Sous les étoiles...
L’enfant est chez sa Mère-Grand, me voilà seule pour la première fois depuis longtemps. Mes premières heures de liberté sont creuses. Le cœur me tiraille douloureusement la raison. Un peu perdue, je retrouve une solitude oubliée. Il y a toutes sortes de solitudes sur Terre, certaines sont aussi plaisantes que d’autres sont malsaines. Il y a toutes sortes de solitaires sur Terre…
Entre deux tortures d’esprit, j’en profite pour vilipender l’esprit du ménage qui n’en finit pas de m'ennuyer avec ses regards lourds de sous-entendus. Ses petites ailes frôlent mon bras nu, il essaie de se poser sur ma main, je l’envoie valser sans prévenir. Il est si tenace que je finis par capituler. J’embarque sans entrain dans ces tâches ingrates qui font de moi une bonne femme de maison. Enfin s’il y a une chose de sûr, c’est que ce sont des tâches beaucoup plus faciles à effectuer sans un bambin accroché à ma jupe! La journée se passe. L’enfant au téléphone est en pleine forme. Mon cœur se serre lorsque je raccroche. Une petite voix pas très gentille me taraude l’esprit, je lui fais les gros yeux. Suis-je une mère indigne pour apprécier ces instants tranquilles?
L’homme arrive de la ville avec les victuailles pour notre soirée givrée. Sushis, pâtisseries et Amarula seront de la partie. L’on se prépare à partir. L’on se change dans la chambre pour enfiler de chauds habits. En effet, avec cette vilaine habitude de porter des jupes à la maison, je ne suis pas du tout en accord avec la saison ni avec l'expédition à venir! Juan enlève son costume de travail pour enfiler jeans et pulls. Savane-A, grosse comme un baril, me passe sous le nez pour rejoindre Nougatine dans un coin.
Mon petit doigt me chuchote des choses à l’oreille. Savane-A est bizarre, elle se frotte contre Nougatine, elle semble un peu effrayée. Il ne me faut pas longtemps pour réaliser que le moment crucial est arrivé. D’ailleurs tiens, n’est-ce pas une contraction qui s’en vient juste là? Éh bien oui, c’en est une!
- Juan, je pense que c’est le temps que tu ailles chercher une boite en bas, cela s’en vient! Et cela s'en vient vite!!!!
Sans se presser, il finit de s’habiller. Savane-A se tortille le derrière.
- Juan, je réitère, je pense que cela s’en vient comme maintenant!!!!
- Ouais, ben c’était évident, c’est juste le soir où on a pas de bébé! Il fallait bien qu’elle se décide à nous en ramener là!!! Me lance-t-il en sortant dehors.
Il revient avec une boite juste à temps, elle vient de perdre ses eaux. Il vide le fouillis du fond de placard. Ahah! Voici un endroit qui a échappé aux remontrances du génie du ménage! Il pose Savane-A dedans, il la rassure. Nougatine semble s’être chargée d’accompagner sa fille dans ce premier accouchement. De tous ceux que nous avons eu à la maison, c’est la première fois que je vois un tel comportement de la part d'une ainée. C’est touchant presque troublant. Nougatine léchouille Savane-A qui pousse en silence, elle inspecte la boite, le placard, tout semble sous contrôle.
- C’est bizarre on dirait que Nougatine l’aide de son mieux et Savane-A n’a pas l’air de paniquer du tout…
- Ouais, j’ai encore jamais vu ça non plus! Ah! Tiens, en voilà un de sorti!
- Elles ont du se parler préalablement. N’empêche quand on dit accoucher comme une chatte, ça fait du sens à la voir aller! J’aurai bien aimé accoucher si facilement! Bon! On y va parce-que sinon on ne se rendra jamais…
L’homme qui grogne parfois de mes élans félins est presque ému, tout doucement, il caresse l’animal en plein travail. Nougatine veille au grain, tout va bien. Nous partons l’esprit serein.
Quelques minutes plus tard nous voici à la réception de l’hôtel pour prendre possession de notre suite de glace. Le portier est un copain, qui de plus est un voisin, tout content de nous voir arriver, il est aux petits soins. Notre suite est prête. Deux énormes sacs de couchage sont posés sur les fourrures qui recouvrent le lit fait de glace. Des bougies scintillent et la porte qui mène vers la terrasse est déverrouillée. Sous les étoiles, un sauna se réchauffe et un spa tourbillonne. C’est luxueusement surréaliste.
L’on va chercher notre cocktail au bar. Alors que je me ballade les yeux dans mon objectif numérique, Juan s’amuse avec un bloc de glace! Dans un coin de la discothèque, une douzaine de personnes font de même. Exploration d'un thème! Avant de te coucher, pour te mettre dans l’ambiance, tu reçois un petit bloc de glace dans lequel tu peux figer l’instant présent. L’homme s’amuse comme un petit fou, il adore cela. Une sympathique animatrice dirige cet étrange atelier. Elle demande à Juan :
- Ah! Tu as l'air d'avoir une idée de ce que tu veux sculpter!
- Oui, je fais un chat, en honneur du mien qui accouche à la maison…
Je vagabonde en solitaire. J’erre dans les couloirs secrets de l’hiver apprivoisé. Le silence est maître des lieux. Le gigantesque igloo étouffe tous les bruits ambiants, l’air est glacé, il ravigote. La nuit est déjà bien entamée. L’on se rejoint devant les flammes de notre cheminée privée. Il pose son oeuvre féline dans la chambre. J’utilise l'un des énormes sacs de couchage comme dossier douillet. J’ai pris soin d’amener une douce couverture pour me couvrir les jambes. Je n’ai pas oublié mes gants. Un verre de glace à la main, j’absorbe l’atmosphère surréelle. Cela fait si longtemps que l’on a pas passé une soirée seuls, sans bébé, sans amis, juste ensemble. J’apprécie ce délicieux moment. L’on s’amuse les sens sans penser à rien, juste à nous deux, en harmonie. L’on se prépare à se déshabiller…
Pas évident de trouver l'envie de se mettre à poil quand la température de la pièce tourne autour de – 5 et qu’il fait un bon -10 (-15?) dehors! Juan va chercher nos peignoirs à l’accueil. Je m’enferme dans le sauna. Douce chaleur qui donne du courage au cœur. Merveilleuse odeur de cèdre qui me remplit les narines et me rappelle ces longs mois passés à écrire dans ma petite maison de bois joli. Je suis prête. Juan revient avec les peignoirs. C’est le temps de se dévêtir. L’on rigole à s’entortiller dans le petit espace qui nous abrite. Nus comme des vers, l’on hésite quelques secondes avant d’ouvrir la porte. L’on se précipite dans les marches de neige pour accéder à ce petit promontoire où règne le spa des rêves de l’homme. Le froid pince la peau avec autorité. Je mets un pied dans l’eau brûlante, ouf! C’est vraiment chaud. Le contraste me prend par surprise mais le froid me pousse les fesses. Je m’assois dans l’eau claire. L’homme prend plus de temps, il a les « coucougnettes » qui résistent à la subite chaleur. Je ris. Comme ne pas m’amuser de le voir nu sous les étoiles. Mon coeur bat la chamade. L’on s’installe confortablement. Il me pointe la Grande Ourse juste au dessus de nous. Que de sensations étonnantes…
L’heure qui suit se savoure dans un amusant jeu de contrastes, entre sauna et spa, vapeur et froideur, chaleur et congélateur! C’est toute une aventure sensorielle!!! L’on en profite comme des gamins, l’on se retrouve, comme avant, l'on se détend. Cela fait si longtemps que nous n’avons pas été si insouciants, spontanés, légers. Lorsque l’on devient parent, c’est ce qui prend le bord en premier: l’insouciance et les moments spontanés. Lorsque l’on ne pense à rien d’autre qu’à exister selon ses envies passagères, lorsque l’on n’en fait qu’à sa tête! Une fois bébé arrivé, c’est au pas de la routine et de l’organisation qu’il faut marcher. Et c’est sans compter les tourbillons d’émotions qui se mettent dans le chemin!
La nuit s’écoule doucement, l’on sait pertinement que l’on ne dormira pas là. Pour l'avoir déjà expérimenté une fois l’année dernière, l’idée de me retrouver saucissonnée dans mon "sac momie" ne me tente guère. À vol d’oiseau, mon lit douillet est tout près. La tentation est trop grande pour y résister. Tout guilleret et passablement fatigués, nous nous rhabillons et nous rapportons nos peignoirs mouillés. Le concierge de nuit nous demande :
- Mais vous avez un back-up, une chambre au domaine?
L’on ne peut s’empêcher d’éclater de rire. Juan répond.
- Oui on a le back-up de notre lit à la maison! On habite au village à coté…
Aux petites heures du matin, l’on retrouve la chaleur de notre maisonnée. Savane-A a eu six petits qu’elle a cachés précieusement au fond du placard. La boite où elle a accouché est propre tout comme les petits endormis. Il ne reste qu’une serviette souillée qu’il sera facile de laver. L'animal a mis bas sans soucis pendant que nous nous amusions dans la nuit et que la petite découchait! Finalement tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes! Et que je suis heureuse de ne pas devoir vivre dans un igloo aussi grandiose soit-il!!!
L’on se glisse dans la chaleur du lit qui nous accueille majestueusement. Notre peau est toute douce de cette étrange soirée passée entre eau brûlante et nuit glaciale. Sa main vagabonde. Sans résister, je le laisse m’emporter au creux de ses désirs…
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