mardi, avril 25, 2006
Lundi sourd
Une douleur sourde dans le ventre. Un chagrin qui poigne. Le ciel s’accorde à mon cœur et mes pleurs se fondent à la pluie tombante. J’offre des sourires tristes à mon Soleil qui gazouille. Une dernière cérémonie pour ma Mère-Grand avant que le passé ne l’absorbe entièrement. Elle était mon plus proche parent, le parent dont je me sentais le plus proche. Avec elle, j’avais l’impression d’être la continuité de quelque chose de palpable, de quelque chose d'ancestral, j’étais son prolongement dans le futur.
Avec ma mère, notre relation est jalonnée de déchirures, d’incompréhensions, de blessures. Avoir un bébé à 20 ans et se retrouver divorcée un an plus tard n’est pas la situation idéale. Vivre avec une grand-mère de 40 ans, qui vous adore, (durant la semaine) malgré les dysfonctionnements familiaux apporta une stabilité inestimable à l'enfant que je fus. Je lui ressemblais. Avec elle, je m’harmonisais. Elle me chérissait. Elle était un phare de tendresse dans mes tempêtes. Une mère…
Depuis 19 ans, je ne vis plus en France, mais durant tout ce temps, ce lien qui nous reliait malgré la distance vibrait d’une dimension où nous nous rencontrions souvent. Je la visualisais chez elle, dans sa cuisine, dans son jardin, papoter avec ses voisines, se coucher, se lever, ouvrir ses volets. Je la voyais, je la sentais. Il y avait nos coups de fil plusieurs fois par mois, ces courriers qui me rendaient la vie plus douce, sa personnalité que je ressentais. Il y a eu autant de visites que deux mains peuvent en compter et ses 6 mois où je me suis réfugiée chez elle le cœur en miettes. Elle a ramassé mes morceaux, donné quelques souffles de liberté pour mieux me regarder m’envoler à nouveau. J’étais à deux doigts de la revoir…
Désormais je ne peux plus que la ressentir et je pleure son absence. Je remplis un lac de larmes silencieuses, parfois liquides parfois invisibles. Juan les palpe, les enrobe, il répond à mes sourires tristes. Je ne peux m’empêcher de trouver égoïste cette sensation qui me vrille l’estomac. Elle m'enveloppe toute entière. Je la vis en solitaire. Elle aiguise mes humeurs, les bouleverse, les renverse, les assombrit. Égoïste car elle m'absorbe, m'emporte, je sais que la mort n'est pas une fin pour celui qui la traverse. C'est une fin pour ceux qui restent. Les nuits, remplies d'insomnies douloureuses, m'inondent de souvenirs. Elle m'habite. Je suis sa suite dans le temps. Elle est en moi maintenant.
Après les douleurs physiques, voici la douleur intérieure qui me transperce. Celle-ci me semble plus difficile à surmonter. La souffrance physique a si peu de comparable avec la douleur psychique. Cette dernière est aussi vive qu’invisible. Elle cille les entrailles. Ses ecchymoses ne peuvent se voir à l'oeil nu. Elle torture.
Il passe sur nos petits écrans une publicité pour imager la dépression. L’on y voit un homme accidenté, couvert de bandages, l'on entends la compassion des proches. Puis l’image se transforme en ce même homme couché en chien de fusil, seul, sur son lit. Je pense souvent à ces deux images. L’homme qui souffre, replié sur lui-même dans la solitude de ses émotions. Et celui qui, le corps déchiqueté, assume autrement cette différente souffrance qui s’examine sous les microscopes de la medecine générale…
Ce matin, au réveil, au bout du fil, j’ai écouté se dérouler son enterrement…
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