Sous la lune...
Après mûres réflexions, je décide qu’il est temps que je me retrempe les pieds dans le bain de mon individualité. J’ai un ami que je n’ai pas vu depuis longtemps qui tient un stand au premier rendez-vous des éditions parallèles à Québec.
Miss Dee, ma comparse citadine pense y faire un tour, comme je ne l’ai pas vue depuis quelques temps, je décide de l’y accompagner. Juan m’encourage à sortir de ma retraite sauvage. Samedi, fin d’après-midi, voici le temps de mon départ, l’ambiance printanière est à la fête. L’homme fait le menuisier sur la pelouse afin de changer notre escalier au bois pourri en instance de s’effondrer. L’enfant vadrouille sa joie de vivre. Je m’extirpe de ce cocon tout chaud pour partir. Je lui dis :
- Oh! Je vais sûrement rentrer pas tard, pis je vais juste passer au truc voir guillou et la Miss deux minutes.
- Mais tu peux t’amuser, rentres tard si tu veux, c’est bien, tu le mérites…
- Mais je vais pas m’amuser tant que cela! Pis je pensais rentrer vers neuf heures..
Il éclate de sourire et me répond :
- Etolane, tu ne vas pas me faire croire que tu ne sais pas ce que c’est d’être un oiseau de nuit!
Je fronce les sourcils tout en me mettant derrière le volant. Dans mon rétroviseur, ils me font signe de la main. Mon cœur se serre, je prends la route, libre comme l’air. Sur l’autoroute, je monte le son, la ville à l’horizon. J’arrive sur la rue de Miss Dee où je dois faire trois tours de quartier avant de trouver une place! Je suis un peu en retard et je soupçonne Miss Dee de ne pas être prête. Elle est en effet sous la douche lorsque j’arrive. Je jase avec Phil, il finit par me dire :
- Si tu veux faire un peu de pression, descends, ça fait plus de 20 minutes qu’elle prend sa douche!
Subrepticement, je descends les escaliers dans l’antre de la belle. J’entends chauffer le sèche-cheveux, je m’approche à pas de loups, je discerne des cuisses, une petite culotte. Comme une ogresse prête à dévorer sa proie, je me lance sur Miss Dee qui sursaute en criant, je m’écroule de rire. Sa salle de bain est un sauna qui invite les secondes au ralenti, je l’en sors de force, elle s’habille en trente secondes.
Il commence à être tard, je doute que nous arrivions à temps, ce qui n’est pas si grave en soi puisque je ne sors que pour me mouiller un orteil pas prendre un bain social! Je me fonds dans le rythme de la Miss qui m’entraîne. Nous sortons de chez elle dans le soir couchant.
En passant devant ma voiture, je prends mon portefeuille que je donne à Miss Dee qui le range dans son sac. En quelques minutes de pente raide, nous sommes sur St-Jean à deux pas du Rendez-vous des éditions parallèles à Québec. Je ne suis pas étonnée de voir que tous les stands sont pliés et qu’il ne reste qu’un petit groupe d’irréductibles. Tandis que Miss Dee butine les connaissances, j’observe en silence. Notre ami est parti diner.
Nous décidons d’aller prendre un thé chez Moisan. Blablabla, blablabla, deux copines autour d’un thé et de pâtisseries fines, cela prend son pied à papoter à qui mieux-mieux. La serveuse nous annonce qu’elle ferme. L’on se réveille et l’on paye. À la caisse l’on rencontre David, un copain que je ne n’avais pas vu depuis des lustres, lui aussi a raté Guillou. L'on discute quelques minutes puis l’on se sépare sur le coin de la rue. Enfin on le laisse un peu à plat sur le coin de la rue pour rentrer, guillerettes, chez la Miss. Je me dis mentalement : « Ahah, n’importe quoi l’homme, je serai rentrée pour dix heures! ».
Chez la Miss, son homme nous retrouve bientôt. Il nous a raté pendant notre escapade thé mais il a rencontré Guillou revenu de diner qu’il a invité à passer. Je décide de rester encore un peu. Guillou le terrible se pointe le nez, cela fait du bien de lui voir le menton. Claire au téléphone s’ennuie dans les travaux de son doctorat, on l’invite à nous rejoindre en la cuisine chaleureuse de la Miss. Quelques minutes plus tard, elle débarque. Claire donnera à la session prochaine un cours de philo à l’université qui portera sur la sexologie. Cela ne peut que piquer ma curiosité aiguisée. J’engage la conversation en ces eaux moites. Quelques heures plus tard, la discussion va bon train. Il faut dire que le sujet est croustillant. Je sais que je n’ai pas eu de telle soirée depuis des mois et des mois et des mois. Cela fait du bien de me sortir un peu l'essence de ma maternité. Mes amis s’amusent de ma sauvagerie en plaisantant que l’une a percé mes pneus et l’autre aura caché mes clés pour que je ne puisse pas rentrer et passer la nuit en ville. Guillou finit par nous quitter pour aller voir un concert pas loin. Minuit approche, une petite voix se moque de moi, je ne l’écoute pas, je me dis que je vais partir. Miss Dee me dit :
- Tu fais ta cendrillon Etolane?
Je refronce des sourcils, incapable de mettre le doigt sur cette sensation fuyante qui m’énerve.
- Hein?
- Ben oui, minuit approche, tu files dans ton carrosse…
C’est un fait que l’idée de me retrouver en guenilles avec une citrouille comme moyen de locomotion ne me réjouit pas! Sans que je ne m’en rende compte, l’ambiance chaleureuse m’enrobe, la conversation repart orientée trois femmes au creux de la nuit. Elle dévie maternité et accouchements, je suis la seule à avoir enfanter, je joue des ombres de la lune. Elles frissonnent. Je souris. Lorsque je vois approcher deux heures du matin, je casse le charme qui me retient là en me forçant à partir malgré les caresses nocturnes de la soirée plus qu’agréable. je prends mon manteau, cherche mes clés.
- Dee, c’est toi qui a mon portefeuille, t’aurais pas mes clés je les trouve pas?
Elle se lève et farfouille son sac, me rend mon portefeuille mais n’y trouve pas mon trousseau de clés. Je fouille mes poches, le salon, pas de clés! Aille! Je sens un petit vent de panique m’emporter. Mon cerveau carbure à mille à l’heure. Mierda! Mon carrosse est devenu une citrouille!!! Si j'ai oublié mes clés à Moisan, j'ai peut-être une chance de les retrouver, mais soudain une pensée acérée me découpe finement le cerveau : « T’aurais quand même pas laissé les clés sur la portière!!! » L’effroi se profile dans mon cœur! Non! Non, non, non mais le doute est vif. "Criss"...
Au pas de course, je traverse les deux coins de rue. J’aperçois ma voiture mal garée qui dépasse du lit bien rangé des véhicules qui tapissent cette petite rue du coeur de Québec. Ouf! Je respire, au moins "le char" est là! Je m’approche et manque de défaillir! Non! Non! Mon cerveau refuse de comprendre ce qu’il voit : sur la portière du passager pendouille gentiment mon trousseau de clés…
Je regarde à droite et à gauche, la rue silencieuse, tout est calme, enchanté. Il est presque deux heures du matin et je suis passée ici la dernière fois à six heures du soir! Mes clés pendouillent gentiment à attendre ma pomme des bois!!! Merci la nuit. Québec, je t’aime…
Sur le chemin du retour, dans l'obscurité qui absorbe la montagne, l’oiseau de nuit en ma peau est bien réveillé et merveilleusement comblé. L’oiseau de nuit inonde mes pensées de centaines de souvenirs nocturnes qui défilent comme un film dans ma tête, "Montrealités", aventures humaines, urbanités diverses, anecdotes multiples, je me souviens et je réalise, d’un coup d’éclair lucide, que je m’étais oubliée pas mal plus que Juan ne m’avait oubliée. À méditer…
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