Femme ( fiction en construction)
Elle jeta un dernier coup d’œil au monticule devant elle et s’éloigna de la sépulture pour rejoindre sa cabane. Des larmes chaudes lavaient son visage maculé de boue. Tout son corps lui faisait mal. L’image de son père pourrissant sous terre la hantait misérablement. Mais que pouvait-elle faire de plus?
Pour arriver à l’enterrer décemment, elle avait passé deux jours entiers à trimer. Deux jours pour lui offrir cette tombe sommaire ornée d’une pitoyable croix faite de quelques branches tressées. Une journée pour creuser le gouffre et y déposer la dépouille lourde de cet homme qui lui avait donné la vie. Une autre journée pour recouvrir une existence passée qui sera bientôt oubliée de tous.
Elle savait bien qu’elle garderait toujours son histoire au fond de son cœur, mais combien de temps arriverait-elle à garder le souvenir de ses traits, de son rire, de ses étreintes affectueuses lorsque la faim la rongeait ou que le froid gelait ses membres engourdis d’hiver?
Elle soupira et poussa la porte de sa maison de bois ronds. C’était lui qui l’avait construit de ses mains, lui qui l’avait aménagé de ses meubles sculptés, qui l'avait rendue confortable, habitable. Désormais elle était seule. Seule au milieu de nulle part. Sans penser, elle accomplissait ces gestes maintes fois répétés, cette routine de ses journées sans surprises. Elle savait qu’elle pourrait survivre ainsi, tout du moins, elle pourrait subvenir à ses besoins jusqu’à l’approche des premières neiges, ensuite, elle préférait ne pas y songer…
Son père s’était toujours bien occupée d’elle, malgré les épreuves, malgré les misères, il avait réussi à lui offrir un nid douillet, un petit coin de nature perdu au milieu de la forêt, loin de la folie humaine et de ses violences, loin des hommes et de leurs villes. Elle se souvenait encore du jour ou sa mère les avait abandonnés pour suivre ces colons qui partaient vers l’Ouest en quête d’irréelles richesses. Elle avait à peine 10 ans. Son père en était resté muet durant des semaines. Elle avait tant pleuré que depuis ce jour plus rien n’avait jamais réussi à autant l’affecter. Elle avait grandi protégée par sa carapace et cet homme qui l’adorait.
Depuis qu’elle était femme, son père la taquinait souvent, il lui disait qu’elle devrait se trouver un mari, aller voir le monde et ses folies. Mais elle ne voulait rien entendre. À quoi bon se trouver un mari? Le premier village était à des jours de marche de son petit domaine. Les seuls visiteurs qui s’égaraient jusqu’à eux étaient des trappeurs rustres, usés, puants, qui ne lui donnaient aucune envie de les suivre ou d’aller voir ailleurs. Elle aimait son père de toute son âme, elle était heureuse entre ses animaux et ses plantes.
Les longues soirée hivernales, il lui lisait des livres et lui racontait des histoires exotiques tandis qu’elle raccommodait, cousait, tricotait, elle aimait vivre comme cela, dans la quiétude, au rythme des saisons et des vents. Elle se sentait comblée de cette vie sans histoires, sans remous. Elle se confondait avec les arbres, elle se baignait nue dans le grand lac à ses pieds. Elle ne cherchait rien d'autre que le calme des jours de son exitence sans fards.
Elle n’avait même jamais rencontré de sauvages, même si elle se doutait qu’il en passait parfois non loin de chez elle. Une seule fois elle avait croisé quelques femmes qui faisait la cueillette de baies fraîches alors qu’elle ramassait des herbes pour ses tisanes. Elle leur avait souri, les autres lui avaient répondu timidement en hochant la tête. Chacune avait passé son chemin sans animosité, sans curiosité…
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