mardi, octobre 17, 2006

Pérégrinations maternelles

Leave a Comment
Pérégrinations maternelles

Un grand soleil réchauffe cette fraîche journée d’automne. Un ciel d’azur entrecoupé de gros nuages qui se dodelinent entre deux percées de lumière éclatante. L’appel de l’air frais est plus fort qu’aucune autre raison, c’est le temps de la balade de village pour Bébé Soleil et ma pomme des bois.

Ma rue est une avenue et le village qui se fait appeler ville par les pontes de la municipalité a retrouvé un air de liberté sauvageonne. Des cinq mille habitants de la saison estivale, il ne reste plus que les trois cents locaux qui vivent ici à l’année longue. Hors, sur ces trois cents âmes là, une bonne centaine travaille en ville (comme c'est le cas de Juan), plus les enfants qui vont à l’école, au final, je dirais que s’il reste une grosse centaine de bonnes gens au village les jours de la semaine, c’est déjà beaucoup ! Donc, dans cette centaine qui s’enracine, il y a une bonne proportion de retraités et quelques rares mères au foyer, dont ma pomme…

Ballade-santéAu-lac

La seule activité du village se situe dans quelques travaux de construction ou d’entretien, principalement une maison à terminer près du lac et l’employé d’Hydro-Québec qui vaque à ses occupations. Durant cette ballade d’automne ensoleillé, je rencontre deux retraités, un homme d’une cinquantaine d’année et une mère de très jeunes jumeaux en sortie poussette. Sur la route principale qui, jusqu’à peu se faisait appeler boulevard, je me fais dépasser par une dizaine de voiture, dont le maire et le bus scolaire. Sur cette dizaine de voitures où je croise le regard de chacun des conducteurs, je salue deux connaissances et je discute avec un homme qui a perdu ses chiens.

En tournant le coin pour trouver mon petit coin de lac, je vois un vieux monsieur en train d’installer son tempo. Son plus proche voisin vient de finir le sien. L'on tombe dans l’époque des "tempos" qui fleurissent dans les allées des maison. Le sien est une « belle » construction temporaire de toile violemment bleutée. Chanelle fait sa connaissance, je papote trois minutes avant de continuer ma promenade. Lily-Soleil jase à tout vent. Arrivée au lac, je la sors de sa poussette pour lui offrir un bac à sable grandeur de plage. Tous les bateaux ont disparus, l’horizon est calme, reposé. Le lac est de nouveau libre de respirer tranquille.

Je me baisse pour jouer avec la petite qui tripote des feuilles mortes. Je sais que je suis à moitié dépenaillée et que la moitié de mon derrière prend l’air frais. D’un coup, je tourne la tête et j’aperçois un homme d’une cinquantaine d’années qui passe devant moi avec un petit sourire aux lèvres ! Oui, bon, je sais, j’ai la « crack » à l’air ! Il fallait bien qu’un pelé passe à ce moment impudique de ma journée! Je l’ignore. Il disparaît bientôt de ma vue. Je retrouve ma solitude limpide.

Le paysage est de toute beauté. Le lac exulte de transparence. Lily-Soleil est en pleine forme, après avoir creusé furieusement le sable, quoi de mieux que de pousser à l’eau une poussette pour pratiquer sa marche ? Afin d’éviter la catastrophe, je finis par piloter le petit manège et l’on se promène ainsi sur une centaine de mètres avant qu’elle ne tombe de fatigue.


Un dernier coup d’œil sur l'étendue limpide, une dernière bouffée d’air pur et je reprends tranquillement le rythme de ma ballade. Je vais chercher le journal au dépanneur, seul commerce du village en activité, j’y rencontre trois tondus et une madame qui fait la fête à Chanelle. Je rencontre aussi une autre maman, sa poussette est double, deux petits nourrissons y sommeillent. L’on jase quelques minutes. Elle me demande :

- Et la petite, elle à quel age ?
- 11 mois..
- Ah ! C’est à vous…
- Oui.
.

L’on parle de tout et principalement de rien. Elle trouve que Lily-Soleil a l’air de bien de s’amuser durant cette promenade. Elle me repose la question:

- Mais c’est à vous ou vous la garder ?
- Non, non, c’est bien la mienne…


Je me retiens de répliquer que c’est la mienne et que je la garde aussi à la maison ! Mais bon, je suis peut-être un peu susceptible présentement sur le sujet. Je me tais. Je reprends ma route. Perdue dans mes pensées, je me demande pourquoi cette question m’a tant titillée les nerfs. Est-ce parce-que Juan me dit souvent que les gens au bureau lui demandent si je retravaille et qu’ils ont l’air de trouver un peu bizarre que je sois toujours à la maison à garder un bébé grandissant? Est-ce parce-que lorsque je retrouve des connaissances, elles me demandent toujours à un moment donné:

- Et alors tu fais quoi maintenant ?

Et moi de répondre immanquablement:

- Ben comme d’hab, présentement j’fais bébé…

Est-ce parce-que je me rends bien compte que je vis un quotidien à contre courant de mon époque en exploitant ce cocon maternel qui s’est tissé autour de moi ? Si je gardais les enfants des autres, j’aurais un statut social, je serai gardienne d’enfant ! Si j’écris et je travaille à la pige de chez moi, j’ai une occupation professionnelle, je suis reconnue. Mais si je ne suis que mère au foyer alors je ne suis rien ou tout du moins pas grand chose au regard de la société. En fait, est-ce que je n’erre un peu dans des limbes indéfinis, en marge de notre univers moderne?

Il faut avouer que l’emploi de mère au foyer n’est pas toujours des plus captivants, des plus stimulants intellectuellement. J’en conviens. Dans un monde de capitalisme et d’individualisme enrobé de féminisme, rester à la maison avec bébé a un petit quelque chose d’excentrique. Surtout si l’on est cultivé et diplômé. Si l’on est capable de ramener de l’argent sur la table à dîner et de s’épanouir professionnellement, rester à la maison ne semble pas faire partie de la norme actuelle. Personnellement, il me paraît important de partager les premières années de Lily-Soleil, quoi qu'il m'en coûte, c'est mon choix.

J’aime beaucoup l’idée de tout ce "Savoir Humain" à communiquer, de toutes ces choses à expliquer. Il faut s'armer de beaucoup de patience et de ténacité. Tenir l'équilibre. En se tenant de l'autre coté du miroir (face adulte), l’on en revient aux bases même de la vie, cela fait tant de bien. Ceci sans compter tous ces moments de douce affection qui sont à la base de cette nouvelle relation intime. Et puis, ce n’est pas non plus une sentence à vie, Lily-Soleil grandit bien assez vite pour que j'en sois consciente…

Rester à la maison pour pouponner, soyons franche, ce n’est pas super épanouissant en soi. Il y a cependant un aspect enrichissant qu’il est bon d’apprécier, il y a un apprentissage de vie à étudier et une intense satisfaction maternelle. Est-ce rentable à long terme ? Je n’en sais encore trop rien. Au jour le jour, je sais qu’il me faut me mettre au niveau de l’enfant, rentrer dans sa bulle, apprivoiser ce petit être en plein éveil. Il faut délimiter, surveiller, entourer, conforter, guider. Ce n’est pas de tout repos, c’est une sorte de travail abstrait qui ne se rémunère pas.

Bref, cette question de rien posée par une parfaite inconnue m’entraîne dans une longue réflexion où s’entrecoupent toutes sortes de concepts, de valeurs et de morales, un tout d’idées qui m’entremêle les pinceaux. Tout en essayant de garder mon équilibre intérieur, je poursuis en silence le chemin solitaire qui me mène jusqu’à ma petite maison de galets. Lily-Soleil s’est endormie, avant de la réveiller, je m’assois sur un banc solitaire pour admirer sa mine d’ange. C’est dans ces secondes là que tout s’éclaire, pour l’instant, je suis exactement là où je dois être…


Automne-sur-sableP'tit-bout

0 commentaires: