Sur le vif,
La matinée est radieuse, je joue avec Lily-Soleil sur la pelouse, j’entends sonner le téléphone, je laisse aller le répondeur. Une heure plus tard, nous rentrons à la maison, j’écoute le message. Un collègue traducteur est en détresse, allons bon!!! J’installe l’enfant dans sa chaise et lui prépare à manger tout en retournant l’appel de cet illustre inconnu. Au bout du fil, un homme stressé me répond qu’il m’envoie de suite un document pour que l'on puissse en discuter! Shoot! Dans quoi est-ce que je viens de m’embarquer?!?
Lily gigote sur sa chaise, je lui tartine quelques craquelins pour la faire patienter tandis que je me rue sur l’ordi pour ouvrir son document. À peine l’ordinateur a-t-il ouvert la page que le téléphone sonne. Je réponds. L’homme est en panique. J’ai le cerveau qui démarre au quart de tour tandis que je lui parle calmement. Une poussée d’adrénaline me fait carburer les neurones. Je jette un œil rapide sur la traduction à faire, sans trop savoir, je pressens que son truc, c’est pas du gâteau. Je pense plus vite que mon ombre. En quelques secondes, je me remets les pendules à l’heure, je réalise que cet homme doit être en lien avec une dame qui avait utilisé mes services durant l’été de ma grossesse (il y a donc deux ans). L’été, les traducteurs de la boite partent en vacances, c’est là que je fais surface, par une sorte de miracle inexplicable, il a dû me retrouver sur sa liste de dépannage! Me voilà prise d’un coup dans son tourbillon du jour. Je sais que je ne peux refuser sa requête. Je me rappelle vivement que je compte bien reprendre du « turbin » à l’automne et que d’ici là, il faut que j’attrape les perches que m’apporte le destin, histoire de me dérouiller la cervelle et de me retremper les pieds dans ce métier de fou. Depuis peu, j'accepte donc par ci par là, les petits contrats qui tapent à ma porte. Alors que je lui parle et que je réflèchis, je sens la pression monter et traverser le combiné. J’ai beau essayé de lui expliquer que j’ai un bambin dans mes jupes laquelle pleurniche dans mon dos, il s’en tape joyeusement le coquillon! Il est dans le jus jusqu'au gosier et ma problématique maternelle lui passe carrément au dessus de la tête! D’un coup, je réalise avec vigueur pourquoi j’ai décidé de ne pas traduire pour m’occuper de ma fille! Je me dépatouille pas mal de la situation et je raccroche avec un délai d’une grosse heure pour près de 300 mots.
Lily-Soleil est fatiguée et ne rechigne pas à dormir. Dieu merci! Je me plonge dans le maudit document pour vite réaliser que je suis un schouia dans le « caca »! Me voilà les pinceaux empêtrés dans le monde de la haute finance, cela ne rigole plus la mère! Je sens mon estomac se nouer, me voilà partie à mille lieues de ma réalité. Moi qui ne gagne pas un sou depuis des mois, moi qui suis privée de tout pouvoir d’achat, moi qui contribue à l’état de pauvreté de ma famille afin de respecter mes valeurs intérieures, me voilà la cervelle dans un petit coin de pouvoir et de gros sous. Un texte spécialisé complexe qui me fait battre le cœur à 100 à l’heure. Ma fille, il va falloir performer! Dieu merci, autre petit miracle, j’ai accès à Termium qui me sauve la vie pendant que j’essaie de comprendre ce que je suis en train de lire! On parle là de créances subordonnées et prioritaires, de montants énormes de liquidités et d’opérations de financements étranges qui me laissent pantoise. Vais-je m’en sortir? J’ai la cervelle en compote, je me sens faiblir. C’est alors que la professionnelle en ma peau prend les rennes de la situation, après tout c’est un peu comme faire du vélo, cela revient plus vite qu’on ne se l’imagine et j’ai toujours tendance à être excitée par un bon défi intellectuel! Et puis, il y a ce coté espionnage qui me revient et me stimule l’esprit, le traducteur peut parfois se retrouver au cœur des grands secrets, en coulisses, il épie. Le secret professionnel du traducteur peut peser lourd dans une balance de pouvoirs…
Bref, ça c’est le coté romantique qui me fait supporter la folie du métier. Parce-que la réalité du traducteur est souvent celle-ci : Le texte envoyé devrait être traduit dans la seconde où il est reçu!!! Une grosse heure plus tard, j’ai la cervelle toute triturée mais j’ai fini en avance. J’avais super bien ficelé mon affaire finalement. Je n’ai plus qu’à envoyer ma petite facture qui, si l’on en considère le taux horaire, est plus que satisfaisante. Ce qui m’entraîne les idées vers ce choix de vie que j’ai fait. En marge de la norme, je persiste et je signe. Certaines études démontrent qu'une mère au foyer vaut plus de 130 000 $. Tu m'étonnes Paul! Personnellement, je me contenterai de 100 000 $ vu que je ne suis pas une fée du logis et que mes talents de cuisinière sont dérisoires. Utopie quand tu nous tiens! Au réel, il y a le gouvernement Harper qui me verse 100 $ par mois! Même si j'essaie de ne pas y penser trop souvent je réalise que si je mettais autant d’énergie à traduire que je n’en mets à élever ma fille au quotidien je pourrais être pas mal plus à l’aise matériellement que je ne le suis aujourd'hui! Je n’aurais pas à manger des pissenlits pour arriver à boucler les fins de mois. Je n’aurais plus à me priver, je pourrais voyager, envisager ces choses qui me font envie et les choses dont j'ai besoin. Je ne verrais guère ma fille mais mon portefeuille serait sacrément bien rempli! Paradoxes de vie…
Les vieux disaient dans mon jeune temps :
- L’on a la vie que l’on se fait ma fille…
- C’est un fait grand-mère, présentement la mienne semble surtout composée d’amour et d’eau fraîche, d'air pur, de culture, d’art et de rêves…
- Etolane quand descendras-tu de tes nuages ?
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