Mon ventre est une maison. Une maison de chair et de sang qui abrite un minuscule soleil. Une petite lumière qui m’étincelle…
Lorsque j’avais 20 ans, je trouvais que mon corps était une prison. Prison de mon âme qui ne pouvait s’envoler à sa guise et devait rester attachée à cette dimension corporelle qui m’ennuyait. Je me lamentais de devoir contempler l’univers à travers ses barreaux trop visibles…
Au cours de ma vie, mon corps m’a valu mille maux. Accidenté à l’adolescence, il a refusé de marcher durant une année. Maître des petites misères qui ne tuent point mais qui rendent l’existence délicate, il m’a rarement fait de cadeaux.
Un début d’anorexie à 19 ans. Une fois descendue en dessous de la barre des 48 kilos, Dieu que je me sentais bien! Plus de besoins organiques. Légère comme une plume, en parfait contrôle de ma chair, je marchais sur le béton de Montréal prête à m'évaporer. Tous les regards se tournaient en ma direction. Pas encore assez maigre pour effrayer, juste assez mince pour faire sensation dans mes mini-jupes affriolantes. L’Autre prit vite peur. Il n’aimait pas voir saillir mes os qui lui heurtaient la peau, il n’aimait pas voir disparaître mes formes si alléchantes, il n’aimait pas ces hommes qui observaient de trop près mes jupettes ras les fesses! Il sut jouer de ma gourmandise et de mon amour pour retourner la balance avant que je ne dégringole trop bas.
Et puis, c’est vrai que j’en avais un peu marre de n’être qu’un corps qu’on désirait croquer. «Yo! Tête de bit…, j’ai un cerveau aussi, t’as le droit de lâcher mon cu…!» En quelques années, je fis si bien pencher la balance du coté des mes gourmandises retrouvées, que durant un temps l’on me remarqua moins. Mais je m’étais habituée à ces regards et l'Autre aussi, il ne voulait quand même pas perdre son trophée! Alors commença une incommensurable recherche d’un invisible équilibre alimentaire. Équilibre incertain entre corps et cerveau, entre matière et esprit. Comment bien vivre dans sa prison?
Durant quelques années, l’armistice, j’atteins un certain équilibre plus visible qu’intérieur. Toujours à me poser mille questions, toujours à me regarder de travers, jamais satisfaite d’une manière comme d’une autre devant ce fait de vivre dans cette prison de chair trop exigeante. Un séjour prolongé en région parisienne et voilà que je perds pieds! Plus de repères, un cœur piétiné, une identité détournée et toutes ses parisiennes maigrichonnes qui d’un seul coup me donnent une incroyable dalle. Au moins la vie à l’Américaine, ses gros popotins et ses gâteaux mauves, cela coupe la faim! Là-bas, à chaque coin de rue, une boulangerie-pâtisserie et toutes ses gâteries qui m’entournent le palais. Ma balance s’affole. Une rupture, une retraite au monastère par envie de silence et de tolérance, la bouffe monacale dégueulasse et les repas trop pieux eurent raison de mes émotions alimentaires. Un jeûne de circonstance sous le regard bienveillant des moines subjugués et je retrouvai le contrôle de ma ligne, prête à replonger de l’autre coté…
Ma rencontre avec Juan, un nouveau départ, un tout qui stabilisa ma descente. Son amour inconditionnel conjugué au plaisir qu’il sut donner à mon corps malmené me ramena à un certain équilibre. Nous nous mariâmes et nous explorâmes la dure réalité de l’extrême pauvreté. Un quotidien qui me heurta de plein fouet et déséquilibra une fois de plus cette balance intérieure trop fragile. En reconstruisant notre vie, je finis par reprendre les rennes de mon corps. Habituée désormais à vivre dans l’enceinte de ma prison. Prête à apprivoiser cette dimension avec l’aube de ma trentaine…
Quelques années passent et c’est là qu’une petite graine décide de prendre possession de mon corps. Graine d’Amour qui donne la vie. Mon corps devient un jardin! J'en perds le contrôle plusieurs semaines de suite. Comme si une tempête avait décidé de me labourer de ses étranges passions ! Je souffre sans mot dire, dors à la journée longue. Mais sans rechigner, j’accepte cette nouvelle mission. Je lâche prise. Petit à petit mon corps devient un foyer…
Autour de la petite graine qui s’épanouit, un igloo de chaleur prend forme. Mon bedon tout rond se transforme en une maison, sa maison. Une maison construite non pas de briques mais de fruits, de viandes et de légumes. Sans fumée ni spiritueux, enrobée de musiques et d’attentions.
Maintenant je prie pour que cette maison ne s’écroule pas sur sa minuscule tête. J’oublie la prison pour profiter de ces instants de création. Je prie pour que ce petit bout d’être ne ressente pas autant le besoin d’échapper à cette nouvelle dimension qui la forme. Dans l’enceinte torturée de mon corps, une porte sur l’infini s’est ouverte...
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