps file, je lui demande :
- Mais dis-moi, toi qui a vécu au Québec, c’est quoi qui fait différence entre un québécois et un acadien?
Elle fronce des sourcils, se demande ce que je cherche à comprendre. Je lui souris et l’encourage doucement. Elle finit par me dire :
- Hum, tout ce que je vois, c’est que les québécois sont plus "…" (je ne me souviens plus du terme exact, bourru serait un bon synonyme). Ici tu peux parler avec tout le monde, si tu demandes un renseignement, y’en a trois qui vont vouloir t’aider, personne va te laisser mal pris…
Elle poursuit en m’expliquant ce que j’avais déjà bien perçu, les Acadiens sont de nature bienveillante et extrêmement chaleureuse. Pour moi qui connais les nuances subtiles entre le français de France et le français du Québec, je peux concevoir avec elle une autre nuance qui me fascine tout autant que les boucles de Lily fascinent les passants de Caraquet. Ainsi le Français de France s’émerveille de la chaleur du peuple québécois tout autant que je suis en train de m’émerveiller de celle des acadiens. L’acadien trouve donc le québécois aussi renfrogné que le québécois peut trouver fermé le français du vieux pays! Ah! Jolie Sylvie que je me dis en silence, ne va jamais à Paris! Si tu savais comment il est dur là-bas de soutirer une information du spécimen local!
Enfin arrive mon tour, je roule donc jusqu’à la salle des rayons X. Ma cheville est prise sous tous les angles et je retrouve rapidement la docteure (qui en passant est une véritable beauté fatale). La jolie dame m’explique les variations des entorses en son accent chantant. Ainsi il y a quatre degrés à une entorse, la première est la foulure, la deuxième et la troisième sont douloureuses mais finissent par guérir et la quatrième est grave car c’est lorsque les ligaments qui déchirent emportent avec eux des morceaux d’os. Je suis chanceuse mes os soient bien en place (ils sont même très jolis me dit mon homme avec un sourire). J’ai une entorse qui oscille entre le troisième et deuxième degrés. Je dois bander ma cheville, marcher le moins possible (super pratique quand tu as encore deux jours de camping à traverser), prendre des anti douleurs et petit à petit je pourrais remarcher même si je risque d’en garder quelques séquelles en conservant une cheville fragile. Comme il fait un soleil magnifique et j’ai déjà perdu une bonne journée à l’hôpital, je convaincs Juan d’aller faire un tour de Miscou à 45 minutes de là. Le pêcheur m’a donné l’eau à la bouche, je veux aller voir son coin de pays…
Nous voilà de nouveau sur la route. Nous nous perdons deux fois et en à peine deux heures nous arrivons enfin au bout du monde. Enfin comme dit Juan « Ce qu’il y a de bien avec le Nouveau Brunswick, c’est que t’as toutes sortes d’occasions de te sentir au bout du monde! ». Arrivés sur l’île, tannés de se perdre pour un rien, l’on décide d’accoster un « quatre roues » pour trouver le chemin d’une plage. Le couple souriant nous demande à quelle plage l’on veut se rendre. Je réponds :
- Bof, on s’en fout! D’après vous c’est laquelle la plus belle?
- La plus belle, certain, c’est celle où on se rend! C’est à deux minutes d’ici!
- Oh! On peut vous suivre?
- Ben oui, pas de troubles, v’nez vous en!
Et nous voilà à suivre ces gens dans des petits sentiers pour déboucher sur une vue imprenable. Pour découvrir l’une de ces plages qui habitent mes rêves. Une longue plage sauvage, avec un sable doux et des coquillages, une plage qui s’étend d’un horizon à l’autre. Là, je tombe direct en amour! J'oublie l'aigreur de mon entorse. Mon coup de cœur est ici, mon cœur bat la cadence à Miscou! Je me traîne sur la plage. Je maudis cette entorse qui m’handicape. L’on se promet de revenir le lendemain…
Comme quoi, même dans le malheur, quelque chose de bon peut arriver !
RépondreSupprimerTrès jolie histoire, j'avais l'impression d'y être. D'ailleurs, je me verrais bien sur cette longue plage, moi qui n'aie pas vu la mer depuis... un certain temps.
RépondreSupprimerCalliopé, le tout est de ne pas négativiser, ensuite l'univers fait le reste, enfin je crois... Enfin parfois il faut combattre le stress pour s'en rappeler...
RépondreSupprimerAllo Beah, je n'avais pas vu la mer depuis neuf ans et c'était un véritable bonheur que de la retrouver :D
Île de lamèque aussi il fait beau
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