- Maman, maman, maman...
Je couche mon brin de soleil pour sa sieste quotidienne après avoir joué dehors avec les fillettes du quartier. Le ciel est aussi bleu qu’il fait froid. Dehors était d'humeur arctique et j’ai senti mes joues se congeler avec chaque sourire. Je me pose devant l’écran blanc. Je soupire. J’essaie de ne pas penser à cette douleur lancinante qui m’envahit l’esprit. Soudain, dans un éclat de soleil se profile une petite créature scintillante, elle virevolte en silence dans l’air de la maison avant de se poser sur le haut de mon écran. Elle me dit:
- Salut Etolane…
Je fronce des sourcils avant de chuchoter :
- Heu, en ce moment c’est le nouveau truc de ma fille, dire « salut » à tout bout de champ! Pourquoi tu me dis ça? D’ailleurs elle ne dort pas encore je l’entends qui papote dans son lit. Je peux pas vraiment te parler où je vais réveiller sa curiosité...
- Mais si tu parles tout bas comme maintenant, elle ne t’entendra pas.
- Non peut-être pas…
- C’est Shni qui m’envoie
- Shni? Le génie du ménage qui ne me lâche pas?
- Oui, il s’inquiète pour toi…
- Pfff, de toutes façons c’est n’importe quoi vos histoires surnaturelles! Tu es aussi un génie? C’est quoi ta qualification?
- Je ne suis pas un génie…
- Ah! Non?
- Non.
Il se tait. Moi aussi. Je n’entends plus l’enfant blablater dans sa chambre. Quelques secondes passent, j’entends à nouveau l’enfant chantonner. La créature est assise sur le haut de mon écran, elle examine la poussière de ma lampe. Son corps nu scintille comme irradié de lumière intérieure. Elle ne doit pas mesurer plus de cinq centimètre. Cette minuscule créature est très jolie, cela change du génie du ménage qui a toujours une drôle de tronche. De but en blanc elle me demande :
- Depuis quand n’as-tu rien publié Etolane?
- Ben, je publie des billets virtuels de façon régulière.
- Ne t’amuses pas de moi, depuis quand n’as-tu rien publié de papier?
- Bah! C'est pas si drôle après tout un blogue voit passer pas mal plus de lecteurs que la plupart des éditions de papier de la province.
- Mais ce n'est pas la même gloire...
- Je n'écris pas pour la gloire mais pour l'art de la chose...
- Oui bien-sur! Shni m'a fait part de tes particularités! Mais dis-moi depuis quand n'as-tu rien publié de concret?
Je serre des dents malgré moi. Je note que l’enfant ne fait plus de bruit. Je finis par répondre
- Deux ans…
- Tu parles de cette nouvelle qui s’est rendue jusqu’au prix Aurora?
- Oui, tu es bien renseigné mais je n’ai rien gagné…
- Pourtant, avant cette nomination, tu publiais régulièrement des nouvelles, tu as dû en voir une bonne quinzaine sur papier…
- Oui, j’écrivais beaucoup plus que maintenant, j'étais plus concentrée. Maintenant je suis un peu enfermée dans ma bulle de maman. Ma confiance en moi n'est plus la même...
Le téléphone sonne même si je réponds le plus vite possible, j’entends une petite voix s’élever en mon horizon maternel.
- Qui Maman? Qui? Maman qui?
Je raccroche en maugréant. M’zelle Soleil me fait la fête lorsque je rentre dans sa chambre pour lui remettre en tête que c’est l’heure de la sieste. Depuis quelques semaines, elle se développe à grande vitesse et en profite pour délimiter mes limites. Elle se personnifie et s’affirme, ce faisant elle nous entraîne dans les lois de la discipline. Cela se corse un peu. Nous voilà parents pour de vrai! Nous discutons ensemble de cette parentitude qui nous lie, nous nous serrons les coudes et faisons front. « C’est Lily toute seule » est devenue la rengaine de mes jours. Il y a des soirs où cette remarque me donne envie de grimper aux rideaux. Lily décide et Lily « veut ». Elle fait des phrases et explique de son mieux toutes ces volontés qui lui passent par la tête. « Ze veux » me répète-t-elle lorsque je suis lente à répondre à ses demandes. Je me dis que nous passons vraiment une nouvelle étape. Comme ses demandes sont incessantes, je dois apprendre à dire non pour de bon. Je deviens ferme, hausse la voix, use de mes patiences tout en découvrant cette petite personne que j’ai pondu de ma chair! Lily grandit et je ressens parfois un peu de bébé nostalgie…
- Tu devras en refaire un autre…
Je fronce des sourcils en regardant la créature qui n’a pas bougé de mon écran…
- Tu lis dans les pensées?
- Non, je lis du clavier…
- Ah ! je vois, tu es un petit comique!
- Non je suis envoyé par Shni.
- Hum, mouais, scuse j’avais un….
Le téléphone sonne à nouveau, je me précipite sur le combiné. C’est Juan qui m’appelle pour me donner un numéro que je lui avais demandé.
- Ah! tu venais de la coucher je parie!
- Hum, enfin c’était parti pour…
En même temps, M’zelle Soleil lance depuis sa chambre :
- Qui Maman? Qui? Maman qui?
Je raccroche avec l’homme qui aurait quand même pu penser qu’il appelait en plein dans l’heure critique de sa sieste et je file dans sa chambre pour retrouver mon clown de fille déguisée en petite rebelle. Depuis quelques semaines, elle manifeste de plus en plus souvent cette force de caractère qui germe avec l’éclosion de sa personnalité. Je ne peux que constater combien elle ressemble physiquement à son père. Cependant il semble qu’elle tienne de moi de bien d’autres façons, Juan s’en aperçoit et me le fait remarquer. Cela me fait plaisir même si je me doute que je n’ai pas fini d’en voir.
Je persiste à croire que tant que nous lui offrirons un cocon équilibré empreint d’amour et de respect, elle ne nous rendra pas bourriques. Je persiste à croire que dans ces conditions elle s’épanouira selon qui elle est et elle nous acceptera comme nous sommes. Je refuse d’envisager un avenir fait de querelles et de disputes. Alors je me bats au présent pour mon idéal. Je prends en main le cours des disciplines. Je l’écoute et je médite. Je sais que l’on traverse une nouvelle étape « d’enfant-parent », j’ai confiance en ces instincts maternels qui guident mes choix depuis sa naissance. Je n’aime pas me faire d’acier pour ne point plier sous ses charmes et caprices. Je reste un acier souple car je plie quand même de temps en temps. Je n’aime pas cette sensation de rigidité qui vient avec la discipline que l’on doit instaurer. Je n’aime pas mais je le dois. Alors je reprends les pratiques de ma main de fer en mon gant de velours. Je cultive mes patiences. Je continue de beaucoup lui parler, je continue de lui expliquer toute sortes de choses, et pour ne pas perdre pied, je hausse le ton. Je la recouche. Elle ne fait pas de crise, elle est plutôt du style résistance passive. Je reprends place devant mon écran. La créature scintille devant moi, je soupire :
- Comment veux-tu que je me concentre!!!
- Tu dois accrocher cette individualité que tu retrouves à mesure que ta fille découvre la sienne. Depuis quand n’as-tu rien soumis à une maison d’édition?
- Plus de deux ans. Mais je n’aime pas trop penser à ces questions que tu me poses. Cela me fait un peu mal lorsque j’y pense, cela m’angoisse. J’essaie de respecter les cycles de ma vie, d’en accepter les longueurs, je n’ai pas le pouvoir de forcer le destin.
- Mais le destin est tien...
- Je sais que je rentre dans un nouveau cycle. L’enfant grandit, je revis, je vieillis, je sais qu’il est temps que je me penche de nouveau sur mes écrits. Je me décentre doucement de cette maternité surprise qui m’a tant absorbée et fait dévier mes chemins littéraires.
- Alors tu comprends la raison de ma présence?
- Pfff, je sais pas. Mais que sais-tu d’abord de la douleur sourde que l’on ressent lorsque vient le temps de ramasser ses morceaux éparpillés pour les recoller en un soi cohérent? Que sais-tu des souffrances humaines toutes si différentes et pareilles? Que sais-tu des douleurs et des plaisirs de l’écriture?
Un rayon de soleil frappe la créature de plein fouet. Il vibre un instant avant de s’évaporer sans faire un son. Il est bientôt deux heures et la lumière du jour descend rapidement vers la nuit qui l’attend. La nuit qui avale les creux d’après-midi. Je n’entends plus l’enfant dans son lit. Elle semble avoir compris que sa résistance est futile. Le silence m’enrobe. Je vais trifouiller mes entrailles à la recherche de ces histoires qui se cachent dans quelques recoins de ma tête.
Je n’ai pas le temps d’y penser plus de six minutes que j’entends de nouveau M’zelle Soleil en « sieste-résistance ». J’hésite entre la laisser aller quelques minutes encore ou intervenir de suite. Ma concentration s’étiole alors que je cogite les pours et les contres. Pendant que je me triture la cervelle, je l’entends faire la jasette avec passion. Il est temps que j’intervienne. Je rentre dans sa chambre. Elle me chante le premier couplet de « Petit Papa Noël » le hit de la maison. Je fais mon possible pour ne pas sourire devant ses petites comédies. Elle se frotte les yeux fatigués. Sans le savoir elle affirme par ce geste ma position qui commençait à s’ébranler. Elle me demande :
- Prendre?
- Non.
- Descendre…
- Non. C’est l’heure du dodo.
Je la remets dans son lit, elle pleurniche trois secondes tandis que je maintiens ma position. À l’intérieur je pleurerai bien aussi. Je pense aux mots de Juan qui me disent que ce sont des phases d'opposition qui passent comme des vagues. Je garde mon visage de marbre. Elle demande sa sucette. Je lui donne. Elle se tourne sur son oreiller. Elle prend sa doudou en se frottant les yeux qui se ferment tous seuls. Je sors sans un bruit de sa chambre. Je crois que cela y est. Mais je m'y crois trop vite, deux minutes passent et elle m’appelle de nouveau. Je retourne une dernière fois dans sa chambre, d’un ton ferme, la voix dure, je m’exclame :
- Là, cela suffit Lily-Soleil!!!
Son visage se décompose sous l’acidité de mon ton. Je fais des efforts pour garder ma composition autoritaire. Son visage se décompose et j’ai le cœur qui dégouline. Elle se couche seule avec sa doudou devant les yeux. Elle a capitulé et je suis vannée. Je sors de sa chambre. Je m'assois devant l'écran. Le téléphone sonne et je sursaute! C’est le numéro de l’université. Je me dis que c’est Juan. D’un geste énervé je réponds :
- Oui!!!!
Une dame me parle. Elle demande à parler à Juan, c'est pour le travail. Shoot! Je me calme et m’apprête à prendre le message. Je n’entends pas l’enfant se réveiller. Soulagée je suis. La dame me dit :
- Mais c’est qui qui parle?
- Heu Etolane…
- Ah! Etolane, c'est toi! Je savais bien que je reconnaissais ta voix. C’est M…. L... du bureau du socio-culturel! Ah! Alors je replace Juan maintenant!
Ironie ou signe du temps. La dame se souvient clairement du temps où j’étais présidente de l’association littéraire sous son giron. Elle me dit qu’elle est revenue en janvier après avoir quitté sa place il y a deux ans. Je lui explique, en m’excusant de mon ton désagréable, que je venais de coucher la petite et que j’étais un peu sur les nerfs. Je sens des vagues de compréhension m’atteindre. Je suis confuse. Elle en profite pour me tirer les vers du nez. Je lui raconte ma vie. Je ne me souviens plus vraiment de son visage mais sa voix m’est familière. Je lui explique que les années d’avant la naissance de l’enfant s’enrobent de flou. Je lui parle de ma décision de m’en occuper à la maison. Elle m’en félicite. Je ne sais trop sur quel pied danser. Je luis dis :
- Après ce qui m’est arrivé à l’accouchement, j’ai eu la conviction que je voulais être sa maman d’abord. Je préfère me mettre de coté pour…
Elle complète ma phrase :
- pour ne pas passer à coté de quelque chose de précieux, oui tu as raison…
Elle me parle du bonheur de la petite enfance. Elle m’explique alors combien elle regrette la mode de son temps, l’obligation de la carrière, elle me parle de son expérience personnelle. Je l'écoute avec attention. Sacrifices de carrière, sacrifices maternels, d'une manière ou d'une autre la femme se sacrifie. Est-ce-que le sacrifice fait partie intégrante de la nature féminine? La dame me confie qu'elle est retournée au travail alors que son bébé n'avait que trois mois, elle le regrette maintenant. Regretterait-elle d'avoir mis sa carrière en veille? Je n'ose lui poser la question. Elle me parle des temps féministes qui évoluent, elle trouve que c’est bien. Si je me rappelle bien elle doit approcher de la cinquantaine maintenant. Je la sens femme et solidaire. Elle m'explique qu'elle a l'impression de sentir les mœurs changer. Elle pense que c'est moins mal vu de rester plus longtemps à la maison. Je lui rétorque que je ne suis pas sure que les temps changent si vite, je lui raconte l’incompréhension de certains collègues de Juan qui ne comprennent pas ma résistance à faire garder l’enfant. Elle se rappelle de son temps. Je lui parle du mien. Sa voix me rassure, elle éclaircit un passé qui s’englue en mon quotidien maternel. Elle est si gentille, si compréhensive, elle vient calmer la vivacité de mes nerfs. Elle me dit qu’il faut que j’amène la petite à son bureau, que cela lui fera plaisir. Je lui promets d’y penser. Je raccroche légèrement troublée. Je ne sais plus qui de ma fille ou de la vie me fait le plus tourner en bourrique!
Une demie heure plus tard, Raphy passe voir si M'zelle Soleil peut jouer avec elle. Je la renvoie en ses quartiers. Une autre demie heure passe et j'entends gazouiller ma pimprenelle. Calme comme une image, toute ébouriffée de sommeil, elle se pend à cou. Ma petite frisée se fait toute douce. Elle se colle contre ma poitrine, je la serre dans mes bras tendrement. Elle se réveille en me câlinant. Je l'embrasse. Elle est collée à moi comme le bébé qu'elle était il n'y a pas si longtemps, elle se love contre mon coeur. Ces moments là ne font plus légion, j'en profite doublement. Instants bénis d'amour partagé, bonheurs de l'intime, notre complicité est palpable. Elle me sourit et je fonds littéralement devant ma petite merveille. Une dizaine de minutes passent avant qu'elle ne retrouve toute son énergie chérubine. Me voilà alors repartie pour un tour de questions, de répétitions, de parlote et de constatations, me voilà repartie dans le tourbillon de l'enfance qui m'entraine loin des considérations adultes.
Raphy revient changer les idées de M'zelle Soleil, poussée par l'enthousiaste des demoiselles, je me lance dans une préparation de biscuits alors que la nuit est tombée depuis déjà trop longtemps...
Wow. Tout simplement, wow.
RépondreSupprimerCe que tu écris bien, sérieux. On dirait que tout devient calme autour quand on te lis...
Et encore une fois, M'zelle Soleil est craquante!
Merci Yano, voilà que tu troubles tandis que mes joues rosissent...
RépondreSupprimerDisons que j'ai une certaine pratique d'écriture, j'écris pour le plaisir des mots qui façonnent l'imaginaire, même puisés dans le laboratoire de ma vie, j'aime sculpter les mots qui forment cette langue qui mienne...