Maux de vie.
Petite sœur garde Bébé. Elle lui présente son univers, je les laisse faire. Je m’évapore un étage plus haut. Face à la falaise, sur un balcon baigné de soleil, un moment de calme solitaire. Ceux-ci se font rares par les temps qui courent aussi vite qu’un cheval au galop. Pour écrire ces mots qui me trottent dans le cerveau, il faut les chevaucher à toute vitesse, en profiter jusqu’à la moelle…
Il ne reste plus que quelques jours, quelques heures de vie pour ma chère grand-mère. Cette réalité hante toutes mes pensées. Un gouffre absorbe mon cœur. Le corps en pluche, osciller entre des cascades de larmes et le rire cristallin d’un nouveau né.
Entre le bruit du trafic routier et le chant des oiseaux, tout mon être se tait. Le croque-mort est passé. Sans crier gare, il l’a emporté. Comment imaginer mon monde sans elle? Un calme mortel teinté de solitude m’inonde. La mort frappe à la porte. Le son est gargantuesque, il fait vibrer toutes mes pensées qui résonnent en une seule émotion.
Il y a cinq mois, la mort m’a effleurée. Elle m’a ratée. Aujourd’hui elle attrape en son filet sombre ma Thérèse bien aimée. Ouragan de peine qui me noie de l’intérieur. Je savais bien que cela arriverait un jour mais je n’aurais jamais imaginé que cela arrive si brusquement, en un clignement d’œil. J’ai le cœur choqué.
Je repense souvent à cette conversation nocturne avec une douce interne alors que je commençais à reprendre mes esprits il y a cinq mois de cela. Après que mon sang ait dilué un cocktail puissant de médecine moderne, je me posai mille questions. Je demandai au docteur (une jolie fille patiente) qui faisait sa ronde nocturne :
- Mais c’est vrai que j’aurai pu mourir?
- Oui, tu as eu de la chance, on t’a prise juste à temps avant que cela ne dégénère.
- Mais ça veut dire quoi dégénérer? Maintenant je suis correcte?
- Tu es tirée d’affaire mais il faudra que tu soies patiente. Il est possible que ta convalescence soit longue. Une infection pareille après une grossesse, cela met tout l’organisme à terre…
- Mais? C’est quoi qui aurait pu m’arriver si j’étais restée chez moi?
- En deux ou trois jours, tu serais morte. Cela arrivait souvent dans le temps…
- Vraiment? Mais je serais morte comment?
- L’utérus est en lien direct avec tous tes organes alors cela se propage extrêmement vite. Lorsque les organes sont atteints, en quelques jours tu es perdue…
- Mais on meurt comment?
- Pour ce genre de problème, en général le cœur finit par lâcher!
- Oh! Comme ça?
- Oui, tu tombes dans le coma et là ça veut dire que les organes sont attaqués. Rendu là, tout dépend de quand la médecine te trouve. Mais les séquelles sont souvent très graves et puis tu meurs…
- Mais là? Je suis sauvée? Cela ne va pas recommencer?
- Cela devrait pas! On t’a donné une dose massive d’antibiotiques. C’est rare qu’on en donne en si grosses doses mais c’est ce qu’il te fallait, on voulait être sure d’éradiquer toutes les bactéries. Mais il va falloir beaucoup te reposer pour ne pas donner la chance à celles qui pourraient être en dormance de repartir! Dis-toi que tu en as au moins pour six mois de convalescence avant que ton corps reprennnent le dessus...
Comme un ange d’information qui aide à la compréhension , elle disparut dans les entrailles de l’hôpital. Je ne la revis plus. Ainsi je n’avais pas rêvé, c’était bien la mort que j’avais senti. C’était bien elle que j’avais senti me frôler les orteils. J’avais senti ce coma, juste avant de ne plus pouvoir parler, c’est ce que je répétais à Juan : « Juan, je pense que je sens le coma, je m’enfonce, ça me pogne, Juan je pars… »
Un peu plus de quatre mois plus tard, ma grand-mère adorée tomba, un soir, à coté de son lit . Au petit matin, on l’a retrouva, plutôt ébranlée mais bien vivante. Forcée à être hospitalisée, cohérente, véhémente, elle quitta sa maison. Trois jours plus tard, la brique qui assomme et tue! Le coma qui dure, paralysies, l’incompréhension du corps soignant. Le croque-mort qui ricane dans con coin. Transfert d’hôpital, batterie de tests, coma persistent. Opérations diverses, malgré tout, elle s'enlise davantage dans ce coma sans retour. Les ténèbres l’aspirent, inexorablement, elle s'éloigne de nous.
Au bout de plusieurs jours, l’on commence à savoir, à comprendre ce qui lui est arrivé. Un polype qu’elle avait dans l’intestin aurait permis à une mauvaise bactérie de s’échapper, de se faufiler dans le sang pour exploser son cerveau, tout en abîmant le cœur au passage. Ils réparent le cœur mais on ne répare pas les cerveaux! L’étincelle qui fit de ma Mère-Grand une personne unique, exceptionnelle, s’est éteinte à tout jamais. Sa lumière brille au fond de mon coeur. Invisible, sa voix retentit en mon corps. Paix à son âme...
Je me souviens de cette discussion nocturne avec une jolie interne au cœur de la nuit. Je comprends. Alors c’est ce qui se déroule lorsque les ravages de l’infection passent inaperçus! Je sais les maux que je dois combattre chaque jour pour me retrouver et je n’ai que 33 ans pas 73! Je comprends qu’à 73 ans, tu puisses perdre cette bataille. Elle, qui ne s’est jamais plaint, n’a rien dû dire des symptômes qu’elle pouvait ressentir. Puis ce fut trop tard! Le corps usé est envahi, anéanti. Ma grand-mère est partie…
En un claquement de doigts, pouf! Ma Thérèse n’est plus. La grande faucheuse est passée. Tant que la mort ne frappe pas ceux qui vivent en nos cœurs, en nos intérieurs, elle reste abstraite. C’est un concept empli de tristesse qui peine l'esprit et glisse sur la façade de nos sentiments profonds. Lorsqu’elle touche ceux que nous aimons le plus au monde, elle blesse autrement, intensément, viscéralement. Aujourd’hui sous ce soleil de printemps, la mort est concrète.
La dernière fois que je l’ai vue frapper au printemps, c’était lorsqu’elle a emportée mon amie Kitty, une copine du temps de mes Montrealités. Kitty venait d’avoir 18 ans. En six mois, elle s’est diluée pour disparaître sous nos yeux ébahis. Cancer. Dieu que ce printemps là était teinté de Kitty (tristesse).
Aujourd’hui c’est une autre tristesse qui m’accable. Toute jeune, toute fraîche et si lourde que parfois elle m’étouffe l’âme. Il y a en moi cette petite fille qui hurle sa colère, sa détresse. J’aime cette photo qui représente bien toute la relation que j’avais avec ma grand-mère. Depuis 33 ans, spirituellement, je m’appuie sur son sein. Elle m’écoute, m’équilibre, m'entoure. Elle est attentionnée, rassurante, présente malgré les distances. Tout cela n'est plus. Désormais, cette main que je tends ne touchera que le vide de sa mémoire, que la substance de nos souvenirs…
Pendant ce temps, dans l’autre main, je découvre une minuscule menotte qui s’accroche. Une petite menotte qui a besoin de mon sein pour se relever, grandir avancer. Un rayon de soleil qui m’inspire l’Avenir.
Lily-Soleil est née, elle existe, elle s’ouvre à la vie, elle m'adoucit le cœur. Comme une pousse de printemps, elle nous offre espoir et Amour. Un Îlot de tendresse disparaît dans le néant tandis qu’un autre fait surface. Équilibre béni. Torrents d’innocence contre vagues de sagesse. Bonheur et tristesse qui s’entremêlent en un imbroglio d’émotions complexes.
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